Le 20 novembre 2013
- Scénariste : Jim
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : BAMBOO
- Date de sortie : 1er novembre 2013
- Plus d'informations : Le blog de Jim
Les éditions Bamboo nous ont permis de rencontrer Jim pour une interview à l’occasion de la sortie du tome deux d’Une Nuit à Rome.
Pour la sortie du tome deux d’Une Nuit à Rome, Jim parcourt la France, de ville en ville et de train en train. Par chance, j’ai eu l’opportunité de le croiser lors de son passage à Paris.
Il a accepté de se prêter au jeu de l’interview. Rendez-vous est pris dans un troquet parisien. Je franchis la porte du lieu prévu à l’heure dite et me voilà en face de Jim. Un grand sourire, une main tendue, le tout saupoudré d’une gentillesse à toute épreuve, voilà quel fut mon premier contact avec l’auteur d’Une Nuit à Rome, mais aussi entre autres d’Une Petite Tentation, de Jingle Sex et de 500 idées pour..., car cela fait une dizaine d’années que Thierry Terrasson officie dans le monde de la BD, en tant qu’auteur et dessinateur sous le pseudo de Jim ou celui de Téhy. Bonne nouvelle, il a l’intention de continuer encore longtemps, et ce à ma grande satisfaction.
Heureusement pour vous, chers lecteurs, le hasard a fait que nous avons eu plus de temps qu’initialement prévu, voilà donc le fruit de cette mémorable rencontre.
Bonjour Jim.
Le tome deux de Une Nuit à Rome va sortir. Vous êtes également sur la préparation de l’adaptation au cinéma de cette BD, peut-on dire que cette histoire vous a réservé de belles surprises ?
Oui, oui ! Surtout vu la façon dont cela a été fait à l’origine… ! Au début, j’ai réalisé dix pages, je n’avais pas d’histoire, c’était juste une envie graphique. Après, je me suis cassé la tête pour écrire un scénario. Je suis parti de pas grand-chose, et tout est allé crescendo. Il y eut aussi le plaisir de l’éditeur qui croit au projet et avait envie de le porter. L’adaptation au cinéma sera réalisée par Jacques Malaterre… je vois aujourd’hui les piles de bouquins en librairie. C’est marrant, ça devient autre chose. Oui, je vais de surprises en surprises avec cet album !
Pour l’adaptation cinéma, vous avanciez en parallèle de la création du tome deux ?
Oui, cela a été une énorme pagaille ! À la fin du tome un, avec Jacques Malaterre, on s’est lancé sur l’écriture de l’adaptation cinéma. Et pendant qu’on travaillait le film, j’avançais en même temps sur le tome deux. Mais un scénario cinéma n’est pas la même chose qu’un scénario BD. Les personnages n’évoluent pas de la même façon. Par exemple, le personnage d’Arnaud a deux courbes d’évolution différentes entre le cinéma et la BD…
Du coup, au début du tome deux, j’ai eu besoin de quinze pages pour rentrer dedans. J’ai dû beaucoup retravailler ce début, pour que les lecteurs sentent le moins possible ce flottement. Mais quand je revois ces pages, moi, je vois que j’étais paumé. Je savais où j’allais, mais ça s’emmêlait un peu, il y avait quelques nœuds dans ma tête (rires).
Aujourd’hui, vous portez plusieurs « casquettes » entre scénariste BD, cinéma, storyboardeur, auteur de théâtre avec Cartouche.
J’ai fait récemment également un peu de boulot pour du jeu vidéo, on vient de me le demander (rires). Je suis multi fonction, un peu comme un couteau suisse !
D’où vous vient cette volonté d’élargir votre domaine d’activité ?
À la vérité, je ne suis pas passionné par le monde du jeu vidéo, c’était juste une opportunité. Ma vraie volonté est d’être un auteur de BD qui s’ouvre vers le cinéma. J’ai un lien avec le cinéma, mes histoires sont souvent des films que j’adapte en BD car c’est plus facile et je peux tout maîtriser. Ce lien est toujours là. Du story-board, je n’en fais plus depuis pas mal d’années. Mes deux activités principales sont vraiment la BD et l’écriture de longs métrages.
