Control is illusion
Le 12 novembre 2023
Une œuvre exigeante et un point de bascule dans la carrière du cinéaste.
- Réalisateur : David Fincher
- Acteurs : Tilda Swinton, Michael Fassbender, Arliss Howard, Charles Parnell, Kerry O’Malley
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Policier
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Netflix
- Durée : 1h50mn
- VOD : Netflix
- Titre original : The Killer
- Date de sortie : 10 novembre 2023
- Festival : Festival de Venise 2023
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Résumé : Après un désastre évité de justesse, un tueur se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde qui n’a soi-disant rien de personnel.
Critique : David Fincher, cet entomologiste du XXIe siècle, fait de son Killer un esthète mélomane du meurtre ritualisé, fétichisé, raffiné, un être dont l’âme s’érode au cours de sa quête vengeresse dans un monde devenu transactionnel et noyé dans le flux permanent, reflet de la déperdition de la société occidentale face à la viralité du Mal. Le réalisateur revient à ses premiers amours, le thriller mental. Poursuivant sa collaboration avec Netflix, Fincher s’est associé avec Andrew Kevin Walker, scénariste misanthrope à l’origine de Seven, pour livrer son douzième long métrage, le bien nommé The Killer, réadaptation post-moderniste de la bande dessinée française Le Tueur de Luc Jacamon et Matz. Fincher s’est érigé depuis quelques années en véritable observateur de notre époque, scrutant de près les évolutions technologiques et sociologiques qui allaient bousculer voire métamorphoser la société contemporaine. Ce geste cinématographique, on pourrait commencer à le repérer à partir de The Social Network en 2010. Fincher nous parlait, au travers de la création de Facebook, de la naissance d’un nouvel ordre social mené par un démiurge, Mark Zuckerberg, qui nourrissait ses frustrations en créant un monde numérique dépourvu d’assise politique ou théologique, un Enfer dont l’hégémonie contaminait tous les personnages jusqu’à ce qu’ils deviennent des pantins en costume-cravate, motivés par le seul appât du gain. Cette contagion de "flux" numérique se poursuivait avec son Millénium où Lisbeth Salander, pirate de génie, alors harcelé sexuellement par son tuteur, provoquait son propre viol dans le but de l’enregistrer grâce à une caméra cachée dans son sac à dos pour ensuite faire chanter son agresseur, et de fait récupérer le contrôle. Gone Girl allait encore plus loin en usant de la caméra intra-diégétique comme un moyen de corrompre voire de contaminer le réel. Amy Dunne, héroïne sociopathe du film, alors cloîtrée dans la villa de son ex-petit ami Desi Colllings devenu encombrant dans son plan machiavélique pour condamner son mari Nick, entreprenait de construire sa propre fiction en simulant un viol, en se ligaturant les poignets, en s’abîmant le vagin, imaginant avec méticulosité des scènes d’abus créées de toutes pièces, le tout scruté par les différentes caméras de surveillance de la maison. L’outil de la caméra, considérée comme le moyen le plus fiable, devient caméra de pur cinéma, comme une mise en abyme de Fincher lui-même. The Killer apparaît comme une prolongation certaine de cette réflexion, le récit d’un tueur professionnel contenant sa névrose dans son travail, avec sa lunette de sniper qu’on pourrait confondre au diaphragme d’une caméra. Fincher aime le méta et nous aussi.
- Michael Fassbender dans "The Killer"
- © 2023 Netflix. Tous droits réservés.
