Le 1er juin 2023
Nolan revient avec ses sujets fétiches et fascinants tels que la distorsion du temps et l’interrogation sur ce qu’on nomme la « réalité ». Grâce à une originalité perspicace, des scènes d’action hallucinantes et des labyrinthes de science-fiction interminables, qui provoquent le chaos dans nos cerveaux, le réalisateur ne cesse de nous surprendre.
- Réalisateur : Christopher Nolan
- Acteurs : Kenneth Branagh, Michael Caine, Clémence Poésy, Robert Pattinson, Aaron Taylor-Johnson, John David Washington, Elizabeth Debicki, Dimple Kapadia
- Genre : Science-fiction, Action, Espionnage
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h30min
- Date télé : 8 juin 2023 23:10
- Chaîne : TMC
- Date de sortie : 26 août 2020
Résumé : Dans un monde froid et gris régi par l’argent, un espion sans identité, surnommé « Le Protagoniste » est choisi pour sauver la planète d’une guerre mondiale où l’arme la plus létale n’est pas l’arme nucléaire mais le temps. L’oligarque russe « Sator », trafiquant d’armes putréfié par l’argent, détient secrètement le monopole de cette nouvelle arme. Le Protagoniste, muni uniquement du mot secret « Tenet » (un palindrome d’origine antique avec une étymologie latine - tenere - qui veut dire "tenir"), devra apprendre à manier l’arme de son ennemi à sa faveur pour sauver la planète de l’annihilation.
[Attention : certains passages de la critique spoilent ou révèlent des aspects importants de la problématique du film.]
Critique : Pour acquérir la sensation « Nolan », on doit d’abord se laisser immerger dans des paysages de l’ex-URSS. La désolation, l’abandon et une grisaille forment le brouillard qui remplit un monde gothique. C’est dans un environnement obscur et avec un espoir quasiment dissout que les héros de Nolan surgissent comme des sentinelles, qui doivent se montrer « optimistes » ou au moins « réalistes », face au pessimisme accablant de leurs ennemis. Et c’est finalement ce « pessimisme » qui sépare « le bien » et « le mal » chez les personnages, souvent égaux en astuce. Dans ces enjeux d’identité et de vision du monde se construisent les archétypes nolaniens.
Les personnages nolaniens
Neil, incarné par Robert Pattinson, est la main droite du Protagoniste. Neil évoque avec fréquence des manières possibles de considérer le monde en interrogeant, en trois mots, le "destin", la "réalité" et le "réalisme". Il interroge ainsi l’identité et la position du "Protagoniste" (qui demeure sans nom au long du film). L’incorruptibilité de Neil est une dimension principale de son caractère. La loyauté et la vraie identité seront des enjeux qui engendreront un débat constant, notamment entre le Protagoniste et Neil. Souvent, ils doivent combattre côte à côte, laisser le temps de sceller les identités et les décisions mystérieuses que les deux prennent (composante classique du suspense dans les films d’espionnage).
"Le protagoniste" est incarné par John David Washington. Si ce comédien avait déjà été propulsé au rang de star avec le premier rôle dans BlaKkKlansman, qui lui avait valu sa nomination au Golden Globes, le choix du casting n’en reste pas moins ingénieux. En effet, Washington est moins connu que Pattinson et cela renforce la connexion nécessaire pour que le spectateur se sente évoluer dans les pas du héros inconnu. Finalement, « le protagoniste », c’est nous.
De son côté, l’oligarque russe Sator (joué par Kenneth Branagh), répond bien aux stéréotypes du style James Bond en tant que le « méchant » du film. Il fait également l’objet d’un regard aigu dans l’écriture scénaristique de Nolan : le modèle du "méchant", trafiquant d’armes, qui est ici esquissé, ne se caractérise pas seulement par sa cruauté sans scrupules. Nolan évoque, au-delà de sa seule personne, la puissance sans bornes des milliardaires et ceux qui vont même plus loin, ont des ports spéciaux pour exempter le paiement d’impôts d’œuvres d’art, détiennent des polices secrètes pour ménager leurs propres agendas, sont derrière des attaques terroristes, ne font rien face à un désastre écologique annoncé, et contre lesquels il est impossible de lever un doigt, ou presque impossible.
