Fièvre expressionniste
Le 25 août 2010
Un joyau méconnu qui porte à son paroxysme l’esthétique expressionniste. Sidérant de beauté.


- Réalisateur : Karlheinz Martin
- Acteurs : Ernst Deutsch, Erna Morena, Hans Heinrich von Twardowski, Roma Bahn
- Genre : Fantastique, Expérimental, Film muet
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : Filmuseum
- Plus d'informations : http://www.choses-vues.com/blog/pro...

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– Durée : 1H12mn
– Titre original : Von morgens bis mitternachts
Un joyau méconnu qui porte à son paroxysme l’esthétique expressionniste. Sidérant de beauté.
L’argument : Un matin, dans une petite ville de province, un employé de banque triste et morose a soudainement un coup de foudre pour une cliente élégante de passage. Las de son existence monotone, il quitte sa famille, s’enfuit avec la caisse et l’espoir de refaire sa vie à Berlin. Il y découvre la vitesse de la métropole, l’ivresse des plaisirs faciles mais également la solitude et la pauvreté. Affligé, hanté par la mort, recherché par la police, il tente de se sauver...
Notre avis : Produit par la petite société Ilag-Film, Von morgens bis mitternachts est adapté de la pièce homonyme de Georg Kaiser, un des protagonistes du théâtre expressionniste. Il a été tourné dans le cours de l’année 1920 par une équipe composée d’acteurs et de techniciens actifs sur les scènes berlinoises, auxquels s’adjoignirent des non-professionnels tels que l’écrivain Max Herrmann.
Cette indépendance vis à vis des règles de l’industrie cinématographique et le caractère totalement expérimental du produit empêchèrent son exploitation commerciale en Allemagne, bien qu’il ait obtenu un visa de censure (le 15 août 1921). Seuls quelques projections corporatives sont attestées et le film, longtemps considéré comme perdu, ne fut connu que par de rares photos jusqu’à ce qu’en 1962 le Filmarchiv de RDA récupère une copie provenant du Japon, où il avait été exploité avec succès dans les années 20.
Ce destin rocambolesque est à la mesure de cette oeuvre surprenante, témoignage sans doute le plus abouti de l’esthétique expressionniste au cinéma.
Car ici les partis pris formels sont encore bien plus affirmés et menés à bout que dans Le cabinet du Docteur Caligari, Genuine, Raskolnikov ou Die Straße, pour ne citer que quelques uns des exemples significatifs de ce mouvement entamé avant guerre au théâtre et dans les arts plastiques, et qui toucha le cinéma dans les mois qui suivirent l’armistice.
Et plus qu’un autre, le film communique l’effervescence artistique et la fièvre politique qui s’empara de l’Allemagne dans cette époque de grands bouleversements. Car la charge sociale (anticapitaliste et antichrétienne) d’une extrême violence est indissociable d’un geste esthétique qui confine au paroxysme : stylisation extrême des décors peints sur fond noir, jeu halluciné des acteurs, préfiguration des expérimentations formelles de l’Avant-Garde (Ruttmann, Richter) lors de la magistrale séquence de la course cycliste filmée dans un miroir déformant...
On comprend la crainte des exploitants de l’époque mais on ne peut qu’être ébloui par la splendeur de ce joyau filmique admirablement composé et photographié, et qu’être saisi par la fièvre dostoïevskienne qui l’habite.
Le DVD
L’admirable édition DVD de Filmmuseum, distribuée en France par Choses Vues, permet d’accéder dans des conditions optimales à ce joyau méconnu, à découvrir d’urgence.
Les suppléments
Un seul supplément sur le disque : un bref documentaire concernant l’accompagnement musical par l’ensemble de cuivres H/F/M. Intéressant.
Mais surtout un précieux livret contenant quatre textes passionnant illustrés par de superbes photos. Attention cependant, il est recommandé d’être plurilingue : deux textes en allemand, un en anglais, un en français (de Francis Courtade).
Sous-titres en français, anglais et espagnol.
Image
Evidemment pas de HD mais une superbe copie très contrastée à l’excellente définition, qui rend justice au prodigieux travail du chef opérateur Carl Hoffmann et à celui du décorateur Natter.
Son
Deux pistes sont proposées. L’une, très jazzy, par l’ensemble de percussions H/F/M ; l’autre, plus musique de chambre sérielle, composée par Yati Durant. Les deux sont hautement recommandables et conviennent bien au film. On peut aussi choisir le version muette.