Au bout du conte
Le 26 août 2015
Les deux dernières heures d’une saga fantasque. La fin du rêve d’un réalisateur halluciné et hallucinant.
- Réalisateur : Miguel Gomes
- Acteurs : Rogério Samora, Adriano Luz, Crista Alfaiate
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand, Suisse, Portugais
- Distributeur : Shellac
- Durée : 2h05mn
- Titre original : As mil a uma noites
- Date de sortie : 26 août 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Où Schéhérazade doute de pouvoir encore raconter des histoires qui plaisent au Roi, tant ses récits pèsent trois mille tonnes. Elle s’échappe du palais et parcourt le Royaume en quête de plaisir et d’enchantement. Son père, le Grand Vizir, lui donne rendez-vous dans la Grande Roue. Et Schéhérazade reprend : « Ô Roi bienheureux, quarante après la Révolution des Œillets, dans les anciens bidonvilles de Lisbonne, il y avait une communauté d’hommes ensorcelés qui se dédiaient, avec passion et rigueur, à apprendre à chanter à leurs oiseaux... ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.
Critique : Ce dernier volume se concentre sur l’exil de Schéhérazade qui part du palais où elle était captive puis sur les pinsonneurs. Ces éleveurs de volatiles chantants sont des passionnés, qui font songer tantôt à des supporters sportifs tantôt à des turfistes. Le film s’achèvera sur un des grands concours annuels de chants d’oiseaux, où le pinson qui réussit à chanter le plus d’airs différents remporte le premier prix. Si Gomes passe un long moment de la dernière partie du film à nous raconter la vie et les aspirations de ces éleveurs, pas question pour lui de nous révéler l’issue du concours. Cette confiance faite à l’intelligence du spectateur est une des spécificités des Mille et une nuits. La plupart des metteurs en scène classiques auraient, pour une telle saga, envisagé un final en forme de feu d’artifice, multipliant les effets, pas Gomes.
Le réalisateur nous offre ici un condensé d’images d’une grande variété. Du film, de la vidéo, des archives, du noir et blanc, du split screen et des fondus à vous en faire tourner la tête. Les cartons n’ont jamais été aussi nombreux que dans cet opus. On y retrouve le fameux extrait « et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait » comme des indications sur l’identité des multiples personnages, leurs rêves et querelles. Ce foisonnement, loin d’être désagréable, se révèle assez jouissif. Ce sont les limites de la narration classique que le réalisateur a tant à cœur de repousser qui sont défiées, et avec succès. Le spectateur a tout le loisir de choisir ce qu’il voudra retenir de ce voyage en absurdie. La quête d’absolu de la princesse Schéhérazade en fuite est celle de tout être humain : ressentir les choses plus fortes, plus belles.
La chanson Perfidia d’Alberto Dominguez ponctue le film de bout en bout, au fil de nombreuses versions, dont une interprétée par Nat King Cole. Elle devient le nouvel hymne du Portugal à la Gomes, pour notre plus grand bonheur. Un pays libre mais pauvre, traversé par ses rêves et sa mélancolie.
Ainsi ce troisième volume est sans aucun doute le plus cosmopolite. Sur des images de manifestations dont il est impossible de dire s’il s’agit ou non d’archives, on entend une jeune Chinoise nous raconter en chinois son histoire d’amour avec un Portugais. Schéhérazade se rend à Bagdad, qui prend tour à tour les traits de villes du Portugal ou de France, comme Marseille. Immersion du passé dans le présent : quand la princesse lance à la mer une lampe où réside un génie, elle se fait traiter de crasseuse par de jeunes plongeurs. Quel meilleur moyen de réaffirmer la qualité intemporelle du film ? Ancien ou moderne, chacun pourra y lire un message.
En résulte un document pas menteur, une fiction surréaliste, un objet filmique non identifié qui nous en dit bien plus sur le Portugal contemporain que n’importe quel documentaire.On quitte le film un peu comme on dit adieu à un nouvel ami, plein des choses qui auraient pu se dire mais qui sont plus belles d’avoir été tues.
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