Le 2 avril 2023
- Réalisateur : Guillaume Bureau
– Sortie du film : 5 avril 2023
Lors d’une avant-première de son premier long-métrage C’est mon homme, au cinéma Darcy (Dijon) le 17 mars 2023, nous avons eu le privilège de poser quelques questions au réalisateur nivernais Guillaume Bureau.
AVoir-ALire : Guillaume Bureau, bonjour. Merci d’accorder une interview au site avoir-alire.com à l’occasion de la sortie prochaine de votre premier long-métrage C’est mon homme, le 5 avril 2023.
Guillaume Bureau : C’est ça.
- Copyright Alex Pixelle
- Leïla Bekhti et Karim Leklou dans "C’est mon homme"
Avoir-ALire : J’ai plusieurs questions à vous poser. Personnellement, j’ai vu le film qui m’a beaucoup plu. Je voulais vous faire part de mon ressenti et, bien entendu, vous interroger sur vos intentions de réalisateur.
Guillaume Bureau : OK.
AVoir-ALire : C’est mon homme est inspiré de deux faits divers, l’un italien, l’autre français au lendemain de la Grande Guerre. Pouvez-vous développer ?
Guillaume Bureau : Le fait divers italien ressemble assez au film puisque ce sont deux femmes qui vont se battre pour un homme dont la photo est parue dans le journal et qui est amnésique, ce qui va entraîner un très long feuilleton judiciaire qui va passionner l’Italie pendant pas mal d’années. Finalement, la justice va révéler que cet homme est un imposteur et n’est pas amnésique mais il va endosser, malgré tout, une identité qui n’est pas la sienne et la femme qui le réclamait va continuer à défendre la conviction qu’il est son mari. L’autre fait divers, c’est en France, et là c’est le cas d’un soldat que l’on a retrouvé amnésique sur un quai de gare en 1918. Quand sa photo paraît dans la presse, ce ne sont pas deux femmes qui le réclament mais trois cents familles, ce qui est un nombre assez ahurissant de notre point de vue aujourd’hui. Mais, si l’on se remet dans le contexte de l’époque, cela s’explique car la Première Guerre mondiale, ce sont 300 000 soldats qui ont disparu ; et quand quelqu’un a disparu, il n’est ni mort ni vivant : il y a toujours un espoir qu’il puisse revenir et on l’attend. Cela génère des deuils pathologiques. Même si la ressemblance physique n’est pas flagrante sur la photo, on s’accroche. Ce soldat amnésique a aussi été surnommé, par la presse, le soldat inconnu vivant. Ce qui m’a bouleversé dans cette histoire, c’est que l’identité n’est pas une affaire de science, c’est une affaire de croyance, en fait. Quand on veut croire, il n’y a pas de preuves contraires qui tiennent, et toutes les familles sont persuadées d’être dans leur bon droit. Voilà. Quelle est la vérité ?
AVoir-ALire : Comment avez-vous réussi à réunir trois acteurs à la filmographie déjà conséquente. Qu’est-ce qui les a fait adhérer différemment à votre projet ?
Guillaume Bureau : En fait, le projet est assez ancien. J’ai commencé à écrire en 2016. J’ai rencontré ma productrice en 2018. On cherchait d’abord le personnage de l’homme amnésique. Et là, on est fin 2018, et ma productrice me parle de Karim Leklou. Je ne le connaissais pas. À l’époque, il avait déjà tourné dans un film de Raphaël Jacoulot, et dans Le monde est à toi deRomain Gavras, qui avait été un succès mais que je n’avais pas vu. Je rencontre Karim, je lui fais passer un essai comme à d’autres acteurs, et il s’impose comme une évidence parce qu’il a une présence très ancrée, très terrienne, très très incarnée, mais dans son regard il y a un grand vide qui est peut-être le vide de l’amnésie. Ce paradoxe-là est très fort, et d’autre part c’est quelqu’un qui suscite une grande empathie, qu’on a envie de soigner, qu’on a envie d’aimer, et c’étaient des choses que le personnage devait susciter absolument.
AVoir-ALire : Concernant votre direction d’acteurs, vous laissez la spontanéité s’exprimer ou vous suivez le scénario à la lettre ?
Guillaume Bureau : Non, on suit le scénario à la lettre. Mais sur le plateau avant de savoir où placer la caméra, on fait une mise en place, et là j’observe ce que font les acteurs spontanément, puis on essaye d’harmoniser le tout avec mes envies.
