Faux dévot, vrai salaud
Le 1er novembre 2006
Quand Murnau rencontre Molière. Une dénonciation de la cupidité et de l’hypocrisie morale et religieuse. Une œuvre superbe, d’une profonde modernité.
- Réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau
- Acteurs : Emil Jannings, Lil Dagover, André Mattoni, Rosa Valetti, Werner Krauss, Lucie Höflich
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : MK2 Video
L'a vu
Veut le voir
– Durée : 1h01mn
– titre original : Tartüff
Quand Murnau rencontre Molière. Une dénonciation de la cupidité et de l’hypocrisie morale et religieuse. Une œuvre superbe, d’une profonde modernité.
L’argument : Un vieux et riche bourgeois vit avec sa logeuse, une mégère assoiffée d’héritage qui lui fait impudemment la cour. Quand le petit-fils du vieillard s’en rend compte, il se déguise en producteur de spectacle, et convie son grand-père et sa logeuse à la projection d’un film dans son cinéma ambulant. Il espère ainsi que l’histoire de l’hypocrite Tartuffe, qui tente d’arracher ses biens et sa femme à son "ami", ouvrira les yeux du vieil homme.
Notre avis : Quand Murnau arrive sur le projet d’adaptation de la pièce éponyme de Molière, Tartuffe vient juste d’être découvert au théâtre par les Allemands, avec un certain succès. Constituant à nouveau l’équipe de son précédent opus, le superbe Dernier des hommes, le cinéaste adapte la célèbre comédie française en gardant uniquement ce qui l’intéresse, en livrant ainsi une version très personnelle.
Faisant preuve d’une grande invention narrative, le récit des méfaits de Tartuffe est encadré par un prologue et un épilogue contemporains, qui renforce l’actualité du récit du XVIIe siècle. Le spectateur est d’ailleurs directement interpellé à la fin du film. D’autre part, Murnau fait clairement référence à son histoire personnelle à travers la position du petit-fils, forcé de se camoufler pour faire triompher la vérité. Désavoué par son père, le cinéaste a dut prendre un pseudonyme avant de se lancer dans le cinéma, par ailleurs ici présenté comme le révélateur de la vérité. Superbe déclaration d’amour au septième art par l’un de ses plus géniaux serviteurs.
Et le réalisateur de L’Aurore ne s’en tient pas seulement aux déclarations de principe. L’adaptation proprement dite est une merveille de mise en scène, Murnau se montrant comme à son habitude aussi précis qu’inventif. Tirant admirablement parti d’un cadre magnifique (réalisé par les décorateurs du Cabinet du docteur Caligari (1920), l’un des films les plus emblématique de l’expressionnisme qui influe ici), relevant avec brio la gageure de l’unité de lieu, s’appuyant sur des recherches précises sur le Grand Siècle, Tartuffe est une exceptionnelle réussite artistique.
Quant au propos, il ne dépare pas cette merveille esthétique. De la pièce initiale, Murnau a gardé ce qui l’intéresse le plus, la rigueur de la morale sexuelle et de la religion qui l’impose. Homosexuel souffrant d’avoir à cacher ses préférences, il a plus d’un compte à régler avec une religion qui oppresse, condamne et oblige à la clandestinité. C’est ainsi que le moteur principal d’Elvire pour démasquer le faux dévot devient le rejet que ce dernier impose à son époux, qui refuse de la toucher. La revendication du droit des femmes au désir et, partant, celle des autres catégories opprimées, n’est pas le moindre atout d’une œuvre alors profondément subversive, qui impressionne encore par son absolue modernité.
LE DVD
Le(s) bonus à ne pas manquer : Pour cette édition de référence, MK2 propose des bonus courts, mais de grande qualité. Un documentaire de 43 minutes, Tartuffe, le film perdu, retrace toute l’histoire du projet, de sa naissance à sa restauration, en passant par une étude approfondie des coupes imposées à la version proposée (celle destinée au marché américain, le négatif original allemand étant définitivement perdu). Extrêmement riche, notamment sur le plan iconographique, on n’a pas trop de deux visions de ce film pour en faire le tour. Il est formidablement complété par de nombreuses biographies des membres de l’équipe qui permettent de replacer l’œuvre dans son contexte historique et artistique, ainsi que par le générique complet de l’œuvre.
Image et son : La version proposée, tirée de la copie américaine (la mieux conservée) a fait en 2002 l’objet d’une restauration par la Fondation Friedrich-Wilhelm-Murnau, conduite en collaboration avec les archives fédérales allemandes. Le résultat est des plus honorables, notamment dans le rendu des contrastes, élément essentiel à une œuvre largement influencée par l’expressionnisme. Quant à la musique, elle reprend la partition originale de piano (la seule conservée), complétée par Javier Pérez de Azpeitia. Au départ un brin agaçante car omniprésente, elle s’affine pour épouser pleinement le propos du film.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.