J’ai vu que vous aviez réalisé vos propres courts.
Eh oui ! C’est pareil, toujours l’axe cinéma. J’aimerais passer à la réalisation et donc je m’entraîne sur des courts métrages, j’essaie de progresser. Moi qui suis un solitaire qui reste enfermé toute la journée, je découvre ce que c’est de que de travailler avec une équipe, de parler avec des vrais gens, autre que des personnages de bande dessinées… C’est différent ! (rires)
Des deux expériences, vous préférez le travail solitaire de l’auteur ou le travail d’équipe du tournage, de la réalisation ?
Il y a plusieurs étapes, j’adore le travail solitaire de l’écriture. Je trouve cela vraiment agréable. Après, le travail solitaire du dessin d’un album, superviser la couleur, les lettrages, n’est pas la partie la plus exaltante, mais il faut le faire. Alors que sur un court, les moments passés à créer sont des vrais moments de vie. On se remplit des souvenirs, des relations à l’autre. Des richesses se créent. A la fin de la journée, il s’est passé ceci, j’ai découvert cela aussi sur moi. Alors que si on vit une journée comme auteur de BD, au mieux, on se dit, « ouah, j’ai réussi ma case » ou encore, « j’ai presque fait ma page », on est content et on passe à celle d’après… mais en repensant à une vie passée à dessiner, on ne se dit pas « c’était fou ce jour là, incroyable ! » Au contraire, c’est un peu monotone, je suis dans mes pensées, c’est une sorte de repli intérieur. Bon, c’est assez agréable : il n’y a pas de conflits, on peut faire une sieste quand on veut… mais on est moins dans la vraie vie.
La vraie vie, j’y plonge quand le bouquin sort et qu’on rencontre des gens qui l’ont lu, qui vous en parlent. Par exemple, en ce moment, je me sens plus dans la vraie vie.
Est-ce que vous auriez envie de raconter des histoires vers d’autres supports ?
J’aimerais bien faire des romans, du théâtre, écrire des séries télé. Oui, aller vers d’autres choses. C’est insupportable ! Il y a trop de vies qu’on aimerait vivre. Alors on empiète sur le sommeil, d’où le besoin de sieste. Tout se recoupe ! (Rires)
Pour Une nuit à Rome, dans le travail d’écriture, qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous ?
Le plus dur... Quand on fait une BD qui ne marche pas, ce n’est pas facile. Mais quand on fait une BD qui touche les gens, on découvre aussi d’autres difficultés, celles de « l’après ». Après un premier tome, on se dit que les gens ont pu se projeter une fin, s’ils ont aimé cette fin imaginée, ils peuvent être déçus par la fin qu’ils vont découvrir... C’était ma pression de tous les jours : faites que les gens ne soient pas déçus par le tome deux. D’où le fait que je déborde sur le plan de travail. J’ai rajouté vingt à vingt-cinq pages, parce que je voulais aller au bout de toutes les pistes.
Et puis comme je travaille sur ce projet-là de manière un peu anarchiste, je ne pouvais pas avoir tout le scénario et après l’exécuter, le dessiner. Je me serais ennuyé. J’avais besoin d’avoir des moments où je me disais « ça je peux l’orienter comme cela ou comme ceci ». C’était une sorte de glissade permanente, où l’on garde le contrôle tout en laissant la place au hasard. Le plus dur était, avec ma méthode foutraque, de donner l’impression que tout était construit, que tout se tenait. Un vrai boulot d’équilibriste !
Autre difficulté, j’avais fait dix pages sans scénario au début et il fallait que je retombe sur mes pattes, bien inclure toutes les pistes lancées... C’est dur mais c’est ce qui faisait le plaisir. Presque comme si je m’étais amusé à m’auto-piéger, et je voulais voir si je pouvais m’en sortir ! Une sorte de jeu avec moi-même. Sans doute pour rendre un peu plus passionnantes les journées passées à travailler sur l’album.
