Le 27 octobre 2006
Un grand écrivain dont l’influence ne s’est pas éteinte, cent ans après sa mort...
Un grand écrivain dont l’influence ne s’est pas éteinte, cent ans après sa mort...
Dire "Jarry" c’est penser "Ubu". Réducteur mais pas si faux que ça. La faute à Jarry lui-même qui, dès la première d’Ubu roi, prend dans la vie courante le ton boursouflé et les attitudes outrancières de Firmin Gémier, énorme acteur, interprète de son personnage. Dès lors, le reste de sa production, romans, poèmes, essais, journalisme, passe au second plan, à l’ombre pas très tutélaire du monarque né d’une blague de potaches, désormais immortel.
L’histoire commence en 1888 au lycée de Rennes. Alfred Jarry, natif de Laval, a quinze ans. Avec un camarade de classe, Charles Morin, il écrit une pièce, Les Polonais, dont le caractère principal est le monstrueux Père Heb, cruel avatar d’un prof de physique dénommé Hébert, esquisse d’Ubu, c’est patent. Monté à Paris comme tout un chacun désirant alors consacrer sa vie à la littérature, Jarry rate son entrée à l’Ecole Normale mais réussit à faire éditer un premier recueil de poème. Puis il est appelé sous les drapeaux. Pas pour longtemps, bien vite on réforme ce drôle de paroissien, inapte à la discipline militaire. Le motif : "imbécillité précoce". Plaisante tournure qui dit bien le malentendu sur l’homme et sur son œuvre à venir, qui cherchera à mettre en équation deux attitudes pour lui fondamentales : "la dévotion à la Vierge et l’appétit martial de records" [1]. Il lui reste à peine quatorze ans pour s’exprimer, avant de mourir de tuberculose en réclamant, paraît-il, un cure-dent. Introduit au Mercure de France grâce à Rémi de Gourmont et à Rachilde, Jarry gagne vite l’admiration de nombreux écrivains contemporains en menant des projets très diversifiés, souvent jugés scandaleux. Personnage protéiforme, difficile à cerner, il défie aujourd’hui encore toute définition, sinon celle de "grand écrivain".
"Suggérer au lieu de dire", prônait-il. Un magnifique raccourci de ce que doit être toute littérature, son fil rouge qu’il s’est employé à tisser sous l’égide de Rabelais et de Lautréamont qu’il vénérait. Remettons-le dans son époque. L’avant-garde s’appelle alors "symbolisme" avec, comme chef de file, Mallarmé. Jarry lui prêtera allégeance mais bien vite s’en ira cavaler plus avant, sur des sentiers qu’il est le premier à défricher, ceux qui ouvriront la voie au surréalisme et au théâtre de l’absurde. Le système qu’il met en place dans son essai posthume, Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, défend la "science des solutions imaginaires“. Un programme dont on ne compte plus les émules ultérieurs, de Queneau à Perec, de Beckett à Ionesco, de Vian à Artaud. Si Alfred revenait parmi nous, parions qu’il n’en croirait pas ses oneilles. Cornegidouille !
Autour d’Alfred Jarry
– Notre critique du Surmâle, roman qui vient d’être réédité chez Viviane Hamy
– Notre article sur Jarry, homme de théâtre, intitulé Ubu, Artaud et l’absurde
– Rachilde, la surmâle, un petit portrait de celle qui fut l’un de ses plus fidèles soutiens
[1] Vincent Bounoure in Encyclopaedia Universalis
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