Le 26 avril 2025
Derrière cette œuvre solaire remplie de vampires et de fêtards, soufflent le feu sacré de la musique blues et l’inconsolable mémoire d’un temps où les Afro-Américains étaient réduits à la brutalité de l’esclavagisme.


- Réalisateur : Ryan Coogler
- Acteurs : Delroy Lindo, Omar Benson Miller, Jack O’Connell, Hailee Steinfeld, Gralen Bryant Banks, Michael B. Jordan, Wunmi Mosaku, Li Jun Li, Lola Kirke, Miles Caton, Jayme Lawson
- Genre : Action, Thriller, Épouvante-horreur, Film de vampire
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h17mn
- Date de sortie : 16 avril 2025

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Résumé : Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience …
Critique : S’il faut retenir une seule scène de Sinners, c’est peut-être ce moment de bascule où un guitariste de génie entonne un blues sublime, faisant alors ressurgir de l’au-delà des démons d’hier et de demain, déterminés à en découdre avec l’humanité. À ses côtés, le rap, les chants traditionnels africains réinventent une époque où le présent se confond avec l’avenir et le passé, comme un avertissement terrible que la discrimination contre les Afro-Américains n’a jamais vraiment cessé.
Sinners ne se présente pourtant pas comme un film politique ou militant. Cette fresque de plus de deux heures située dans la première moitié du XXe siècle en plein Mississippi raconte la tentative de deux frères, ex gangsters de Chicago, de recréer une ville où les Noirs ont le droit de danser, boire, s’amuser, et sont libres de gagner dignement leur vie. Les riches propriétaires des cotonneries s’adonnent de leur côté aux rituels détestables du Ku Klux Klan, rappelant la frontière infranchissable entre le monde des Blancs et celui des Noirs. Les vampires s’invitent alors dans cette guerre communautaire, en plein milieu d’une fête que les deux frères ont organisée dans un local acheté dans la journée.
- Copyright 2025 Warner Bros. Entertainment Inc.
L’épouvante ou l’horreur ne demeurent pas le véritable motif du film. Certes, la deuxième moitié décrit les attaques des démons contre les habitants noirs qui tentent de leur échapper, le temps que le soleil se lève et les asphyxie définitivement. En réalité, le récit s’attache à décrire la tentative d’émancipation de toute une communauté qui, comme d’autres, travaille péniblement pour de riches capitalistes blancs, grâce à l’ouverture d’un cabaret de fortune où le blues s’élève comme un chant en faveur de la liberté. Ryan Coogler, révélé par Fruitvale Station qui traitait déjà du sort réservé la communauté afro-américaine, avait élargi son audience avec Black Panther et Black Panther : Wakanda For Ever : dans ces deux films qui abordaient également le genre fantastique, les super-héros étaient enfin des femmes et des hommes de couleur noire. Le cinéaste récidive dans un style moins animé, même si l’influence de la grande aventure fantastique perdure dans ses ambitions cinématographiques. Il s’agit ici d’un film plus bavard, à la limite du réalisme, où il tente une description précise et acerbe des conditions d’existence des Afro-Américains de l’époque.
- Copyright 2025 Warner Bros. Entertainment Inc.
Sinners est un film conçu à destination de celles et ceux qui directement ou indirectement ont connu la discrimination ou le racisme. Il s’agit d’une tentative de libération d’une mémoire qui ne parvient pas à se défaire de l’emprise occidentale du colonialisme et de l’esclavagisme sur le continent africain. Ces démons qui se réveillent viennent habiter des corps morts, avalent leur sang et se substituent à leur âme. Ils sont en quelque sorte la résurgence d’un passé qui reste hanté par des siècles de maltraitance et de rejet des personnes de couleur.
Sinners souffre de quelques longueurs. Mais on retient surtout une énergie musicale étonnante qui accompagne tout le récit. Les acteurs se font plaisir dans ce décor de bar de nuit où les guitares et les chants s’élèvent partout dans la pièce. Même les vampires semblent des êtres sympathiques, d’ailleurs toujours soucieux qu’on les invite à rejoindre les maisons avant de se jeter sur leurs victimes éperdues. L’humour n’est jamais loin, dans un environnement où prédominent les bons sentiments de fraternité et d’amour au sein de la communauté noire. Voilà donc une œuvre pleine de vie qui cherche à réconcilier un passé esclavagiste douloureux et un avenir qu’on espère plus radieux pour toutes celles et tous ceux qui subissent le rejet et la discrimination.