Vous avanciez en parallèle l’histoire et le dessin ?
Non, non, au bout d’un moment, il faut quand même écrire. J’ai démarré comme cela et vers le premier tiers du tome deux, j’ai écrit la fin et je m’y suis tenu à 90 %, je suis obligé. Là où je me piège moi-même, c’est parce que je suis dessinateur et scénariste. Le dessinateur empiète sur le scénariste. Je me dis « tiens, là, je vais faire une grande case, ce sera plus joli » après ça décale tout. Mais c’est agréable de ne pas se priver de rendre attractif des passages de l’histoire.
Avez-vous eu peur que Raphaël, le protagoniste, devienne antipathique ?
Non, je n’ai pas eu cette peur, mais je frôle ça tout le temps. Quand Raphaël laisse sa copine Sophia dans le train, c’est vraiment un salaud, mais… je l’aime bien, je le comprends, je n’agirais pas comme cela, mais je le comprends. Il se retrouve devant deux choix et va vers celui qui n’est pas le plus raisonnable. Ça me plait bien qu’il ne soit pas aimable pour tout, qu’il soit obligé d’aller dans des directions où ça devient désagréable même pour lui-même.
Peut-être qu’il est antipathique mais je ne me suis pas dit « Ah, là on va arrêter de l’aimer. » J’essaye de faire attention tout le temps à ce qu’on aime toujours le personnage.
Tout n’est pas super réfléchi. On se lance et on agit à l’instinct. C’est un grand avantage de la BD par rapport au cinéma où il y a plein de filtres : les gens lisent, budgétisent...
En BD, on est seul avec une vraie liberté et c’est pour cela que les producteurs sont intéressés par les auteurs de BD, pour cette liberté. Cette spontanéité. Elle est source de création. Alors que si on n’écoute que les producteurs pour écrire, on est vite limité, comme enfermé dans une boîte trop étroite…
Marie est sur les couvertures, elle ouvre l’histoire puis on bascule du point de vue de Raphaël, absent de la couverture et de l’introduction, pourquoi ce choix ?
D’abord, le plaisir du dessinateur hétérosexuel qui prend plaisir à dessiner une femme. Et c’est vrai que les lecteurs en dédicaces aiment souvent demander une femme. Je voulais mettre Raphaël au départ, mais c’était moins séduisant. Il y avait une espèce de mélancolie chez Marie, on la sent dans la couverture du tome deux.
C’est aussi une incapacité de ma part à faire une bonne couverture avec le héros dessus. C’est plus tentant de faire une belle pose féminine. J’avoue, c’était par faiblesse… Et je ne suis pas sûr que le héros en petite lingerie sur la couverture dégage le même charme (rires).
Parmi les personnages secondaires, j’ai trouvé touchante l’histoire de la mère de Sarah, du couple Alexandre et Sarah, cette idée de demander à Damien, le petit ami de Marie, de faire des photos de cette femme.
Ça, c’est une vraie histoire personnelle. J’avais une vingtaine d’années. A un repas familial, on m’a demandé « est-ce que tu peux filmer mamy ? ». Je filmais tout, tout le temps. Pas de souci. Mais en le faisant, je me suis rendu compte de l’aspect bizarre et dérangeant. Je filme quelqu’un qui va mourir, dans un an, dans cinq ans, pour que les vivants puissent garder une trace. Du coup, comme plein de choses qui me touchent ou me dérangent dans la vraie vie, j’aime bien essayer de les glisser dans mes BD.
Cette grand-mère m’a posé des problèmes à l’écriture du tome deux car j’avais rédigé toute une scène qui développait ce personnage. Et j’avais trop de pistes, donc à regret j’ai dû l’abandonner. J’ai refait une allusion, on la revoit deux fois, mais je n’ai pas poussé son personnage autant que je l’aurai voulu, car c’était trop long.
