Hommage à Irm Hermann (1942-2020)
Le 29 mai 2020
Un film sec et dur, dans lequel Fassbinder met en scène sa vision noire de la société à travers le parcours d’un perdant modeste.
- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Hanna Schygulla, Ingrid Caven, Irm Hermann, Hans Hirschmüller
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h29mn
- Titre original : Der Händler der vier Jahreszeiten
- Date de sortie : 10 février 1972
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Résumé : Hans Epp est un personnage très sociable qui tente d’obtenir le respect de chacun. Malheureusement, son existence est parsemée de nombreux revers, notamment sentimentaux. Il tombe en dépression..
Critique : Premier succès de Fassbinder, première œuvre tournée après sa découverte de Douglas Sirk, Le marchand des quatre saisons suit sans flamboyance la déchéance d’un être banal, Hans, le marchand du titre, victime d’un infarctus puis, alors que ses affaires s’améliorent, d’une dépression qui le conduit au suicide. Victime, Hans ne l’est pas seulement de la maladie : en effet, chaque flash-back nous en apprend un peu plus sur les rebuffades qu’il a subies, sa fiancée qui le quitte à cause de son métier, le mépris de sa mère, la faute professionnelle et, in fine, la trahison de son « ami » de la légion, Harry. Au bout du compte, le film sans explications grandiloquentes explique l’échec d’une vie par les autres, leur indifférence au mieux, leur morgue le plus souvent. Hans est celui qui n’a pas réussi et ne le pourra jamais : comme le lui dit sa mère, « un bon à rien reste un bon à rien » et la seule à le défendre, sa sœur Anna, celle qui dit la vérité, est incapable de le retenir ou même de l’écouter. Quant à sa femme, elle le trompe et fait un nouveau projet le jour de son enterrement. Remplaçable, inexistant puisque quelqu’un d’autre peut faire son métier ou coucher avec son épouse, Hans est l’incarnation du perdant ordinaire, l’homme des arrière-cours désertes.
- LE MARCHAND DES QUATRE SAISONS © 1971 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2013 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
Non pas d’ailleurs qu’il soit irréprochable : son mariage est un pis-aller, et une séquence cruelle le voit rouer sa femme de coups devant sa fille, elle aussi victime d’être née dans cette famille. Ses yeux tristes et son silence disent assez la souffrance qu’elle endure, aux prises avec la dureté du monde alors qu’elle est si frêle et si jeune. Fassbinder ne sauve pas grand monde de ce jeu de massacre généralisé : l’argent y est plus présent que les sentiments et la plupart des discussions sont âpres, malgré deux éclats de rire qui sonnent comme des respirations provisoires.
- LE MARCHAND DES QUATRE SAISONS © 1971 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2013 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
Condamnation d’une société aliénante, d’une famille sans amour, ce tableau réalisé avec peu de moyens étonne par sa sécheresse : peu de musique (réservée à la promenade dépressive ou à un disque souvenir), peu d’aération, des dialogues utilitaires… on est loin du spectaculaire ou des épanchements sirkiens. Mais aussi de l’austérité des premiers essais de Fassbinder. Si la dureté persiste, les personnages toujours assez rigides gagnent en profondeur et ne se résument plus à des pantins sans âme.
- LE MARCHAND DES QUATRE SAISONS © 1971 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2013 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
De même le scénario est-il beaucoup plus classique : ainsi de ces échos et parallélismes qui le structurent, comme les deux fois où la fillette demande de l’aide à ses devoirs, les deux réunions de famille, ou, plus subtilement, du disque cassé qui renvoie aux plats que Harry laisse tomber. Outre la valeur symbolique de pareils moments, la répétition évoque à la fois le ressassement, le piétinement d’une vie qui n’avance pas, et les subtiles modifications ou aggravations des situations. D’ailleurs, les dialogues sont eux-mêmes souvent réitérés, manière de souligner la surdité d’êtres enfermés dans leur bulle.
Porté par un désespoir permanent, Le marchand des quatre saisons ne propose pas de solution : ni la famille ni l’argent ne peuvent sauver une existence ressentie comme inutile, mais le sexe n’est pas non plus un exutoire : deux relations interrompues, un échec, décidément, même la chair est triste dans cette sombre vision.
- LE MARCHAND DES QUATRE SAISONS © 1971 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2013 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
Il faut ajouter que la réalisation de Fassbinder, sèche et rigoureuse, affirme sa maîtrise grandissante. Un exemple suffira : lors du repas familial, pendant lequel le mépris vis-à-vis de Hans s’exprime sous une forme atténuée mais blessante, la caméra glisse sur les visages des convives avec une belle régularité. Mais ces travellings signes d’équilibre s’interrompent quand Anna prend la parole et se livre à un règlement de comptes en bonne et due forme. Plus d’équilibre, mais un montage fragmenté qui renvoie chacun à son isolement. Des moments comme celui-ci, on en trouvera beaucoup, et, malgré un abus de zooms, l’assurance du cinéaste ajoute au charme incontestable de ce drame éprouvant, riche et sévère.
– Ce film est compris dans le prestigieux coffret Carlotta Rainer Werner Fassbinder, vol. 1, paru le 18 avril 2018.
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