Bals populaires
Le 27 avril 2024
Le deuxième film de Miguel Gomes est une proposition de cinéma tout à fait originale, dont le dispositif pourra sembler un brin théorique sur le papier, mais qui s’avère à l’arrivée intrigante, drôle et émouvante.
- Réalisateur : Miguel Gomes
- Acteurs : Joaquim de Almeida , Sonia Bandeira, Fabio Oliveira
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Portugais
- Distributeur : Shellac
- Editeur vidéo : Shellac
- Durée : 2h30mn
- Titre original : Aquele querido mês de agosto
- Date de sortie : 17 juin 2009
- Festival : Festival de Cannes 2008
Résumé : Au cœur du Portugal montagnard, le mois d’août décuple la population et ses activités. Les gens rentrent au pays, tirent des feux d’artifice, contrôlent les incendies, font du karaoké, se jettent du pont, chassent le sanglier, boivent de la bière, font des enfants... Si le réalisateur et l’équipe du film étaient allés droit au but, résistant à la fête, le synopsis se réduirait à : « Ce cher mois d’août suit les relations sentimentales entre le père, la fille et son cousin, musiciens d’un groupe de musique de bal ». Amour et musique, donc.
Critique : La première heure de Aquele querido mês de agosto, le deuxième film de Miguel Gomes après La gueule que tu mérites, nous fait assister, en Arganil, au centre du Portugal, aux préparatifs de tournage d’une fiction par une petite équipe qui n’est autre que celle du film que nous sommes en train de voir : Gomes lui même et ses collaborateurs. Repérages, séances de casting, discussions au sujet de l’état d’avancement de l’entreprise, le tout entrecoupé d’extraits de concerts enregistrés lors des bals populaires en cette période estivale, les orchestres du cru interprétant d’inusables tubes célébrant l’été fugitif et les amours passagères.
En longs plans généralement fixes, des gens du coin se livrent à des joutes verbales, chantent, discutent, racontent des anecdotes ou improvisent sur le canevas de la fiction en projet. Le statut exact de ce que nous voyons à l’écran, documentaire ou déjà fiction, est souvent indécidable et on se demande parfois où l’on va.
Cette indécision, qui est celle, réelle ou feinte, du cinéaste lui-même, apparemment peu pressé de passer aux « choses sérieuses », pourra agacer ; mais si l’on accepte d’entrer dans le jeu, on passera une heure bien agréable, véritable immersion dans l’ambiance décontractée d’une villégiature estivale qui nous permettra de faire connaissance avec des figures singulières et attachantes tel ce Paulo « Moleiro » dont la spécialité est de se jeter du pont en période de carnaval (sans vérifier si l’eau est assez profonde).
Puis, sans prévenir, le film bascule dans la fiction d’un trio amoureux, assez improbable (fille, père, cousin) sans abandonner pour autant son côté documentaire. Les acteurs, qu’on a vus auparavant dans leur propre rôle, endossent leur nouvelle identité sans solution de continuité.
Ce procédé, qui fait un peu « distanciation brechtienne », ne gênera que le spectateur accroché à ses préventions, le film l’assumant avec le plus parfait naturel (et une bonne dose d’humour). Bref, on marche tout en étant conscient du dispositif.
Car, qu’on croie ou non à l’histoire racontée, quelque chose passe indubitablement de la vérité des êtres (acteurs et personnages), lieux, situations, et on a l’impression troublante (et gratifiante) de toucher du doigt l’essence même de la magie du cinématographe.
Les extraits de concerts continuent de ponctuer l’action, puisque les protagonistes sont tous les trois musiciens, et les morceaux interprétés (dont celui qui donne son titre au film) entretiennent des liens subtils, bien qu’en apparence fortuits, avec l’histoire racontée. Cette omniprésence de la musique est déterminante : elle contribue fortement à la réussite de l’entreprise et à la charge émotionnelle qu’elle véhicule.
C’est donc à une belle aventure cinématographique, stimulante, drôle, émouvante, que nous convie Aquele querido mês de agosto, profondément imprégné de saudade, et qui n’a pas volé les prix glanés ici ou là dans les festivals (ainsi que le Globo de ouro du meilleur film portugais de 2009) et dont on salue l’opportune édition DVD.
Le DVD
Une admirable et généreuse édition DVD vient opportunément prolonger le plaisir procuré par cet ovni lusitanien et musical. Disponible en septembre chez Shellac et Actes Sud.
Un disque entier de compléments : versions complètes des prises utilisées dans le montage final, options alternatives et scènes inédites (certaines muettes car « privées de droits musicaux »).
Ce qui ailleurs tient du remplissage pur et simple s’avère ici prolongement inespéré du plaisir procuré par le film, celui-ci se trouvant comme amplifié et mis en perspective par ces prises souvent fort belles. Indispensable.
Perle sur le gâteau, un court-métrage intitulé Carnaval qui nous permet de retrouver le fameux Paulo « Moleiro » dont une interview filmée privée de son est déchiffrée par deux jeunes filles sourdes qui essayent de lire sur ses lèvres. Suivent des images du carnaval de 2007 au cours duquel Paulo, finalement, ne sautera pas du pont.
Incongru, drôle et parcouru de la même émotion secrète que le long-métrage.
Image
Bon report à la définition toute à fait correcte qui, surtout, restitue les couleurs de l’été portugais, indispensables à l’impact émotionnel du film.
Son
Là aussi le report est irréprochable et permet d’apprécier, en Dolby SRD, le remarquable travail de mise en perspective sonore opéré par Vasco Pimentel (capable selon la dernière séquence du film de capter des sons imaginaires !) et le mixage qui associe subtilement les prises synchrones (les musiciens chantent et jouent évidemment en direct) à des effets de surimpression toujours pertinents.
– Sortie DVD : septembre 2010
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Norman06 19 juillet 2009
Ce cher mois d’août - Miguel Gomes - critique
Curieuse proposition de cinéma qui entremêle documentaire sur une région, film de tournage, et fiction sentimentale et familiale, le tout sous fond musical de bal populaire et de saudade. En dépit du fait que la dernière heure du récit se concentre davantage sur le troisième aspect, en narrant les amours contrariés de deux jeunes cousins, le téléscopage des genres est récurrent. Même la dimension documentaire est plurielle : on passe de l’approche d’un genre musical à la manière de Fados au témoignage sur un meurtre en passant par la chronique villageoise. Pour autant, si séduisant que soit l’essai, il ne convainc pas totalement : est-ce dû à sa longueur excessive, qui nous laisse le temps d’un petit somme estival, bercés par le rythme nonchalant du film ? À voir avant (ou après) le blockbuster de l’été, par souci de contraste...