Il y avait la piste d’Arnaud que je voulais développer et si je suivais les parcours de tout le monde, je me retrouvais avec une fin à rallonge. Donc j’ai décidé de la couper. Vous avez ressenti ce manque ?
Oui, dans le tome deux, j’ai la sensation qu’on perd un peu ce personnage.
Oui, oui, tout à fait. Elle avait comme valeur symbolique d’exprimer l’amour absolu et la personne fidèle. Comme on était sur des parcours de gens confrontés à l’infidélité, qui se posaient des questions… elle exprimait l’amour absolu qui perdait vie quand l’être aimé disparaissait. Au départ, Marie était photographe en lieu et place de Damien, et j’avais écrit une scène où la petite fille de Sarah allait parler à sa grand-mère. Marie faisait des photos de cette discussion et la petite fille redonnait goût à la vie à sa grand-mère. Malheureusement, je n’avais vraiment pas la place. Après ce sont des choix. J’avais imaginé plein de choses pour certains personnages. Par exemple, Damien rencontrait une femme dans la nuit et je voulais développer un peu cette idée. J’avais aussi écrit une scène en Suisse entre Marie et Damien… Mais on est obligé de faire monter des personnages et d’en baisser d’autres. Surtout quand le dessinateur prend de la place et s’étale (rires). Ce dessinateur me bouffe, je vous dis !
Est-ce que la photographie est quelque chose qui vous attire ? Ou que vous pratiquez ?
Oui, je pratique un petit peu. Ça m’intéresse. Je l’utilise pour des dessins, c’est très pratique pour saisir des poses, pour sortir de ce qu’on dessinerait naturellement. Si je fais une photo, tout d’un coup, je me dis « Tiens je ne l’avais pas vu comme cela ». Un détail de pli, un détail d’expression apparaissent.
Par exemple, à un moment, Raphaël téléphone en se pinçant le nez. Ce mouvement, aucun dessinateur ne peut y penser, il faut vraiment voler ce moment dans la vraie vie. J’essaye de plus en plus de le faire : attraper des moments qui fassent vraie vie pour être proche des personnages, pouvoir embarquer avec eux.
Était-ce important que chaque couple, chaque personnage de l’histoire se retrouve aussi à un moment de choix, face à un passage difficile ?
Non, ce n’était pas pensé… mais oui, c’est important ! Ça rend les choses intéressantes. De toute façon, il faut toujours mettre les personnages en situation compliquée pour pouvoir s’en amuser. Mais je n’avais pas de petites fiches avec chaque personnage en me disant « Il faut les orienter comme cela », non non… Je marche beaucoup plus au ressenti, à l’impulsion…
Pour vous, la thématique globale, la phrase que vous aimeriez que les personnes qui referment les deux tomes se disent, ce serait laquelle ?
Je sais pas du tout. Ce serait sans doute... que l’aventure du couple est une chose insensée ! Je trouve cela vraiment passionnant. J’aime l’idée qu’on sache que c’est perdu d’avance mais qu’on essaye pourtant d’y arriver. Je trouve cela joli. L’idée de résistance du couple qui veut tenir et pourtant voit d’autres couples se défaire partout autour de lui. J’aime jouer avec cela. La raison et la tentation, ces deux choses opposées. J’aimais bien jouer sur une Marie, plutôt un personnage venin, qui va séduire Raphaël. Lui a envie d’aller au bout de cette histoire mais il sait que ce n’est pas une femme qui va lui faire du bien. De l’autre côté, il est avec une femme qui s’appelle Sophia et qui a toutes les qualités pour le rendre heureux. Mais est-ce qu’un homme a juste envie d’être heureux ? Pas forcément...
Mon envie, c’était de jouer avec tout cela.
Marie est un personnage, comme vous le décrivez, très venin pour Raphaël. Une femme à laquelle on s’attache, car il y a cette recherche de refus, la peur du cadre, l’envie de se dire qu’il doit y avoir une vie qui permette de s’épanouir...