Le Tueur a tout du héros fincherien, solitaire et marginal, éliminant froidement une à une chaque personne qui pourrait parasiter son réseau, car c’est bien de cela dont il est question dans The Killer : la mobilité. Après un contrat qui a mal fini, le tueur n’aura de cesse de parcourir le monde entier dans tous les moyens de locomotion possible, s’immisçant dans toutes les states de la société, de la mégalopole de New York à la région reculée de la Floride sauvage, en passant par la quartier d’affaires de Chicago, dans le dessein de tisser sa toile du meurtre ritualisé. Dans un montage organique voire épileptique, caractéristique de Fincher, traduisant l’esprit alerte et mécanique de son personnage au travers d’un déferlement d’actions hétérogènes par microsecondes, le killer voyage avec une vitesse invraisemblable entre les différents lieux de l’action (banque, hôtel de luxe, aéroport) avec une aisance ubiquiste. La musique de Trent Reznor et Atticus Ross, fidèles collaborateurs de Fincher, apporte un contre-pouvoir poétique et quasi sensoriel à toute cette folie, comme cette fuite de Paris bercée par une ritournelle fantomatique et un chant féminin contralto, en contraste avec la pollution sonore de la Ville-Lumière. Mais il n’oublie pas pour autant sa vocation première : Tuer. Cet homme sans nom use de chaque dispositif numérique mis à sa disposition, que ce soit en exploitant à son avantage une caméra de surveillance comme une diversion, en maîtrisant son rythme cardiaque grâce à sa montre connectée, en transférant de la cryptomonnaie de comptes offshore issus de ses fonds privés pour s’auto-alimenter, en commandant en vingt-quatre heures chrono son nouvel inventaire en le retirant d’un Amazon Hub Locker ou en créant un pass digital falsifié pour s’insinuer dans un building de la New tech : le tout confère à élever ce killer en surhomme, un Ange de la Mort ultra-connecté, devenu suffisamment cynique et dépourvu de morale pour se détacher à tout jamais de la réalité de son monde et se diriger vers une déification de la technologie comme un moyen définitif d’asservissement, une technologie capable de compartimenter et programmer chaque petit grain sable de "la multitude" selon ses propres dires. Vous l’aurez compris, le Mal est devenu imperceptible, invisible chez Fincher. Il n’est plus matérialisé ou personnifié, ni même redouté. Il a altéré chaque individu comme un poison inodore en faisant de chacun d’entre nous un agent pathogène, et un potentiel complice de ce grand réseau où le Mal peut jaillir aussi vite qu’une carotide bien visée.
- Michael Fassbender dans "The Killer"
- © 2023 Netflix. Tous droits réservés.
The Killer s’inscrit parfaitement dans le projet cinématographique de Fincher, il fait également office de point de bascule dans la mise en scène du cinéaste. Il y d’abord l’apparition de cette caméra tremblante en rupture complète avec le travail précédent de Fincher et ses mouvements de caméra amples et millimétrés. Ici, le cadre se fait dans l’urgence du moment, avec un arrière-plan souvent abstrait et des silhouettes à peine identifiables, comme si on basculait dans une autre dimension. La voix off, toujours omniprésente dans la filmographie du cinéaste, citons en exemple le narrateur dépressif de Fight Club, Mark Zuckerberg dans The Social Network ou Amy Dunne dans Gone Girl, devient dans The Killer un monde en soi. Nous sommes bercés par la voix délicieusement suave de Michael Fassbender en ASMR, les bruits parasites étant étouffés par la musique entêtante du groupe des Smith, et nous écoutons béats ces commentaires de philosophie de comptoir, comme s’il avait la volonté de nous endormir, nous, spectateurs, pendant que sa psychose était en train de prendre vie sous nos yeux, à l’instar du monologue testamentaire interminable du serial killer John Doe de Seven durant le trajet en voiture du dernier acte du film. Le Tueur de Fincher, en projetant avec un humour noir enivrant ses croyances proches de la rêverie, dénonce par la même occasion les failles bien réels d’un monde devenu transactionnel et noyé dans le flux permanent, reflet de la déperdition de notre société. Difficile à cerner, insaisissable, dense, prenant à rebrousse-poil son public cible, The Killer a de quoi décontenancer. Mais il s’agit sans doute d’un point de bascule dans l’œuvre du cinéaste.
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