AVoir-ALire : Est-ce que vous étiez pointilleux concernant la reconstitution historique ? Ou vous êtes-vous permis des libertés pour asseoir votre fiction ?
Guillaume Bureau : Oui avec la cheffe décoratrice et la cheffe costumière, on s’est plutôt accordé des libertés parce qu’on ne voulait pas une reconstitution scrupuleuse de l’époque. Ne pas faire un film figé mais un film vivant, et donc créer un univers esthétique qui soit celui des années 1920 mais avant tout un univers esthétique propre à ce film en particulier. Il doit y avoir parfois des anachronismes car la beauté doit l’emporter sur l’exactitude. Notre source d’inspiration a fortement été un peintre danois du début du XXe siècle, Vilhelm Hammershoi. La caractéristique de sa peinture, c’est l’épure, c’est le vide, et donc l’époque est suggérée et reconnaissable avec quelques éléments de mobilier mais ce n’est pas surchargé, ce qui fait que l’image est assez intemporelle et ça donne un côté moderne à l’époque. C’est cette modernité qu’on a cherchée, et que j’espère on a trouvée.
AVoir-ALire : Pouvez-vous nous parler de vos lieux de tournage et tout particulièrement de ceux choisis en Bourgogne ? Notons que vous avez aussi tourné dans les Pays de la Loire.
Guillaume Bureau : Moi, j’habite la Bourgogne. J’habite la Nièvre. J’y ai acheté une maison de campagne en 2013, puis en 2017 j’ai quitté Paris pour la Nièvre pour y écrire notamment le scénario de C’est mon homme. Le projet a été aidé par la région dès l’écriture puis on a eu l’aide au développement et le soutien à la production. J’avais le souhait de tourner en Bourgogne car on a l’impression qu’il y a certains paysages qui n’ont pas bougé depuis longtemps. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est faux ? En tout cas, parfois, on se sent dans une autre époque justement. C’est ça qui m’intéressait. On a tourné à Avallon, à Semur-en-Auxois et Moutiers-Saint-Jean.
AVoir-ALire : Voici ma question la plus longue. Où commence et où s’arrête la sincérité des deux femmes qui revendiquent le même homme pour mari ? Il y a une part de mise en scène ? À travers la photographie pour l’une ? À travers la cabaret pour l’autre ? Qu’en pensez-vous ?
Guillaume Bureau : Oui, oui, tout à fait. Plusieurs choses d’abord. C’était important que dans la première partie, on soit avec le personnage de Julie ; c’est très important qu’on la croit et que l’on voit qu’elle est sincère même si l’on pourra se demander si elle ment, mais en tout cas, elle ment avec sincérité. D’une part, j’ai cherché cette ambiguïté-là ; d’autre part, c’est une femme issue de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie de province, et c’est une femme qu’on peut croire aisément par rapport à une femme qui travaille dans un cabaret à travers le personnage incarné par Louise Bourgoin qu’on pourrait soupçonner plus volage et, comment dire, vénale, même menteuse de surcroît. C’est peut-être cependant la plus sincère, et cela m’intéressait de déjouer les clichés. Ensuite, j’ai choisi de faire de Julie une photographe, d’abord parce que c’est le medium du souvenir par excellence, et c’est une des thématiques qui irriguent le film ; d’autre part, cela m’offrait à moi, en tant que réalisateur, un espace de mise en scène assez ludique finalement. Cela permettait de faire aussi de Julie une metteuse en scène. Elle va agir avec l’homme comme une metteuse en scène, et elle va recréer avec lui l’homme qu’elle a connu ou l’homme qu’il était peut-être. Cela m’intéressait car il y a la dimension de l’acteur, du rôle, du théâtre, que l’on retrouve beaucoup plus aisément du côté du cabaret parce que là il y a une scène, et des artistes, voilà.
AVoir-ALire : Oui, en effet, on le voit à travers Julie. Julien vient la voir dans sa chambre car il a fait un rêve, et tout de suite, Julie l’amène dans son studio de photographie, et lui dit "le cyclope, c’est ceci", "les ornementations c’est cela", et "ton rêve, il n’est pas innocent."
Guillaume Bureau : Mais en même temps, elle lui donne une interprétation, et lui l’accepte mais est-ce qu’il a vraiment rêvé de ça ? Chacun des personnages a une part secrète et lui, on peut même s’interroger sur ses intentions puisque finalement, il est très bien dans cette maison, cette femme est très agréable avec lui, et à un moment donné, est-ce qu’il a vraiment fait ce rêve ? Est-ce pour faire plaisir à Julie et pour lui donner un signe de sa guérison ? En fait, j’ai essayé de construire le film pour que le spectateur soit actif et puisse mener sa propre enquête et récolter des indices à droite et à gauche afin de sa faire sa propre idée. Finalement, c’est à chacun sa vérité.