Finalement, on a l’impression qu’avec Raphaël, elle avait envie de ce cadre, elle le refuse et en a aussi envie. Elle éprouve une espèce de lassitude à vivre à la marge, des amours différentes. Dans la version film, nous avons beaucoup plus travaillé sur un couple libre qui joue avec les limites de ses libertés. Cette thématique est juste effleurée dans la BD.
Dans l’épilogue et le prologue, je suis étonné par l’emploi du futur. Comme si vous racontiez la fin de l’histoire, en sous-entendant qu’il y a peut-être une chance que ça n’arrive pas ?
Ça me fait plaisir que vous le remarquiez, j’ai voulu exprimer par là une sorte de sentiment d’inéluctable qui se dégage des vies toutes tracées. Il y a un rouleau compresseur de la vie, les choses s’enchaînent, voilà ce que je voulais exprimer à la fin. Le temps qui passe, quoiqu’on fasse. Être ou ne pas rester dans le cadre, telle est la question qui hante les personnages…
Parlons du dessin. Comment avez-vous fait votre choix pour le travail du dessin qui est très réaliste et en même temps très estompé ?
Sous le nom de Téhy, j’avais un dessin très appliqué. Je suis revenu au réalisme après être passé par l’humour. J’avais un style très soigné, un dessin délié avec de beaux traits, en tout cas soignés. Puis j’ai fait un album d’humour, Le Dernier Socialiste, avec un trait plus jeté. En fait, ce trait appliqué au dessin réaliste donne plus de vie. Il est plus rapide à faire, peut se permettre d’être un peu approximatif, il va plus à l’essentiel, il donne plus de mouvement, il aide à la vie du personnage.
Dans les décors, par exemple avec un grand bâtiment rempli de fenêtres, ce n’est plus tellement ma préoccupation que toutes les fenêtres soient correctement alignées et bien faites comme dans une aventure d’Alix. Je peux les enchaîner rapidement, on voit que c’est un bâtiment. Du coup, on sent plus la vibration de l’air. J’ai fait ce choix de quelque chose de plus lâché, plus libre. Même si ce n’est pas vraiment très lâché au final.
J’ai fait beaucoup d’expériences, au début. Je travaillais de manière beaucoup plus lâchée. Ça faisait un peu brouillon. Alors j’ai cherché jusqu’à trouver un équilibre, un peu lâché mais pas trop. Je dessine aux feutres et cette recherche m’a libéré. J’ai l’impression qu’en arrêtant de vouloir faire en sorte qu’il soit beau, mon trait a acquis une petite beauté plus naturelle.
J’ai aimé ce style et le contraste avec les personnages plus précis, qui vivent dans ces décors un peu troubles.
Troubles, pas vraiment, mais les décors vibrent un peu. Ils ne sont pas figés. En fait, ça permet de gagner un mouvement, un élan qui évite de tomber dans un cadre trop rigide.
Vous travaillez aux feutres, sur du papier. Vous utilisez beaucoup l’ordinateur ?
Je mélange de plus en plus les deux. Je travaille sur papier ou calque avec la table lumineuse. Puis je scanne les dessins, personnages, décors et cases à part. Après, il s’agit d’un jeu d’assemblage à l’ordinateur. je retouche les dessins à la tablette.
Je suis normalement le candidat idéal pour passer à la Cintiq (palette graphique - écran) mais pour l’instant je résiste. Il y a un truc que j’aime bien dans le fait de dessiner à la main, à l’ancienne. Mais bon, je risque d’y passer un jour. J’ai juste peur de ne pas avoir la même vision de la page dans son ensemble. Je redoute un peu la phase de transition, où il faut s’habituer à l’appareil et faire des pages un peu plus artificielles avant de le maîtriser.
Vous jonglez facilement entre le dessin papier et le dessin palette ?
