Le 3 juin 2023
Dans ce huis clos cruel, Fassbinder découpe au scalpel les sentiments et ne laisse rien indemne.


- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Hanna Schygulla, Margit Carstensen, Eva Mattes, Irm Hermann, Katrin Schaake
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Carlotta Films
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 2h04mn
- Date télé : 21 janvier 2024 23:57
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 18 avril 2018
- Box-office : 61 515 entrées France / 42 525 entrées P.P
- Titre original : Die Bitteren Tränen der Petra von Kant
- Date de sortie : 30 avril 1974
- Festival : Festival de La Rochelle 2022
– Année de production : 1972
Résumé : Une femme de la grande bourgeoisie, créatrice de mode, vit une passion douloureuse avec une jeune femme de condition plus modeste, Karin, qui rêve de devenir mannequin.
Critique : De cette adaptation d’une de ses pièces, elle-même transposition d’une histoire personnelle, Fassbinder ne cherche pas à gommer l’aspect théâtral ; il le conforte au contraire, le renforce, l’affiche. De ce décor unique, chambre-bureau à l’épaisse moquette, Petra ne s’échappera pas ; elle rencontre Karin, l’aime, se fait abandonner et larmoie dans ce petit espace, clos et à la décoration fantasque – et même kitsch. Tout le monde peut en partir, sauf elle. Tout le monde, c’est à dire exclusivement des femmes : la cousine Sidonie, la fille Gabi, la mère, et Marlene, factotum vêtu de noir et muette d’un bout à l’autre.
- LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT © 1972 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2014 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
Fassbinder commence par créer les rapports entre Petra et Marlene, rapports sado-masochistes d’amour et de mépris ; puis elle téléphone à sa mère, qui va à Miami et a besoin d’argent, reçoit Sidonie avec laquelle elle a une longue conversation, proche du monologue, et enfin rencontre Karin. Déjà les liens entre ces êtres pas franchement sympathiques s’ébauchent : domination, vénalité, soumission. Les larmes amères de Petra von Kant parle de cet amour-là, et quand l’héroïne évoque la fin de son mariage, elle ne sait pas qu’elle décrit son avenir dans lequel, de bourreau, elle deviendra victime. Fin du premier acte, noir.
Puis c’est la conquête : Karin se révèle une proie facile, naïve et éblouie. On pense fugitivement à Eve de Mankiewicz, avec l’humilité apparente de l’admiratrice qui cache son jeu. Mais ce n’est qu’une intuition, parce qu’on est dans un (mélo) drame, que le titre évoque le chagrin, et peut-être aussi à cause d’un regard de trop, d’un enthousiasme empressé. Malgré le hiératisme des actrices, quelque chose passe de ce qui va se jouer.
- LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT © 1972 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2014 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
L’acte suivant est celui de la chute, avant le désespoir. Fini les faux-semblants, commence la cruauté jusque là réservée à Marlene. Et c’est un festival : insultes, crachat, règlement de comptes, tout y passe en un déferlement destructeur et suicidaire. Petra se découvre dépendante, et ne supporte pas d’être abandonnée ; en amoureuse égoïste, elle se retourne contre les autres qui la dégoûtent. Sans doute est-ce l’acmé du film, ces yeux dessillés qui voient fille et mère comme des parasites, tandis que les rapports sont délégués aux mannequins enlacés dans le lit. Là comme avant Fassbinder utilise à merveille l’espace réduit, depuis le jeu sur le net et le flou (la présence de Marlene dans la profondeur de champ) jusqu’à l’infinie variété des recadrages et travellings soyeux. Jamais la scénographie n’est gratuite, même dans ce monde de l’artifice et de l’apparence où les postures guindées sont la règle.
- LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT © 1972 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2014 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.
Disons-le, Les larmes amères de Petra von Kant est un tour de force : ce huis-clos bavard pourrait ennuyer profondément, irriter par ses partis-pris. Mais tout fonctionne ; l’univers cohérent du cinéaste s’étale sans masque, désespéré et sombre, l’amour y est une souffrance ou une domination, la famille n’a pas de réalité, et Dieu est absent : ce n’est même pas « une consolation », dit Petra. Il ne reste qu’à pleurer, attendre et souhaiter la mort comme un apaisement, ou, quand l’un des joueurs ne joue plus, partir – c’est la fin surprenante qu’on ne révélera pas.
– Ce film est compris dans le prestigieux coffret Carlotta Rainer "Werner Fassbinder, vol. 1", paru le 18 avril 2018.
criss 16 février 2023
Les larmes amères de Petra von Kant - Rainer Werner Fassbinder - critique
Un Fassbinder de toute beauté...les actrices,les couleurs,les sentiments....a voir a revoir...