Le 10 juin 2014
- Scénariste : Karrie Fransman>
- Dessinateur : Karrie Fransman
- Collection : Lune Froide
- Genre : Drame
- Editeur : Presque Lune
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er avril 2014
- Durée : 1
La Maison qui Grince se déroule quasiment en huis-clos dans une petite maison identique à toutes les autres petites maisons de cette rue uniforme, trop uniforme. Pourtant, cette demeure nous livre un conte noir traversé par des personnages troublants, troublés voire névrosés dont les chemins de vie se croisent pour le meilleur mais aussi pour le pire.
Résumé :
Barbara loue un appartement situé au 141 Rottin Road. Au fur et à mesure de son emménagement, la jeune femme nous fait découvrir une galerie de voisins intrigants et curieux. Au-delà de la vie de Barbara, ce sont les quotidiens de Matt, Janet, Brian et quelques autres que nous explorons. Et qui dit voisins intrigants, sous-entend également relations ambigües...
Notre avis :
Une histoire qui démarre simplement : « Nouveau boulot. Nouvelle ville. » comme l’annonce Barbara en arrivant dans cette maison. Et, par de simples passages de relais visuel – Barbara croise un de ces voisins - ou sonore – un bruit nous emmène ailleurs -, nous quittons Barbara pour suivre une autre personne. Au fur et à mesure des chapitres, cette chronique sociale devient tout doucement plus sombre. Chaque voisin de Barbara traîne sa petite - ou grosse – névrose. Cette histoire chorale nous amène à plonger dans le passé de chacun et l’on tombe dans la psychologie poussée ou simple parfois. Mais l’auteure ne s’arrête pas là. Une touche de féérie inattendue vient embellir ou noircir l’histoire.
Même l’immeuble semble prendre vie. Sa vieillesse, donc son mauvais état, influence la vie de ses habitants – fuite d’eau, vétusté -. La maison semble aussi s’exprimer par les sons. Karrie Fransman effectue un vrai travail sur la représentation des sons, au-delà des simples onomatopées. Elle les représente comme des nuages envoûtants, des poids énormes qui vous étouffent et ainsi de suite.
L’éditeur Presque Lune a pris soin de ne pas toucher à ces sons et à les garder en VO avec des astérisques renvoyant aux traductions situés en bas de page quand cela est nécessaire. Un excellent choix qui conserve la force du travail de l’auteur.
Karrie Fransman nous distille à petites doses les tenants et aboutissants de cet univers morbide. Elle contrebalance habilement ce qui pourrait être un conte totalement oppressant par des touches de poésies visuelles, comme cette dame si discrète qu’elle se fond naturellement et visuellement dans le décor. En-dehors de ce petit exemple, nous tairons les vies de ces voisins car il s’agit d’autant de surprises qui vous étonneront à la lecture.
Tout nous prépare inconsciemment au dénouement, en nous réservant de beaux moments inattendues. Narrativement, le seul reproche que l’on pourrait faire à ce récit apparemment simple mais savamment construit, c’est sa chute. En effet, l’histoire se finit et s’ensuit plusieurs conclusions correspondant à chaque personnage. Même si la plus belle est gardée pour la clore la BD et que chacune apporte du sens à l’histoire et à la vie de chaque protagoniste, cet enchaînement est un peu lourd devant la subtilité du récit.
Mais c’est bien la seule ombre négative qui obscurcit le tableau de cette maison.
L’auteure parle ainsi, sans en avoir l’air, de plusieurs thèmes. Tout d’abord la solitude, illustrée par ces gens qui vivent, se croisent, se saluent mais ignorent tout des drames et plus simplement de la vie de leurs voisins. Tout ceux qui vivent en immeuble comprennent très bien ce message. On repense à ces voisins croisés tout au long d’une vie, aux rares occasions d’échange données par le hasard et sans doute à tous ces moments de discussion que l’on n’a jamais créé.
Au-delà de la solitude, l’auteure évoque aussi nos petites obsessions, plus ou moins graves. Obsessions tournant autour de la chair ou de la chère voire des deux. On se rend compte que ces obsessions si particulières rejoignent la solitude. Elles se révèlent comme étant une expression de la solitude. A moins que ce ne soit l’inverse, ces obsessions poussent ceux qu’elles hantent à la solitude... Seule Karrie Fransman détient la clé. Elle nous dresse un puzzle aux pièces enchevêtrées, aux sens mystérieux, qui vous frapperont peut-être lorsque vous relirez cette histoire.
Pour donner vie à son histoire, l’auteure adopte un style particulier pour nous entraîner entre ces murs. Le choix des couleurs est étonnant et frappe dès la couverture : Bleue et surtout découpée, afin de voir des morceaux de la page de garde, comme si vous regardiez à travers les fenêtres de la maison ! Fascinant et astucieux. Ce bleu est l’unique couleur omniprésente qui laisse peu de place au noir et blanc pourtant bien présent. Un choix fort pour une histoire forte. Les personnages sont aussi stylisés, peu réalistes mais pas caricaturaux pour autant. Mon seul reproche repose sur le fait que je n’ai pas accroché aux dessins de ces joues rondes. Le travail de simplification du visage les font tous se ressembler mais pourtant, par leurs cheveux, leurs allure, ils sont différents et il n’y a pas de confusion possible.
Le cadrage sait alterner entre grand dessin d’une page et découpage extrême. Les angles de vue nous rapprochent parfois au plus près des corps ou nous donne une vision d’ensemble, supprimant les murs afin de nous permettre de savoir ce qui se passe dans deux appartements en même temps.
Karrie Fransman jongle avec les choix de mise en page pour nous donner des points de vue improbables, mais narrativement importants. Des images simples qui en racontent beaucoup, alternant fantastique, obscurité, tendresse, angoisse et poésie.
La Maison qui grince est une histoire captivante, qui nous emporte loin des clichés en osant des parti pris forts et originaux, qu’ils soient visuels ou narratifs. Un récit sombre où chacun détient la clé de son bonheur... ou de son malheur.
Galerie photos
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