Pulsions inavouables
Le 2 février 2011
Un grand Murnau méconnu dont l’apparence lisse et élégante est parcourue souterrainement par une veine grotesque et inquiétante.
- Réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau
- Acteurs : Julius Falkenstein, Olga Tschechowa, Paul Hartmann, Lothar Mehnert, Lulu Korff-Kyser, Hermann Vallentin, Paul Bildt
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Film muet
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h21mn
- Voir le dossier : Arnold Korff
- Plus d'informations : http://videos.arte.tv/fr/videos/la_...
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– Tourné du 10 février au 2 mars 1921
– Première le 7 avril 1921 à Berlin
Un grand Murnau méconnu dont l’apparence lisse et élégante est parcourue souterrainement par une veine grotesque et inquiétante.
L’argument : Comme chaque année au mois d’octobre on se réunit au château de Vogeloed à l’occasion de la saison de chasse. Mais une pluie incessante se met de la partie et les invités, immobilisés au château, s’ennuient ferme jusqu’à l’apparition du comte Oetsch.
Les rumeurs à son sujet vont bon train : il fut soupçonné d’avoir assassiné son frère quelques années plus tôt le procès avait abouti à un non lieu.
Or la baronne Safterstädt, veuve du défunt, est attendue le soir même ainsi que son nouvel époux. La nouvelle n’émeut pas le comte : il reste.
La baronne veut repartir sur le champ mais se décide à rester en apprenant que le père Faramond, un parent de son ex-mari, doit arriver de Rome dans les prochains jours. Un jeu mystérieux s’installe : apparitions et disparitions, vraies et fausses révélations. Un coup de feu retentit...
Notre avis : Tourné au début de l’année 1921, Schloss Vogeloed est le neuvième opus de Friedrich Wilhelm Plumpe, alias FW Murnau, 32 ans, et le deuxième, après Der Gang in die Nacht, qui nous soit parvenu intégralement.
La réputation du cinéaste commençait à être bien établie et le film, produit par Erich Pommer pour la Uco-Film GmbH sur commande de la Decla-Bioscop AG, bénéficia à l’évidence d’un budget confortable, même si la durée de tournage (trois semaines et demie) semble courte par rapport à celle de Nosferatu, l’opus 10, qui se déroulera d’août à octobre de la même année.
Mais cette relative rapidité d’exécution s’explique aisément par le caractère très ramassé de l’intrigue et l’unité de lieu presque complète, rompue seulement par quelques brefs flashbacks.
Comme l’indique le sous-titre, Die Enthüllung eines Geheimnisses (La découverte d’un secret) , le scénario que Carl Mayer et Bertold Viertel ont tiré d’un roman de Rudolf Stratz, paru en feuilleton dans la Berliner Illustrierten Zeitung, développe sur le mode du whodunit une énigme de caractère policier débouchant sur l’identification de l’assassin caché parmi les personnes réunies dans un château pour une partie de chasse empêchée par une pluie incessante.
L’aspect ludique du genre, proche du jeu de société, est totalement assumé : plans d’ensemble récurrents du château, à l’évidence une maquette, décors élégants et luxueux signés Robert Herlth (architecture filmique créative indique le générique) et Hermann Warm, conseillés par le comte de Montgelas, mise en scène qui fait se déplacer les figures tels les pions sur un échiquier dans de superbes compositions d’ensemble, manifestementstoryboardées et usant magistralement de la profondeur de champ.
Le caractère légèrement parodique de l’ensemble est souligné par le jeu subtilement décalé des acteurs et la présence d’éléments délibérément comiques, en particulier deux réjouissantes séquences de rêves qui relèvent de la veine comique, proche de Lubitsch, présente dans toute l’oeuvre de Murnau mais souvent négligée par les commentateurs et dont Les finances du Grand duc(1923) ou Tartüff fournissent de brillants exemples.
Mais ce jeu comme en suspens des acteurs, qui se figent soudain en adoptant un regard vide, et les nombreux plans tableaux énigmatiques minent l’apparence lisse et policée, faisant pressentir la présence d’un autre film souterrain, fait de pulsions inavouées qui ne demandent qu’à s’étaler au grand jour. Les rêves qui font surgir les peurs et les désirs réprimés (la main géante qui entre dans la chambre de l’homme peureux (Julius Falkensein) ou le mitron s’empiffrant de pâte à gâteau tout en giflant méthodiquement le chef cuisinier sous l’oeil bienveillant du moine) font écho au lourd secret du baron et surtout de la baronne Safterstädt.
Le grotesque inquiétant dans lequel baigne Schloss Vogeloed doit beaucoup à la photo de Fritz Arno Wagner et László Schäffer ainsi qu’aux comédiens, en particulier Lothar Mehnert, sinistre à souhait dans le rôle du comte Oetsch, et Olga Tschechowa, sensuelle et mystérieuse dans un de ses premiers rôles au cinéma, qui promène dans tout le film son air tourmenté ou dit avec gourmandise son envie soudaine de faire quelque chose de très méchant.
Magnifiquement restauré et rendu à ses colorations d’origine, ce film, qui peut paraître mineur au premier abord, est une oeuvre extrêmement aboutie et dont l’exceptionnelle richesse de formes et de significations se révèle au fil de visions successives.
Signalons que le roman fut à nouveau adapté en 1936, cette nouvelle version étant réalisée par Max Obal.
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