Quelle rengaine !
Le 5 juillet 2022
Autour de l’histoire d’une rengaine sentimentale à succès, cette bien étrange superproduction ressuscite l’esthétique UFA pour dévoiler le caractère kitsch du nazisme.
- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Mel Ferrer, Hanna Schygulla, Udo Kier, Giancarlo Giannini, Volker Spengler, Gottfried John, Rainer Werner Fassbinder, Karin Baal, Barbara Valentin, Adrian Hoven, Brigitte Mira, Christine Kaufmann, Harry Baer, Peter Chatel, Irm Hermann, Erik Schumann, Hark Bohm, Karl-Heinz von Hassel
- Genre : Historique, Mélodrame
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 2h00mn (DVD: 1h55mn)
- Date télé : 5 juillet 2022 13:35
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 15 avril 1981
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Résumé : En 1938, à Zurich, Willie, une chanteuse allemande, aime Robert, un musicien qui appartient à une organisation secrète chargée d’aider les Juifs à fuir l’Allemagne. Le père de Robert refuse cette liaison et fait en sorte que les deux amants soient séparés. La guerre éclate. Forcée de rester en Allemagne, Willie enregistre une chanson, « Lili Marleen », diffusée aux quatre coins du Reich et qui devient un véritable triomphe. Les soldats font de cette chanson leur hymne, les Nazis leur emblème, mais le destin réunit à nouveau Willie et Robert…
Critique : En s’associant, après le succès du Mariage de Maria Braun, au vétéran Luggi Waldleitner, très grosse pointure de la production cinématographique allemande (et européenne) la plus ouvertement commerciale depuis la fondation de sa Roxy Film en 1951, Fassbinder a disposé pour Lili Marleen d’un budget plus que conséquent lui permettant de déployer les fastes d’un cinéma à l’ancienne (vastes décors de studio, mouvements de caméra sur rails, abondante figuration), qui n’est pas sans rappeler celui que pratiquait son maître vénéré Douglas Sirk dans Le temps d’aimer, le temps de mourir.
S’inspirant librement de l’autobiographie de la chanteuse Lale Andersen (Der Himmel hat viele Farben / Le ciel a de nombreuses couleurs), le cinéaste ne recule pas devant ce que les Allemands appellent avec mépris la Kolportage, c’est à dire le roman de gare, et à activer tous les ressorts éprouvés du mélodrame.
Pour évoquer l’Allemagne du nazisme et de la guerre totale, Fassbinder pastiche ouvertement l’esthétique UFA du cinéma de l’époque, et qui avait perduré dans les années 50. Cadrages lourds de sens, éclairages sophistiqués, effets dramatiques soulignés par la musique, acteurs traités comme des stars (et nombreuses gloires passées défilant dans les rôles secondaires) : tout évoque ce cinéma de confection se parant des atours du Grand Art, définition même du kitsch (un esthétisme figé, mort, qui devient pur véhicule idéologique).
Ce kitsch de super-roman-photo est d’une certaine manière l’essence même du nazisme et Fassbinder, en prenant le risque de jouer le jeu sans (trop) s’abriter derrière les facilités du jugement à postériori, a certainement choisi l’approche la plus pertinente.
D’autant que les couleurs criardes, les ruptures de ton brutales, la révélation crue de l’envers du décor ou encore la musique faussement grandiloquente de Peer Raben installent une distance qui met bien en évidence le caractère fallacieux de cette esthétisation du réel et l’aliénation de tout un peuple embarqué dans ce qui ressemble à un mauvais film.
Cette impression de fausseté, de malaise, qui fait ressembler le film à un cauchemar clinquant, est accentuée par la post-synchronisation, en particulier par les improbables voix allemandes de Giancarlo Giannini ou Mel Ferrer, et par la prestation de Hannah Schygullah qui assume crânement le côté factice de son rôle tout en irradiant une très forte présence à l’écran. Le fait qu’elle n’ait pas la voix ni la technique d’une chanteuse de l’époque (absence flagrante de projection, notes à la limite de la justesse) est d’ailleurs souligné plutôt que gommé.
Lili Marleen est donc une bien étrange superproduction dont le succès, considérable à sa sortie, semble avoir reposé en partie sur un malentendu, le paradoxe de Fassbinder étant qu’il réussit à déjouer les pièges de la nostalgie tout en y sacrifiant ouvertement et à émouvoir sans permettre au spectateur de céder à la moindre complaisance, ne lui autorisant aucune illusion sur le caractère pernicieux du sentimentalisme de la Schnulze (rengaine à succès) célébrée par le film.
Le test DVD
Le film de Fassbinder est proposé à l’unité, à partir du 4 avril 2012, par Carlotta dans une édition simple, sans compléments, mais de bonne tenue, en même temps que le plus rare Whity
Les suppléments
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Aucun supplément n’est proposé pour cette édition en série économique.
Image
La jaquette annonce un nouveau master restauré. L’image est effectivement tout à fait correcte, le rendu de la colorimétrie et des éclairages ne trahissant pas le travail très élaboré, à base de filtres (pour déjouer la nostalgie), du chef opérateur Xaver Schwarzenberger. On avouera néanmoins une très légère déception par rapport à la qualité habituellement proposée par l’éditeur : les couleurs ont tendance à baver et, pour peu qu’on s’approche de l’écran, des fourmillements pourront gêner les adeptes du piqué irréprochable.
Son
La piste mono très propre dégage nettement les voix et permet à la musique de Peer Raben et à ses arrangements toujours différents de la chanson de produire leur effet déstabilisant. La version française d’époque est elle aussi de bonne qualité. On ne la recommandera pas pour autant tout en concédant que, pour une fois, elle ne sonne pas beaucoup plus faux que la version originale ostensiblement post-synchronisée.
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