Le 26 août 2005
Chéreau, touché par le génie, filme des instants de disgrâce matrimoniale, extirpant de la douleur du couple la quintessence même du sublime cinématographique. L’un des plus beaux films de l’année...
Notre avis : Plus de trois décennies après ses débuts, Chéreau, véritable chantre du mal-être humain, toujours prêt à prospecter les tréfonds de l’âme, nous offre ce qui est probablement l’une de ses plus belles œuvres. En adaptant une nouvelle de Conrad intitulée Le retour, il réalise l’autopsie détaillée d’un couple bourgeois au début du siècle dernier, s’immisçant dans ses recoins les plus secrets pour mieux le disséquer et ainsi exposer les raisons d’une rupture par la propagation du mal condamnant le couple à la destruction. La gangrrène gagne très vite, dès l’instant où Gabrielle, l’épouse, sublimée par Isabelle Huppert, prend conscience de ses frustrations et de sa misère affective. Débute alors pour elle une désespérance intolérable au terme de laquelle l’abcès devra être percé. Elle s’enfuit, au risque de tout détruire, laissant derrière elle une missive aux mots cruels et insoutenables aux yeux de son mari qui va ressentir en un instant l’interminable douleur que son épouse aura éprouvée pendant toute une vie.
L’ironique satisfaction du mari au début du film, qui essaie de nous persuader de sa connaissance absolue de sa femme, préfigure sa destruction pathétique. Pathétique dans un premier temps dans son incompréhension de l’autre, pathétique ensuite dans sa douleur d’homme abandonné et trahi, lorsqu’il découvre que Gabrielle le quitte pour un autre, puis pathétique à son retour dans sa tentative de l’avilir. Sa détresse muée en mesquinerie virile se retourne contre lui. Gabrielle retrouve force et grâce après sa fugue amoureuse avortée, là où l’époux esseulé, torturé par son aveuglement et son incapacité à gérer ses sentiments (aimait-il vraiment Gabrielle auparavant ou commence-t-il à l’aimer vraiment à la perspective de son départ ?) s’enfonce à chaque scène un peu plus.
La détresse de Pascal Greggory en époux incapable de percer les sentiments de sa femme alors qu’il ignore les siens est stupéfiante. Il subit le déboulonnage de son couple sur l’instant, sans bénéficier du recul nécessaire pour gérer cette crise, contrairement à Gabrielle qui a passé de longues années à ressasser son désarroi. Sa vie de satisfaction maritale, ou du moins sociale, son couple étant stérile, est réduite à néant. Chéreau filme ces désillusions avec une caméra chirurgicale, poussant Huppert et Greggory au seuil du borderline. Ces derniers sont tout simplement extraordinaires, se défaussant de leurs identités pour ne faire plus qu’un avec leur personnage meurtri. Difficile alors de ne pas s’approprier leur supplice mental dont chaque sentiment transcendé par l’art du cinéaste nous renvoie à une certaine perspective de notre vie. Gabrielle s’érige comme le parangon du cinéma miroir inscrivant sa maturité et sa gravité dans la continuité des déjà formidables Son frère et Intimité. Douloureux mais indispensable.
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