Parallèlement, Kat (Elizabeth Debicki) personnifie la femme fatale, qui, mariée à Sator, se retrouve le dos au mur et représente également la dimension « humaine » du récit, dans cette lutte pour sauver la planète ; elle est en effet le seul personnage à avoir des liens personnels, mis en évidence par la relation qu’elle entretient avec son fils.
Un monde "à la Bond"
Le personnage de Sator n’est pas le seul composant qui transmet subtilement une "sensation" des films James Bond. Il y a partout une impression évocatrice de cet univers. L’idée que « tout peut s’y passer » se conjugue à l’usage des dernières technologies de pointe. Mais la technologie et l’ingénierie, avec lesquelles Nolan fait avancer ses films, lui sont finalement très propres. Tenet contient moins de plans VFX (d’effets spéciaux introduits en postproduction) que les derniers longs métrages du réalisateur et compte principalement sur des effets réels achevés avec l’ingénierie, sur le tournage. C’est ce type d’inventivité, propulsé par les imaginations avides de science-fiction, qui finit par faire évoluer les technologies du cinéma. Le spectateur pourra certainement le ressentir à l’écran, même s’il ignore comment tout cela s’est agencé.
Le format d’image de Tenet : un luxe visuel
Un autre aspect, propre à une technique de pointe, transparaît à l’écran : le spectateur pourra ressentir, par la qualité de l’image, les effets du tournage en 70mm IMAX (c’est-à-dire, en argentique, dans une pellicule grand format). Nolan continue à être ainsi un de rares metteurs en scène qui peut s’offrir ce luxe.
Comment mettre en scène l’inversion du temps ?
On soulignera enfin que l’inversion du temps comme élément narratif pose des défis intéressants à la mise en scène. Dans cette perspective, il est fascinant de voir et revoir les séquences qui prennent en compte cette dimension du récit, où on a affaire à des scènes dédoublées et envisagées selon différents points de vue, où les couleurs rouge et bleue servent à représenter des aspects du temps, incarnant également des leitmotivs visuels. En fait, ces aspects sont des fictions qui tirent leurs possibilités de vraies théories, de paradoxes et d’expériences liées à des pensées scientifiques (comme l’entropie, le paradoxe du grand-père ou le démon de Maxwell). Ce dernier long métrage de Nolan pourrait s’avérer le film le plus complexe à étreindre mentalement, mais finalement on doit se laisser aller et profiter des virages que la trame exploite. Le spectateur peut suivre le conseil du personnage de la scientifique (Clémence Poésy) au début du film : « n’essayez pas de comprendre, ressentez-le ».
Tenet, comme les films précédents de Nolan, met en jeu les concepts de réalité et de perspective et nous fait croire à ses fictions au travers de stratégies scénaristiques précises. Par exemple, pour nous expliquer le concept clé de ce film, la scientifique fait toucher au Protagoniste, avec sa propre main, des objets, pour qu’il les voie, les touche en les maniant, bref pour avoir une expérience « réelle et objective », et entrevoir ainsi comment l’impossible devient possible. C’est un réflexe primitif de l’homme qui est ici convoqué et sert en même temps à appréhender de nouveaux phénomènes et de nouveaux concepts (on relèvera à ce propos un petit clin d’œil à Inception, avec la toupie).
La grande structure du film consiste donc à ordonner, renverser et réordonner des événements pour sauver le monde qui tend vers le chaos entropique ; il s’agit de se rendre compte de la puissance qui provient d’un changement de perspective, de comprendre qu’on est tous des agents de cette grande confusion, mais qu’on peut renverser les armes qui nous ciblent pour nous les approprier. Tenet n’est finalement pas le film le plus philosophique de Nolan et il est moins émouvant que Dunkerque. Mais le long métrage prouve qu’un des grands réalisateurs de sa génération, demeure capable de nous surprendre par son inventivité, continuant d’engendrer une réflexion qui, loin de se réduire à la thématique du temps, concerne aussi le recours du cinéma pour nous en faire ressentir l’expérience subjective.
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birulune 26 décembre 2020
Tenet - Christopher Nolan - critique
mais finalement on doit se laisser aller et profiter des virages que la trame exploite."tout est dit