Le 17 octobre 2013
- Festival : Festival Lumière
Tout beau tout nouveau tout chaud, cette troisième journée de festival a tenu toutes ses promesses. Au programme : Sleeping beauty, véritable ovni cinématographique, les premiers pas de Johnny Hallyday au cinéma et une folle cavalcade en camion à travers l’Afrique !
Au programme de cette troisième journée, Sleeping beauty, véritable ovni cinématographique, les premiers pas de Johnny au cinéma et une folle cavalcade en camion à travers l’Afrique subsaharienne !
- "Sleeping beauty" de James B. Harris (1973) : affiche officielle
Eros et thanatos : les affres de la passion amoureuse
Dans un précédent papier, nous vous avions proposé la notion d’OFNI, ces incroyables objets filmiques non identifiables qui planent au-dessus du 7e Art. Il nous semblait donc important de vous dire quelques mots sur le premier spécimen appartenant à cette nouvelle catégorie rencontrée lors de nos pérégrinations festivalières. Some call it loving (Sleeping Beauty), dont s’est manifestement pas mal inspiré le récent Sleeping Beauty avec la fascinante Emily Browning, est une œuvre étrange et à part réalisée en 1972 par le producteur des premiers films de Kubrick (L’Ultime razzia, Les sentiers de la gloire, Lolita), James B. Harris. Le monsieur n’a d’ailleurs fait que 3 ou 4 films en tant que réalisateur, qu’il nous tarde de découvrir après la projection de cette version ultra modernisée de La Belle au bois dormant. Une rareté à tous points de vue qui fut projeté à la Quinzaine des réalisateurs en 1973 mais qui resta pourtant dans l’anonymat faute de trouver son public. Un riche propriétaire esseulé, amateur de jazz et joueur de saxo débarque dans une fête foraine et tombe sur une attraction qui attire son attention. Il découvre, allongée sur un lit, une belle à la peau d’une blancheur immaculée plongée dans le sommeil depuis 8 ans par un genre de potion et en tombe instantanément amoureux. Bien décidé à la ramener chez lui, il l’achète au forain, livrée avec tous les accessoires, en particulier la précieuse fiole contenant la substance magique lui permettant d’avoir sur elle le contrôle de la vie et de la mort. La belle finit par se réveiller grâce au baiser du prince, mais le prix à payer pour vivre leur passion est incommensurable. On vous laisse découvrir lequel. Tantôt envoûtant, subversif, inquiétant et extrêmement dérangeant, je n’ai eu de cesse de naviguer entre fascination et répulsion à la vue de ce conte aussi beau que cruel qui rappelle davantage les écris du Marquis de Sade que La belle au bois dormant. James B. Harris nous livre ses réflexions sur l’amour, le désir et le couple, tandis que l’histoire semble comme improvisée au fil des expériences limites de l’homme et de la femme et du jeu de rôle plus ou moins mortifère que se livrent sans relâche les deux protagonistes. Opposant sans cesse eros et thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort, le cinéaste explore les fantasmes masculins tout en recherchant la frontière ténue entre amour, dévotion et possession, allant jusqu’à mettre en lien l’adoration de la femme avec celle de Marie pour son fils. Tout est vu du côté de l’homme, Christ sacralisé par la passion des femmes et dévoré par son propre désir. Pris de l’angoisse d’un éternel recommencement de l’échec amoureux, il refuse en fait toute stabilité affective et se prive du vrai bonheur en se complaisant dans le rêve pour éviter un retour à la norme imaginé comme destructeur du désir. Mais le contrôle qu’il a sur toutes les femmes, enfermées par une prison d’amour dans son château rococo, n’est qu’illusoire puisqu’en interprétant systématiquement un rôle (tantôt jeunes vierges, servantes, épouses, maîtresses, nones, accessoires sexuels,...), pantins tragiques assouvissant ses caprices, elles ne sont jamais vraiment elles-mêmes. Est-ce cela l’amour ? Peut-on aimer jusqu’à la folie ? A quels sacrifices pouvons-nous consentir pour combler l’être aimé ? Le prince, passant de tentateur à confesseur, biaise le jeu de la vie pour éviter de souffrir. Lui-même, malgré son acharnement à façonner son Pygmalion, n’est qu’un autre jouet d’un destin qui le dépasse. En définitive, seule la mort est une certitude. On ne peut changer la personne qu’on aime ni même la forcer à aimer pour l’éternité. Comme l’a dit James B. Harris, dans une relation amoureuse, la responsabilité de l’échec incombe aux deux parties. Chacun a besoin de s’épanouir individuellement et d’assouvir ses propres désirs pour espérer atteindre la béatitude conjugale. C’est du moins une part de l’enseignement de Some call it loving, qui, par sa stylisation quasi théâtrale et ses multiples interrogations existentielles, devient parfois quelque peu hermétique (il me rappelle aussi l’aridité de Meurtre dans un jardin anglais) et peut paraître prétentieux en raison de son incroyable ambition. Il n’en demeure pas moins un film infiniment riche et puissant qui nous évoque bien évidemment Eyes Wide Shut auquel l’on fait face sans détourner le regard. Véritable coup de cœur du festival.
