Le 7 décembre 2017
Une édition superlative pour ce film sombre et lumineux, dernière œuvre de Murnau, qui fait d’une fable simple un chant puissant.
- Réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau
- Acteurs : Matahi, Bill Bambridge, Anne Chevalier
- Genre : Drame, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h30mn
- Titre original : Tabu: A Story of the South Seas
- Date de sortie : 21 janvier 1932
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– Sortie DVD et Blu-ray : le 5 décembre 2017
Résumé : Sur l’île de Bora-Bora, un pêcheur de perles s’éprend d’une jeune fille vouée à être sacrifiée...
Notre avis : On est d’abord intimidé par Tabou, par son statut de chef-d’œuvre, le dernier tourné par Murnau qui meurt avant sa sortie, par les commentaires abondants, par ce qu’on a lu, entendu, ce que l’on sait, qui d’une certaine manière fait obstacle à sa vision. Et puis, dès les premières images, on est happé par la beauté : beauté des cadres, beauté des décors, et surtout beauté des corps célébrée à chaque plan, comme si le cinéaste se repaissait sans fin de cette nature et d’une innocence largement fantasmée.
Que raconte Tabou ? Une sorte de Roméo et Juliette à Bora-Bora : Matahi aime Reri, qui est déclarée « taboue » et donc inaccessible. Les règles sont strictes, les traditions immuables : rien ne pourra faire qu’ils soient ensemble. Murnau regarde se débattre ces innocents dans les rets d’un destin implacable et compatit à leur malheur, victimes du poids de la société comme de la « civilisation » qui les exploite. Partout la menace, qu’elle soit incarnée par une lettre des autorités, ou par le vieux Hitu que Murnau cadre entre deux troncs, et qui peut, comme Nosferatu, apparaître et disparaître à son gré. Le bonheur n’est pas possible dans un monde corrompu : ainsi l’innocence du jeune couple s’oppose-t-elle aux boutiquiers avides qui présente des notes faramineuses. D’ailleurs l’écrit, souvent sous forme de lettres, est principalement annonce du mal. Au contraire des danses ou des jeux du début, il incarne la culture néfaste, tout comme l’argent, dont Matahi ne connaît pas la valeur, symbolise la perdition. De manière significative, le film est découpé en deux parties : « Paradis » et « Paradis perdu ». Cette dichotomie traduit fidèlement le sentiment de perte, mais aussi une sorte de romantisme noir et désespéré qui ronge peu à peu un métrage commencé dans l’insouciance et la lumière.
Murnau utilise principalement les plans fixes : le mouvement est créé par les déplacements des personnages, mais aussi par un montage acéré (voir les danses qui deviennent frénétiques, ou les apparitions de Hitu en champ-contrechamp, visible seulement par Reri, ou encore la plongée dangereuse de Matahi alternant avec le départ de la jeune fille). Le plan fixe, c’est aussi l’occasion de créer d’admirables images d’une grande pureté : il faudrait ici tout citer, depuis les plages découpées par les arbres jusqu’à la marche funèbre de Reri gagnant le bateau de Hitu ou la course folle de Matahi pour la rejoindre.
Derrière la simplicité apparente d’une fable linéaire se cache un sens aigu du cinéma, renforcé par un entremêlement savant de motifs : le collier de fleurs, la corde rompue, les danses qui s’interrompent sont autant d’échos qui structurent le film et surtout, l’eau omniprésente qui change de sens selon les moments ; synonyme d’innocence quand elle est cascade, elle devient danger lors de la plongée pour finir en océan létal. Admirables dernière images dans lesquelles Matahi se débat pour rejoindre son aimée et s’épuise en un vain combat ! À la fin, comme le dit à peu près Victor Hugo, ne reste que la mer.
De ce chef-d’œuvre limpide, on peut retenir la noirceur impitoyable ; mais, malgré l’issue désespérée, on garde aussi en mémoire ces corps élancés et musculeux, cette sensualité « naturelle », ces beaux visages qui ont fasciné Murnau. Par-delà les décennies, leur fraîcheur intacte continue d’enchanter et de faire notre bonheur.
Les suppléments :
N’y aurait-il que l’envoûtant documentaire d’Yves de Peretti (Tabou, dernier voyage, 77mn), voyage autant qu’introspection à la recherche de l’énigmatique Murnau sur les lieux du tournage, le Blu-ray vaudrait déjà l’acquisition. Mais Potemkine a vu les choses en grand pour accompagner ce chef-d’œuvre : l’entretien chapitré avec Bernard Eisenschitz est un régal d’érudition (50mn), et le film réalisé à partir des rushes de Tabou, qui joue un peu le rôle de retour au paradis, ne manque pas d’intérêt. En regardant les bonus à la suite, on a l’impression de connaître plus intimement Tabou : plus de deux heures passionnantes pour une œuvre aussi riche, c’est un événement à saluer de la part d’un éditeur généreux.
L’image :
La restauration est fascinante : même si un carton prévient que des instabilités ont été volontairement conservées, la suppression de la plupart des parasites et le rendu des nuances d’un magnifique noir et blanc enthousiasment : on n’avait jamais vu Tabou dans d’aussi bonnes conditions.
Le son :
La musique (puisqu’il s’agit d’un film sonore) est limpide malgré de discrets éraillements.
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