Pas idéalement. C’est un peu différent, même dans le trait. Je m’en aperçois dans les cases. En regardant bien, on voit ce qui est dessiné numériquement, car le trait scanné est parfois... peut-être un peu plus sale. Heureusement, je pense que les gens ne s’y arrêtent pas. Vous avez remarqué de grandes différences ?
Non, non.
C’est un mélange des deux, continuellement. Parfois, il y a une ou deux cases faites à la tablette, ça dépend. Mais on avance vers cela, inévitablement.
Dans mon cas, c’est un autre problème qui me hante : j’avais des petits feutres que j’adorais, je faisais tout avec pendant des années et des années. Mais la société qui les produisait a arrêté de les commercialiser il y a cinq ans. Alors j’épuisais ces feutres tout en cherchant des équivalents. Malheureusement, je n’ai rien trouvé qui me plaisait.
Mon copain Philippe Fenech possédait une boîte de ces feutres. Philippe vient de passer au tout informatique et du coup, il m’en a donné une vingtaine. Avec cela, je pourrai tenir une petite année. J’en suis ravi, car il y a un vrai plaisir à son outil chéri ! Je dessine sur n’importe quel papier, je m’en fiche, mais le feutre fait un peu le trait.
C’est un outil très agréable.
Pour le travail de mise en scène, comment passez-vous de l’écriture à la définition des cadres, des angles de vue ?
C’est la phase qui me plaît le plus, qui est la plus importante. Comment on raconte l’histoire est parfois plus intéressant que ce qu’on raconte. En fait, on peut vraiment saccager une narration avec un mauvais découpage. Je fais donc très attention. J’effectue traditionnellement un découpage à la main avec rough et tout ça. Mais comme je monte les pages sur informatique, il y a parfois des phases où je teste, je déplace des éléments et je cherche... Le but est de trouver la page la plus fluide, la plus simple possible, qu’elle semble évidente. Qu’on se dise que c’est la meilleure façon de raconter l’histoire. Le découpage, parfois on le sent bien et parfois on ne le sent pas bien. Alors on refait des essais. J’ai quelque fois des pages avec tout un tas de versions.
Par exemple, l’entrée dans l’hôtel m’a posé plein de problèmes, je n’avais pas une très bonne vision du lieu et j’ai dû faire beaucoup d’essais avant d’arriver au résultat final.
Ça représente beaucoup de recherches, de travail. Parfois, je partage cela sur mon blog.
Votre blog est très axé sur Une Nuit à Rome ?
C’est vrai que je parle surtout de ce projet. Je montre des étapes de travail, je partage quelques réflexions. Une Nuit à Rome est une histoire que je porte depuis plusieurs années maintenant.
Je vais enchaîner sur le prochain projet, mais là, je me consacre à cette histoire.
Grâce à votre blog, on découvre différentes parties de votre travail, comme celui sur l’impression. Sont-ce des choses qui vous prennent du temps ?
Ces choix sont à faire pour tous les albums. Une Nuit à Rome est vraiment bien imprimé. En faisant le blog, je n’ai pas pensé à tout ça. Aujourd’hui, je réalise qu’on pourrait partager encore plus.
Je raconte au fur et à mesure des petites choses, on pourrait pousser le jeu en racontant des détails, les problèmes rencontrés, les discussions de contrats, les problèmes financiers liés au fait de rajouter des pages à un album. On pourrait croire que j’en dévoile beaucoup, alors que non, en fait. Je vais réfléchir à cela. Je pourrais aller plus loin, car les lecteurs sont sensibles à l’envers du décor et m’en parlent de plus en plus.
Une fois que l’album est prêt, on pense que tout est fini. Grâce à votre blog, on découvre tout le travail qui suit la fin du dessin d’un album.
Il m’est arrivé sur des albums déjà sortis qu’on retravaille sur les couvertures et les couleurs pour une future réimpression. Des choses auxquelles on ne pense pas vu de l’extérieur. Pour la réimpression du tome un, j’ai peaufiné un dessin, je le trouvais moyen et je n’ai pas pu m’empêcher de le retoucher. Si je m’écoutais, et je ne vais pas le faire, je pourrai faire une version rallongée pour parler de la grand-mère.