- Johnny Hallyday est "Le spécialiste" de Corbucci
Johnny’s got is gun
1969. Il était une fois dans l’ouest, le chef d’œuvre de Sergio Leone aux 15 millions d’entrées inonde les salles françaises. Johnny, lui, est déjà connu mais encore tout jeunot cultivant le look hippie mal rasé. Dans le même temps, un autre prénommé Sergio, Corbucci de son nom, l’autre réalisateur de westerns spaghettis (même si l’appellation déplaît, et à juste titre, à Thierry Frémaux), connu principalement de nos jours pour son film Django (1966) -auquel Tarantino rend hommage dans son Django unchained-, signe Le spécialiste, dont la sortie passe quasi inaperçue dans l’hexagone. A la vision du film et de ses nombreuses imperfections, et malgré l’admiration pour Johnny, son interprète principal, on ne peux que confirmer la validité du statut de sous-Leone endossé toute sa carrière par le pauvre Corbucci. Ce qui ne l’empêche pas d’être extrêmement intéressant, en particulier dans Django où s’exacerbent ses capacités à montrer la violence brute et à disséquer l’horreur sourde de la barbarie humaine. Autre correspondance forcée avec Django, Johnny, qui est loin d’être mauvais acteur mais qui manque cruellement de charisme, apparaît malheureusement comme une pâle copie blonde de Franco Nero (qui au passage fait un cameo chez Tarantino). Outre Johnny, deux actrices défendent l’étendard de notre douce patrie, ce qui m’a permis de découvrir la lumineuse Françoise Fabian tout en déplorant le jeu totalement artificiel de la nana de Johnny dans le film : Sylvie Fennec. Comble des combles, le personnage joué par ladite Fennec se prénomme Sheba, qui pour ma part m’évoque plus un nom de pâtée pour chat ou de fromage Liddle que de jeune fille en fleur. Côté histoire, ben c’est Johnny qui arrive dans une ville où les habitants ont lynché son innocent frangin qui s’était contenté de suivre les instructions d’une X personne qui l’a bien roulé dans la farine. Précisons tout de même que le frangin n’était apparemment pas tout rose non plus (le scénario est un peu pingre côté détails) et qu’il a enterré quelque part l’argent dérobé de la banque. Zorro est arrivé, partagé entre l’idée de trouver le magot et de venger son frère. Voilà en gros ce que l’on peut en dire. Petit truc amusant, mais qui a tendance à lasser, Johnny, alias Hud le spécialiste de la gâchette emprunte à Chuck Norris pour nous livrer d’authentiques « Johnny’s facts » du type : « Je ne suis pas ton ami. Hud n’a pas d’ami. »
Malheureusement, en dépit de toutes les qualités de la langue française, elle ne convient décidément pas au western. Résultat, beaucoup de dialogues sonnent faux et on a d’autant plus de mal à entrer dans cette histoire de vengeance (mais pas que) pétrie d’autocitations et de références aux westerns classiques type Vera Cruz. Le film peine à trouver son rythme de croisière et donne trop souvent une désagréable impression de déjà-vu. Mais un improbable sens du second degré vient sauver ce médiocre long-métrage, qui, lorsqu’il tire du côté de la farce, décolle un tantinet et a le mérite de bien nous faire marrer. A noter une scène finale particulièrement enlevée où les couards habitants de la ville, nus comme des vers, attendent que Hud finisse de jouer à Clint Eastwood, Corbucci s’amusant à détourner le duel final du premier film de Leone : Pour une poignée de dollars.
