Le 19 février 2024
- Réalisateur : Nicolas Boukhrief
- Distributeur : Le Pacte
Notre collaborateur Nicolas Colle s’est entretenu avec le réalisateur Nicolas Boukhrief, à propos de son dernier film, Comme un fils.
Après s’être notamment prêté à l’exercice du polar avec Le convoyeur ou du thriller avec Cortex, Nicolas Boukhrief s’essaie désormais à la chronique humaniste et sociale avec « Comme un fils », dont la sortie en salles est attendue pour le 6 mars 2024. Il y dirige Vincent Lindon qui incarne un professeur en crise mais reprenant peu à peu pied dès lors qu’il prend sous son aile un jeune Rom. Le cinéaste revient longuement sur la conception de son nouveau long métrage ainsi que sur son rapport au cinéma.
- Nicolas Boukhrief
- © Julia Rudich. Tous droits réservés.
Votre film est un hommage à l’enseignement, à la transmission, à l’éducation ! C’était votre objectif ?
Absolument. L’idée de ce film est double. Tout d’abord, je souhaitais faire un film sur la communauté Rom, qui est actuellement la plus détestée en France. Traiter du racisme me semblait à la fois juste et nécessaire par les temps qui courent. Ensuite, l’assassinat de Samuel Paty a aussi été un élément moteur. Je tenais à réaliser un film qui puisse rendre hommage aux professeurs qui ont marqué ma vie, comme celui qui m’a incité à écrire alors que je n’étais qu’au CM1. À partir de là, j’ai écris cette histoire sur un professeur en soi, et non pas sur la structure de l’école. De nombreux films dédiés à l’éducation se déroulent au sein même de l’institution scolaire. Il fallait en sortir. C’est à ce moment-là que les deux sujets se sont rencontrés. Avec ce professeur qui s’est retiré de l’école et rencontre une sorte d’enfant sauvage d’aujourd’hui.
Autre originalité, vous abordez la notion d’éducation dans un cadre associatif et bénévole…
En me renseignant sur les Roms, j’ai compris que les jeunes issus de cette communauté vont peu à l’école. Les Roms vivent en autarcie et ne s’imaginent pas scolariser leurs enfants. Certaines écoles ne veulent pas les prendre de peur de faire face à trop de difficultés. Mais certaines associations les prennent effectivement en charge. D’où l’idée de mettre ce cadre associatif au cœur de l’histoire afin d’enrichir le sujet.
Comment décririez vous l’évolution et le cheminement intérieur du personnage incarné par Vincent Lindon au fil du récit ?
C’est un professeur en crise de foi, qui doute de son métier. Comme beaucoup de professeurs aujourd’hui, il s’interroge sur sa vocation. Heureusement, il a l’opportunité de tomber sur un adolescent qui lui permet de retrouver la foi en sa profession et dans son engagement pour la jeunesse.
La crise du corps professoral est d’ailleurs actuellement très commentée dans l’actualité…
Quand nous avons financé le film il y a deux ans, ce sujet intéressait peu de gens. Aujourd’hui, il est effectivement au cœur de l’actualité car le plus haut taux de démission des professeurs a été atteint l’année dernière. L’idée était de questionner comment la structure de l’école telle qu’elle est aujourd’hui peut amener un enseignant à ne plus trouver de sens à son métier et comment la vie va le ramener à l’essentiel et lui faire comprendre qu’il est toujours passionné par l’enseignement dès lors qu’on lui présente un élève hors de toute structure.
Avec un tel film, vous n’allez clairement pas avoir les faveurs d’une personnalité comme Éric Zemmour. Avez-vous écrit cette histoire en réaction à certains discours politiques ?
Je ne voulais pas faire un film politique ou pro-migrant. C’est pour cela que le fait de mettre en avant la communauté Rom me paraissait juste car les Roms sont des Européens. En mettant en scène des Syriens ou des Africains, je n’aurais pas réalisé le même film. Je voulais parler d’éducation, pas d’intégration. Le film dit que la seule façon d’intégrer les jeunes adolescents qui ne naissent pas au cœur de la République, c’est l’éducation. Il ne pose pas la question de savoir s’ils doivent être là ou pas. J’ai voulu donner une humanité aux Roms que l’on peut parfois leur nier puisqu’on ne les voit que comme des voleurs. Ils sont tant stigmatisés. Pour autant, je ne voulais faire un film qui soit pro-Rom ou anti-Rom. Seul m’importait de raconter une histoire d’amour filial et comment deux personnages peuvent changer la vie de l’autre.
- Vincent Lindon, Stefan Virgil Stoica
- © 2024 Eskwad / Le Pacte. Tous droits réservés.
En quoi Vincent Lindon était-il le comédien idéal pour incarner ce personnage ?
C’est mon producteur Richard Grandpierre qui nous a présentés et a suggéré que nous collaborions ensemble. J’ai alors évoqué cette histoire avec Vincent et il s’est montré aussitôt séduit. Il a été un complice de travail dès le début, en me faisant des retours à chaque version du scénario. C’est un acteur à part, avec une nature puissante et affirmée.