On va faire une intégrale d’Une Nuit à Rome. Comment faire l’édition des deux albums en une intégrale ? Comment gérer le passage entre les deux tomes ? Au début du tome deux, j’ai placé quelques éléments de résumé qui peuvent faire redondant dans une intégrale quand on lit les deux albums d’affilé. Peut-être que je vais retravailler ces pages, ou bien mettre une page blanche de séparation au milieu. J’avoue, j’ai un peu envie que ça ne s’arrête jamais. C’est mon côté Georges Lucas avec Star Wars (rires).
D’ailleurs, d’où vient l’idée de ce texte à la fin du tome un ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de partager cela avec le lecteur ?
J’aime bien partager, dévoiler un peu la conception. Quand on discute, je ne mets pas vraiment de barrière, je raconte les choses comme elles sont. Lire un livre en sachant comment il a été fait, ça m’intéresse. Du coup, je me dis que ça peut intéresser les lecteurs. Ça crée une sorte de sas. Sur Petites Éclipses avec Fane, on avait indiqué au début notre mode de fonctionnement… Je trouve que c’est une belle porte d’entrée ou de sortie : savoir comment c’était pensé. Il s’agit d’une forme de bonus, comme un prolongement. Ça permet d’être intime avec les lecteurs, ça m’intéresse d’en parler avec eux. J’ai fait cela avec passion, et j’explique ce qui m’a guidé.
Ce n’est pas tellement réfléchi. J’arrive à la fin de la BD, je me dis « on va laisser ça comme cela ? Ben non. » Je pourrais me contenter de le mettre sur le blog, mais j’aime bien le lier à l’album.
J’ai un autre truc : j’adore la maquette, j’adore penser au bouquin, à la couverture, la typo, la maquette intérieure. Tous les auteurs ne sont pas fanas de ces étapes là, moi, je suis très client de tout ça, l’enrobage me plaît ! Rajouter des pages de vides, de textes, pour que l’objet soit plus joli, plus épais, qu’il soit d’une belle tenue. J’aime bien avoir plusieurs pages titre par exemple. Quand je lis, j’aime bien tourner plusieurs pages titres pour entrer dans l’histoire. Pour moi, ça donne le temps de pénétrer l’histoire. C’est le côté générique de début et de fin.
Le tome un s’ouvre par deux citations. Vous les avez cherchées après, ou elles étaient présentes avant ?
C’était pendant. En tombant dessus, je me suis dit que c’était vraiment la thématique du livre. Parfois c’est dans l’autre sens. Là, sur FaceBook, je suis amie avec une fille qui écrit beaucoup, je ne crois pas qu’elle a été publiée. A un moment, elle a mis en ligne un texte que je trouvais très bien, qui était dans l’esprit et la thématique d’un album que j’écris en ce moment. Alors je lui ai demandé si je pouvais l’utiliser en la citant.
Dans Une Nuit à Rome, c’était Franz-Olivier Giesbert, ce n’est pas un modèle d’écrivain, mais la phrase était tellement bien, si cruelle…
Dans un autre livre, Où sont Passés les Grands Jours, dessiné par Alex Tefenkgi, on a mis une citation de Sartre. C’était un clin d’œil, car un des personnages essaye de comprendre du Sartre, et en plus la phrase fait sens par rapport au thème. Ce sont des trucs pour faire semblant d’être intelligent (rires).
En lisant une Nuit à Rome, à titre personnel, cela m’a renvoyé à d’autres BD ?
Lesquelles ?
Le Voyage en Italie de Cosey.
Il faut que j’aille la lire. Je me souviens de Kate de Cosey, mais je ne connais pas son Voyage en Italie…
Bien que les histoires soient différentes, il y a en commun une mélancolie qui flotte à l’ouverture de l’album et aussi l’histoire des choix. Cette idée du choix est importante pour vous ?