AVoir-ALire : Il y a aussi le psychiatre qui demande au départ à Julie un signe distinctif de l’homme, à savoir une trace sur un omoplate, alors que Rose-Marie Brunet ou Frimousse donne un couteau à ce dernier pour qu’il le lance avec une dextérité étonnante.
Guillaume Bureau : Oui, en effet, c’est un signe distinctif qui est fort. Julie se trompe cependant de côté entre la droite et la gauche. Après, elle dit que le dessin que l’on a trouvé dans la poche de Julien est celui dans l’arbre creux de leur jardin mais dans le film, on ne montre pas ce dessin. De plus, le médecin ne va pas vérifier si c’est bien l’arbre. Concernant le couteau, dans le procès de l’époque que nous n’avons pas tourné finalement, l’avocat de Julie attaquait cet argument en disant que, finalement, pour tromper l’ennui, les soldats sur le front avaient pu jouer au lancer de couteau, et que cet homme amnésique en faisait partie.
AVoir-ALire : Personnellement, je trouve que le film est un bijou esthétique. Comment êtes-vous parvenu avec votre équipe technique à un tel résultat ?
Guillaume Bureau : On a vraiment travaillé main dans la main avec Colin Lévêque, chef opérateur, Catherine Jarrier, cheffe décoratrice, et Nathalie Raoul, cheffe costumière, pour vraiment créer un univers cohérent, ne serait-ce déjà que dans les teintes. D’autre part, le film avait des contraintes économiques, d’où le fait qu’il y ait cinq ou six décors principaux très bien travaillés. Ensuite, il y a eu un gros travail de repérage notamment en Bourgogne, et on a eu la chance de trouver des lieux qui n’avaient pas énormément bougé depuis peut-être les années quarante ou cinquante. Après, c’est beaucoup de discussions autours de références qui nous ont permis d’affirmer ce désir d’un univers, comme je l’ai dit tout à l’heure, propre à ce film. Un univers qui soit celui de l’épure, de l’intemporalité. Cela vient aussi de ma cinéphilie, de mon amour pour les films hollywoodiens, enfin du cinéma hollywoodien classique, notamment des mélodrames flamboyants de Douglas Sirk. C’était important pour moi de recréer un univers séduisant, d’allers vers la beauté, on va dire, et même de travailler avec des actrices qui soient glamour, des actrices d’aujourd’hui. C’était quelque chose qui comptait pour moi.
AVoir-ALire : Votre film souligne l’émancipation des femmes sans être pour autant un film féministe, non ? L’homme amnésique joue peut-être la comédie mais ce sont les deux femmes qui tirent les ficelles ? L’émancipation se voit très bien à travers l’ascension parisienne de Frimousse et Julie qui est issue d’une bourgeoisie aisée ?
Guillaume Bureau : J’avais envie de travailler avec des actrices ; de donner des rôles forts à des actrices ; des rôles de femmes désirantes. C’était important pour moi de montrer qu’en 1920, ce sont des femmes qui travaillent, qui sont autonomes, indépendantes. Ces femmes n’ont pas fondamentalement besoin d’un mari. Elles ont de l’argent, elles règnent chacune sur leur univers mais ce sont, malgré tout, des amoureuses blessées par cette guerre avec des deuils ayant du mal à se guérir. Cette homme va les aider à soigner de deuil.
AVoir-ALire : J’ai une dernière question. Vous en êtes maintenant au stade de la distribution en salles. Quels sont vos sentiments prédominants ?
Guillaume Bureau : Ben moi, je très heureux de ça. Je suis très excité. Je trépigne car la date de sortie approche. Pour moi, c’est un peu comme un rite de passage, un acte de naissance de réalisateur. J’ai l’impression que le film va aussi cesser de m’appartenir et va pouvoir faire son chemin. Tout ce qui se passe aujourd’hui, j’adore ça. Le fait d’être en contact avec le public et voir tout ce ce que le film suscite comme débat et comme questions autour de l’identité et et de l’histoire d’amour.
AVoir-ALire : Je vous remercie d’avoir répondu à toutes ces questions pour notre site. J’ai été heureux de vous rencontrer. Je vous souhaite une bonne avant-première ce soir et du succès pour le film également.
Galerie photos
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