Chronique d’un spectateur illuminé
Le 16 octobre 2013
- Réalisateurs : Quentin Tarantino - Federico Fellini - Ettore Scola - Henri Verneuil - Hal Hashby
- Acteurs : Daniel Gélin, Françoise Arnoul
- Festival : Festival Lumière
Deuxième jour du Festival Lumière 2013. Au menu, découverte de Hal Ashby, l’oublié des années 70, l’hommage d’Ettore Scola à Fellini après 10 ans d’absence et une rareté sublimissime signée Verneuil : "Les Amants du Tage". Bonne dégustation !
Deuxième jour du Festival Lumière 2013. Au menu, découverte de Hal Ashby, l’oublié des années 70, l’hommage d’Ettore Scola à Fellini après 10 ans d’absence et une rareté sublimissime signée Verneuil : Les Amants du Tage. Bonne dégustation !
Good morning ! Après une journée riche en émotions cinématographiques, rien de mieux que de coucher sur papier mes souvenirs cinéphiliques. Essayez vous aussi, c’est idéal pour se détendre avant de s’attaquer à de nouveaux morceaux de bravoure sous la bienveillante protection des Lumière. Ça sonne un peu mégalo mais je sens que les dieux du cinéma m’accompagnent dans cette douce aventure. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec 140 films projetés, le choix est ardu, et on ne s’ennuie pas une seconde. Fort heureusement, j’ai eu la judicieuse idée de commencer la journée à 13 h 30 après un formidable sandwich sauce samouraï. Si je croise Tarantino, je lui suggérerai d’en faire manger un à l’un de ses futurs personnages en mode inspecteur Harry, pour ceux qui se remémorent la saga. Idée judicieuse oui, mais uniquement sur le papier. Croyez le ou non, votre serviteur est humain et s’est légèrement assoupi par vagues successives lors de la première heure d’En route vers la gloire, très intéressant film du méconnu Hal Asby. Il y a pas à dire, voir un film en pleine digestion ou après 22 h sans thé ou autre excitant, c’est pas de la tarte ! Mais trêve de déblatérations sur les dysfonctionnement liés à l’horloge interne, concentrons-nous plutôt sur l’une des œuvres phares d’un cinéaste d’exception à demi tombé dans l’oubli au profit de Scorsese, Arthur Penn, Coppola, Hooper ou Cimino, autres figures de proue des années 70 et du Nouvel Hollywood. Il faut dire que le gus avait un sérieux problème de drogue qui lui valut moult déboires avec les studios.
- David Carradine est Woody Guthrie dans "En route vers la gloire" d’Hal Ashby
- DR
A l’ouest, les sentiers de la gloire
En route vers la gloire, dont le seul vrai problème réside dans sa longueur excessive, s’éloigne du biopic consensuel pour nous livrer une histoire librement inspirée de la vie du chanteur et poète contestataire Woody Guthrie, considéré par beaucoup comme une source constante d’inspiration, en particulier par Bob Dylan, qui fit de lui un véritable mentor. En 1936, Woody, pauvre gars de la petite ville texane de Pampa, s’occupe en jouant de la gratte et met du baume aux cœurs des habitants. Las de sa vie de misère et des éternelles tempêtes de sable, il décide de prendre son destin en main et voyage jusqu’en Californie où il pense trouver du travail et faire venir sa famille. Mais le rêve se transforme vite en cauchemar lorsqu’il débarque dans une Californie en proie à une véritable dictature du patronat. Il est alors engagé comme chanteur par un studio tout en continuant de chanter les misères et les luttes des travailleurs opprimés. En route vers la gloire, dont la version pleine de scories projetée à Lumière n’a fait qu’ajouter à son charme rétro, propose, outre la beauté des grandes étendues désertiques du Texas et des plaines cultivées de Californie, une plongée au cœur de la vie d’un homme qui fit de sa vie un éternel combat contre l’injustice du monde. On pense évidemment aux Raisins de la colère tandis que le jeune David Carradine (le « Bill » de Tarantino -qui se trouve au passage être un fervent admirateur d’Hal Ashby-) ne cesse de nous rappeler l’immense Henry Fonda. Grande fresque dépeignant sans emphase la misère quotidienne des travailleurs dans l’Amérique de la grande dépression, le film d’Hasby, d’une étonnante modernité, fait partie de ces œuvres intemporelles qui nous invitent à croire en l’homme et à sa capacité à faire le bien. En route vers la gloire parvient de plus à éviter un manichéisme trop voyant, et humanise un sacro-saint Guthrie, véritable modèle de droiture morale qui pourtant choisit de sacrifier sa famille et toute idée de bonheur personnel à son combat pour les autres. Côté réalisation, le cinéaste a su utiliser avec une grande intelligence une palette chromatique peu étendue (comme Malick le fera plus tard dans Badlands), marquant bien le contraste entre l’aspect aride et les tons jaunes volontairement accentués utilisés lors de l’exposition au Texas et une Californie de pacotille, dont le vert prédominant, quasi pastel, semble comme terni, marqueur symbolique d’une grande désillusion. On se souvient alors de Bonnie & Clyde, le chef-d’œuvre d’Arthur Penn, qui utilise lui aussi des couleurs éthérées. Au final, Bound for glory (titre original), aujourd’hui réévalué, est un objet filmique d’une grande authenticité porté par l’interprétation d’un David Carradine campant à merveille ce personnage singulier à l’aura instantanément mythique qui semble tout droit sorti d’un roman de Steinbeck ou Kerouac. Avec en bonus les superbes chansons de Guthrie interprétées par Carradine lui-même.