C’est drôle que vous disiez ça, je pensais que je ne le faisais pas assez. Les producteurs cinéma le demandent beaucoup. Et finalement, il faut mettre les personnages à l’épreuve, ça renvoie à ce qu’on ferait nous dans leurs situations. Je découvre que je le fais finalement (rires).
J’ai aimé ce voyage à Rome, et sa fin qui boucle l’histoire, et l’ouvre en même temps.
Est-ce que dans cinq, dix ans j’y retourne ? Je ne sais pas encore. C’est vrai que j’ai du mal à me décoller des personnages, je suis censé attaquer autre chose, mais je n’arrive pas à m’y mettre.
Là oui, j’ai envie d’y revenir, mais il faut être suffisamment sûr que ça ne fasse pas le livre en trop.
C’est tout nouveau. A la fin du tome deux, je me suis dit « Oui, c’est possible ». C’est comme l’envie de revoir des vieux amis. Tout dépend, peut-être que si je n’ai plus d’autre idées, je reviendrais vers Une nuit à Rome, ah ah !… J’espère bien ne retrouver ces personnages que parce que j’aurai VRAIMENT envie de leur faire vivre quelque chose de fort ! Et je suis heureux, j’avoue, d’avoir cette possibilité...
Vous parliez de Où sont Passés les Grands Jours, qui va sortir en janvier. Est-ce un autre projet que vous avez mené en parallèle d’Une Nuit à Rome ?
Non, je l’avais écrit bien avant. Là, j’écris le tome deux de Où sont Passés les Grands jours. En replongeant dans mes notes, j’ai vu que le personnage féminin s’appelait Marie et devait partir à Rome. Il y avait plein de petits éléments qui étaient des prémisses d’Une Nuit à Rome. Donc, tout ce qui était en lien direct, je l’ai ôté. Mais il y a un tronc commun, j’avais envie de parler de gens qui m’étaient proches. Ça n’a pas été une écriture qui chevauchait Une Nuit à Rome et qui a mis le désordre dans ma tête, car, par chance, c’était antérieur. Je ne sais pas pourquoi, curieusement, je n’ai jamais pensé que je la dessinerais un jour, cette histoire. Plusieurs copains lecteurs me disaient que c’était mon meilleur scénario alors que je ramais pour écrire Une Nuit à Rome... Je crois que j’avais envie de dessiner l’Italie et d’y plonger entièrement !
J’ai vu aussi qu’une autre BD allait sortir, Un petit livre oublié sur le banc, c’était un nouveau projet ?
Celui-ci, il est dessiné par Mig. Je l’ai écrit en parallèle d’Une Nuit à Rome. J’arrive à mener deux projets de front en écriture s’ils ne sont pas liés entre eux. J’ai été inspiré par quelqu’un que je connaissais. Quand il finit un livre, il ne veut pas le laisser enfermé dans sa bibliothèque, alors il écrit un mot dedans et laisse le livre sur un banc. J’ai imaginé l’histoire de quelqu’un qui trouve ce livre, y inscrit un nouveau mot et le laisse à son tour sur un banc. Le livre disparaît et un lien se noue avec un inconnu. Je trouvais intéressante l’idée qu’on puisse chercher cet inconnu. C’est un contrepied à l’ère numérique. Là, c’est l’histoire d’un livre papier. Ce n’est plus un mail qu’on envoie, mais un objet qu’on dépose. Il s’agit d’une rupture réelle par rapport à notre quotidien informatisé.
Un petit livre oublié sur le banc sera, je l’espère, une BD pour les amoureux des livres, sur les mots, un jeu de piste, une sorte de comédie romantique sur un message laissé entre les lignes...
Merci beaucoup, Jim, pour votre disponibilité et vos réponses.
Ce fut un vrai plaisir. Merci pour la pertinence de ces questions ! Et à bientôt, j’espère.
Cette interview fut un réel plaisir, et une très belle occasion d’écouter un auteur nous parler non seulement de son univers, mais aussi de son mode de travail.
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