Le 27 octobre 2006

Jarry, ce qu’il a pris, ce qu’il a donné surtout.
Jarry, ce qu’il a pris, ce qu’il a donné surtout.
Nombreux sont les points communs entre le théâtre de Jarry et de Novarina, le dernier avatar de l’avant-garde : néologismes, pastiches littéraires, jeux de mots grivois ou scatologiques à la limite de l’idiotie entre deux raisonnements philosophiques, tout ça pour aboutir à une esquisse de transcendance humaine à travers le langage. En inspirant Artaud ou le théâtre de l’absurde, Jarry a permis d’en arriver jusqu’à ce théâtre-là.
Comme la plupart des auteurs importants, Alfred Jarry a beaucoup pris et beaucoup donné. Erudit, critique littéraire, il semble s’inscrire principalement dans la lignée de Rabelais, le libre penseur grivois, et de Lautréamont qui n’a eu de cesse de vouloir épouser le monde au sens propre comme au sens figuré tout en mettant l’homme, avec toute sa monstruosité et sa splendeur, au centre de son œuvre. Au théâtre, en dehors de Félix Hébert, son professeur de physique qui lui a inspiré le personnage d’Ubu, Jarry s’est mué en pasticheur de Shakespeare et de la tragédie grecque. Pour le reste, il explose plus que tout autre, à son époque, les codes traditionnels de la dramaturgie (unité de temps et de lieu), ne sauvegardant - et encore, c’est tout juste - qu’une certaine unité d’objet. Avec sa multiplicité de personnages et de lieux, Ubu roi les explose tellement que la première version (Les Polonais) est d’abord un spectacle de marionnettes avant d’être créé au Théâtre de l’œuvre par le grand metteur en scène Aurélien Lugné-Poe (1896). Inutile de dire que le public de l’époque est totalement désorienté, sans doute moins par le propos que par la forme.
Si aujourd’hui Ubu est devenu un classique, c’est que ses codes nous sont désormais familiers. Yves Beaunesne, Dan Jemmett, Bernard Sobel, les metteurs en scène n’hésitent pas à monter cette pièce, montrant par là que le spectateur est désormais prêt à accepter une voie différente, délestée du carcan naturaliste ou symboliste. Fondateur du Théâtre Alfred-Jarry, Antonin Artaud est ainsi l’un des premiers à comprendre les enjeux ouverts par cette nouvelle voie, en recentrant la théâtralité sur le corps et la voix de l’acteur. D’autres (Ionesco, Dubillard) se sont engouffrés dans une brèche plus abstraite que l’on dit absurde mais qui a surtout pour vocation de questionner l’homme, tour à tour grotesque et misérable, à travers le langage. Désormais donc, le théâtre de Jarry n’appartient plus au théâtre d’avant-garde mais il continue d’alimenter la scène contemporaine avec plus ou moins de succès.