- Lino Ventura et Reginald Kernan dans "100 000 dollars au soleil" d’Henri Verneuil
Verneuil, Ventura, Belmondo : le trio gagnant
Plus on voit du Verneuil et plus on peut se dire que ce cinéaste, finalement un peu passé de mode, avait un sacré talent pour la mise en scène. Souvent malmené par la critique et en particulier par mon mentor, le critique Jean-Louis Bory, Verneuil a eu le malheur de faire du cinéma populaire à l’époque où il était de rigueur pour beaucoup de critiques de n’aimer que le cinéma d’auteur. On lui a souvent reproché ses casting de grosses têtes qui assuraient aux producteurs de juteuses recettes, mais on ne pourra jamais dire de cet homme exigeant qu’il n’a pas tout fait pour satisfaire son public. Avec 100 000 dollars au soleil, sorti en 1964, soit un an après le succès de Mélodie en sous-sol, le cinéaste, qui s’est aussi adonné aux joies de l’écriture scénaristique, fait un nouveau carton avec plus de 3 millions d’entrées en France. Il faut dire que le casting réunit une nouvelle fois (après Belmondo et Gabin dans Un singe en hiver et Delon et Gabin dans Mélodie en sous-sol) deux des plus grandes stars de l’époque, l’athlétique Belmondo et l’imposant Ventura, épaulés par une pléiade de seconds rôles interprétés par le très bon Reginald Kernan, la belle Andréa Parisy, l’hilarant Bernard Blier et l’allemand Gert Fröbe, qui reste sans conteste l’un des meilleurs méchants de l’histoire des James Bond. Aux portes du djebel saharien, Castigliano dirige une entreprise de transports routiers. Hans doit conduire un chargement clandestin de cent mille dollars au cœur de l’Afrique. L’apprenant, Rocco élimine le chauffeur, vole son véhicule et part avec sa complice. Castigliano promet alors une forte récompense à Marec s’il récupère le camion. Avec ce film, Verneuil réalise un rêve de gosse, celui de réaliser son propre western européen en hommage à son idole Howard Hawks qu’il a eu la chance de rencontrer lors de son passage à Hollywood. Remplaçant subtilement, grâce à un magnifique travail sur le son, les chevaux par des camions dans une scène d’introduction anthologique, le cinéaste campe son action au cœur d’une Afrique dont il garde encore une vision de l’âge d’or colonial (faut-il rappeler que l’indépendance de l’Algérie arrive seulement un an avant le début du tournage ? ). Cahin-caha, il transpose les duels au soleil des arides plaines de l’ouest américain dans le désert du Niger. Ici, le vol de la banque se mue en celui d’une marchandise de contrebande-dont on ne sait rien outre le fait qu’elle vaille son pesant de cacahuètes-, l’attaque de la diligence en course poursuite à travers les périlleuses routes de montagne, le saloon en station de ravitaillement. Quant à l’arène du duel final, mémorable morceau de bravoure et festival de coups de poings grand-guignolesques, elle se transforme en un genre de cour intérieure où coule une paisible fontaine. La réalisation de Verneuil, très soignée, retranscrit parfaitement le rythme haletant de cette traque véhiculée tout en nous laissant le loisir d’admirer les magnifiques paysages de cette partie de l’Afrique sans pour autant verser dans le cliché carte-postale. Omniprésents, les dialogues d’Audiard, presque aussi bons que dans Les Tontons flingueurs constituent la matière première du film. On se remémore avec délice la phrase de Belmondo à sa douce : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent ! » Ces dialogues-là, dit par ces acteurs-là, car c’est évidemment un tout, c’est de l’or en barre ! Au final, 100 000 dollars au soleil est une œuvre intensément vivante et d’une incroyable drôlerie, qui ne cesse de flirter avec différents genres. Proposée pour le festival dans une superbe version restaurée en noir et blanc qui nous permet d’imaginer la couleur du fameux camion rouge de Bébel (tout en nuances de gris), l’œuvre de Verneuil prouve une fois de plus qu’un bon cinéaste est aussi capable de faire un film populaire de qualité.
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Lumière jour 1 : ICI
Lumière, Chronique d’un spectateur illuminé ICI
Lumière : Jour J-7 : ICI
Galerie Photos
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