Aveuglements
Le 29 octobre 2014
Le premier film de Murnau conservé dans son intégralité est un mélodrame psychanalytique à la fois enjoué et énigmatique où se manifeste la fascination du cinéaste pour les métamorphoses du monde visible.
- Réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau
- Acteurs : Erna Morena, Conrad Veidt, Olaf Fønss, Gudrun Bruun-Steffensen, Clementine Plessner
- Genre : Drame, Film muet
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h25mn
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– Tournage : août à octobre 1920
– Distribution : Progreß-Film GmbH (Berlin)
– Visa de censure (Allemagne) : 20 octobre 1920, interdiction aux mineurs
– première : 21 janvier 1921, Berlin, Schauburg
Le premier film de Murnau conservé dans son intégralité est un mélodrame psychanalytique à la fois enjoué et énigmatique où se manifeste la fascination du cinéaste pour les métamorphoses du monde visible.
L’argument : Ophtalmologue réputé, le docteur Eigil Boerne quitte sa fiancée Helene pour s’intaller dans un village de pêcheurs avec la danseuse Lilly. Là bas, il rend la vue à un peintre devenu aveugle. Lilly s’éprend du peintre et quitte Boerne. Celui-ci retourne en ville plein d’amertume.
Lorsque le peintre est à nouveau menacé de cécité et que Lilly vient voir Boerne pour lui demander son aide, celui-ci lui déclare qu’il est prêt à sauver son amant à condition qu’elle se tue.
Elle se prend au mot et se suicide.
Le peintre refuse ses soins en déclarant que Lilly était la seule chose au monde qu’il désirait voir. (d’après le résumé de l’intrigue sur Filmportal.de)
Notre avis : Le septième film de Murnau est aussi le premier qui nous soit parvenu dans son intégralité, puisque de Satanas (1919) ne subsiste qu’un très court fragment.
La lumière aveuglante du bord de mer qui sert de cadre à de nombreuses scènes et le scénario mélodramatique empreint de psychanalyse naïve que Carl Mayer a librement adapté d’un original danois de Harriet Bloch (Der Sieger / Le vainqueur) rapprochent le film du cinéma scandinave. On pense par moments à Blom , Dreyer ou Stiller, mais aussi aux films russes de Bauer ou au Zweimal gelebt de Max Mack (1912).
- Der Gang in die Nacht - FW Murnau 1920
Dans cette oeuvre de jeunesse où la sophistication peut prendre parfois l’apparence d’une feinte maladresse Murnau semble observer de loin, avec une pointe d’ironie légèrement incrédule, comme ébahie, mais finalement bienveillante, l’agitation de ses personnages en proie à des affects qu’ils ne sauraient contrôler et qui les fait passer de l’apathie à l’hyperexpressivité hystérique.
Cette absence de participation émotive donne au film une allure de rêve éveillé, suite de visions dont l’enchaînement semble à la fois irréfutable et irrémédiablement étrange : une rencontre dans les dunes ; le vent agitant les longs rideaux blancs dans une chambre inondée de lumière aveuglante.
Murnau s’amuse à jouer avec les attentes du spectateur (le coup de foudre inévitable mais sans cesse différé du médecin dans la loge du théâtre pour la danseuse se produisant sur la scène en arrière plan), à laisser libre-cours à l’histrionisme d’Olaf Fønss (dans un scène de folie en plan séquence) ou de Conrad Veidt (qui, dans le rôle du peintre, en était à sa quatrième et dernière collaboration avec le cinéaste après Satanas, Sehnsucht, Der Januskopf et Abend - Nacht – Morgen, tous perdus) mais aussi à contempler la nature déchaînée lors d’une tempête.
- Der Gang in die Nacht - FW Murnau 1920
- Der Gang in die Nacht - FW Murnau 1920
Surtout, il veille à toujours laisser du jeu dans les rouages dramatiques. Jamais la mise en scène ne semble subordonnée à la mécanique du récit ni à la vraisemblance psychologique mais soucieuse d’abord de rythmes enigmatiques, de trajectoires (une femme traversant tout l’écran en diagonale depuis le fond à gauche jusqu’au premier plan à doite), de dispositifs à la simplicité très concertée, de gestes inattendus (la femme arrachant violemment sa main à celui qui veut la baiser), d’obervation fascinée et amusée des métamorphoses incessantes du monde visible.
Bref : tout Murnau est déjà là dans cette oeuvre imparfaite mais mue par un appétit, une nécéssité de filmer qui enthousiasment et ne peuvent qu’aviver nos regrets face à la disparition quasi complète de neuf des vingt et un films que le cinéaste réalisa entre 1919 et 1930*.
- Der Gang in die Nacht - FW Murnau 1920
De Marizza, 1920/21, est conservé un fragment de 13 minutes correspondant à la première bobine (à peu près un cinquième du métrage total).
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