- "Che strano chiamarsi Federico" : affiche officielle
Moltissimo Federico ! La Sc(u)ola Fellini
Il faudrait des pages pour parler du nouveau et magnifique film d’Ettore Scola, l’un des plus grands metteurs en scène italiens vivants, présenté en avant-première quelques semaines seulement avant sa projection à la dernière Mostra de Venise. Le cinéaste n’avait rien réalisé depuis 10 ans, lui qui ne se sentait plus en phase avec le cinéma d’aujourd’hui. Mais les gens de la trempe de Scola, le réalisateur de Nous nous sommes tant aimés et Affreux sales et méchants (si si je vous assure que ce n’est pas de Dino Risi ! ) ont une telle passion pour leur travail qu’il leur est bien sûr impossible de tenir ce genre de promesse. Pour preuve, papy Eastwood et Allen font toujours de la résistance, pour notre plus grand bonheur. Che strano chiamarsi Federico (Comme il est étrange de s’appeler Federico), magnifique hommage de Scola à son ami de 50 ans Federico Fellini, est un merveilleux exemple de ce qu’une foisonnante créativité peut apporter au registre documentaire. Œuvre étrange servie par une écriture et une mise en scène regorgeant d’inventivité qui croise les trajectoires de ces deux géants du cinéma, de leur rencontre au journal satirique Marc’Aurelio à l’échappée toute fellinienne (eh oui l’homme s’est fait verbe, ou plutôt adjectif) d’un Federico préférant les rues de sa romaine ville de cœur à son cercueil du studio fameux Teatro 5 de Cinecittà. A la croisée du docu, du film de reconstitution et de bien d’autres choses, Che strano chiamarsi Federico joue avec finesse sur cette forme hybride qui ne cesse de repousser les frontières du genre. Quand le rêve devient réalité et que la réalité se mue en rêve, Fellini, le plus grand menteur de l’histoire du cinéma, renaît de ses cendres pour un ultime tour de manège tout droit sorti de la tête d’un Scola qui nous livre son Amarcord ("Je me souviens") à lui.
- Henri Verneuil / Les Amants du Tage (1955) : affiche du film
- © Hoche Productions
L’amour... toujours
C’est avec un immense plaisir que je me suis rendu du côté du Pathé Bellecour sur le coup des 22 heures pour partager en famille l’un des films de la rétrospective des premiers temps de Verneuil en noir et blanc. Malgré la légère somnolence de mes géniteurs due à l’heure tardive et un manque criant de caféine, j’ai pour ma part suivi ces Amants du Tage, annoncé comme l’une des perles du festival, avec le plus grand intérêt. L’occasion de découvrir un film noir à l’intrigue impeccablement troussée et à la réalisation ultra léchée mettant en scène la passion tragique de deux jeunes gens expatriés à Lisbonne pour échapper à leur passé. Découverte également de deux acteurs merveilleux : Daniel Gélin et Françoise Arnoul, avec en prime Trevor Howard en inspecteur de Scotland Yard à l’accent anglais à couper au couteau. Si Les Amants du Tage lorgne du côté du film noir américain, en particulier le génial Laura d’Otto Preminger (la superbe et mystérieuse Françoise Arnoul rappelle d’ailleurs l’incomparable Gene Tierney), il est aussi et avant tout un magnifique film d’amour, où la passion destructrice n’a d’égal que la pureté du sentiment amoureux. Il suffit de se laisser irradier par la beauté des visages captés en plongée par un Verneuil -décidément très habile- pour s’en convaincre. Quant à Daniel Gélin, il a comme qui dirait une beauté simple, presque ordinaire, qui nous rend proche de son malheur. On comprend que cet homme torturé n’a pas fini de l’être, et qu’il a peur de se laisser gagner par ses pulsions destructrices. On note à cet égard toute la qualité d’interprétation de l’acteur, qui, lors de deux plans dignes d’un Bergman, parvient à passer d’un visage maussade, quasi indifférent, à une expression chargée de haine qui entrouvre la porte à l’angoisse affreuse, despotique de commettre l’irréparable. On vous laisse découvrir les détails de l’histoire de ces deux êtres perdus broyés par le poids de la fatalité, héros tragiques se quittant sur un quai d’embarquement maritime, hommage détourné à Casablanca. Je vous quitte sur ces mots de Katleen à son amant Pierre qui à eux seuls vous donneront à coup sur l’envie de voir le film : « Quand tu n’es pas là je suis comme une maison vide. Et quand tu arrives, c’est comme si je prenais le soleil en pleine figure ». Quel bel éloge de la passion.
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