Comment avez-vous abordé votre mise en scène ? On sent une volonté d’épure, d’être au plus près de vos personnages ?
Il est vrai que je n’ai pas filmé comme j’en ai l’habitude. Auparavant, je découpais chaque scène et préparais chacun de mes plans. Mais avec un acteur comme Vincent, très instinctif, cela n’aurait eu aucun sens. Il fallait lui laisser de la liberté. Je voulais me laisser saisir par toute cette vie qu’il allait amener sur le plateau. Lorsque je réalisais des polars, cet exercice induisait une certaine mise en scène, proche de Claude Chabrol ou Henri-Georges Clouzot. Ici, je n’ai rien anticipé, j’ai suivi au maximum mes comédiens pour mieux me laisser saisir par leur proposition de jeu. Ce sont eux qui font le film.
Et comment avez-vous repéré Stefan Virgil Stoica, l’interprète du jeune Rom ?
Je tenais tout d’abord à trouver un jeune issu de la communauté Rom mais je trouvais malsain de choisir un garçon vivant dans une grande précarité, puis le mettre en lumière le temps d’un film, avant de le laisser repartir dans son milieu. Il faut bien être conscient que le cinéma met, malheureusement, très peu en avant des personnages Roms. Je me suis donc rendu en Roumanie pour procéder à un casting dans les conservatoires. Ainsi, j’allais permettre à un jeune talent de connaître une expérience s’inscrivant dans le parcours qu’il s’est choisi. J’ai eu un coup de foudre pour Stefan dès que je l’ai vu. Il ne parlait pas français mais anglais. Aussi ai-je pris la décision d’adapter les dialogues en anglais afin que les échanges avec Vincent soient plus fluides. J’ajoute qu’il s’est passé durant le tournage ce qu’il se passe dans le film. En l’occurrence, Vincent n’a cessé de lui donner des conseils sur son jeu et ses futures expériences de cinéma.
Comment expliquez-vous que les personnages Roms soient si peu nombreux dans les productions cinématographiques ?
C’est une communauté qui souffre d’un vrai désamour et suscite beaucoup de méfiance. C’est le problème de tous les nomades. Nous sommes dans une société de plus en plus sédentarisée, libérale, consommatrice. Or, le nomade, c’est celui qui échappe aux lois. De fait, les Roms, les Tsiganes ou les Touaregs sont peu aimés car considérés comme trop libres. Et ils payent cher leur liberté, en subissant notamment une paupérisation importante. À l’inverse, il y a, heureusement, davantage de rôles pour les communautés issues du Maghreb ou pour les jeunes de banlieues. Et avec une représentation plus positive que dans les années 1980 où ils avaient majoritairement des rôles de dealers et de voyous. Désormais, ces personnages sont plus consistants. Par ailleurs, des talents aussi précieux que Tahar Rahim, Leïla Bekhti ou Hafsia Herzi émergent régulièrement.
- Vincent Lindon, Stefan Virgil Stoica
- © 2024 Eskwad / Le Pacte. Tous droits réservés.
Vous vous essayez régulièrement à des genres cinématographiques différents, du polar au thriller, en passant par le drame intimiste et le film social. Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma, et plus particulièrement avec votre cinéma ?
On me fait souvent cette remarque. La vérité, c’est que le fait d’être cinéphile ne m’amène pas à raisonner ainsi. Je réfléchis avant tout aux histoires que je souhaite raconter, que ce soit un drame social ou un polar. En France, on est beaucoup considéré pour ce que l’on a fait. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais pu réaliser une comédie. Aux États-Unis, un réalisateur est perçu comme un metteur en scène pouvant s’atteler à tous les genres. Voyez Christopher Nolan qui signe un film de super-héros avec The Dark Knight, un film de science-fiction avec Interstellar, un film de guerre avec Dunkerque, un film d’espionnage avec Tenet, ou un biopic avec Oppenheimer. En France aussi, un cinéaste comme Bertrand Tavernier a réalisé des films très divers. Après le succès du Convoyeur, j’aurais pu ne réaliser que des polars. Mais je sais qu’on meurt à petit feu à force de se répéter, sans jamais se renouveler. Un réalisateur de la trempe de John Carpenter a fini par mourir dans son genre.
Enfin, quel regard portez-vous sur la création cinématographique actuelle ? Et quels ont été vos derniers coups de cœur ?
J’ai récemment rattrapé EO de Jerzy Skolimowski en Vod et c’est probablement un des plus grands films que j’ai vu de ma vie. J’ai aussi été fasciné par The Killer de David Fincher sur Netflix et Oppenheimer de Christopher Nolan dont le succès est une excellente nouvelle pour l’industrie du cinéma. Une histoire aussi dense et complexe qui génère près d’un milliard de dollars de recettes au box-office mondiale peut laisser penser une fin imminente du règne de Marvel. À l’instar des plus grandes périodes du cinéma, le public semble retrouver de l’intérêt pour des prototypes. C’est ce dont témoignent les succès récents de Barbie, d’Anatomie d’une chute ou du Règne animal. Les spectateurs semblent plus curieux. C’est très encourageant pour la création.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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