Le 25 novembre 2013
Bitstrips et ACBD sont sur un bateau. La BD tombe à l’eau, qu’est-ce qu’il reste ?
Personne n’aura raté le buzz du moment : l’application bitstrips sur Facebook ou comment raconter sa vie en BD ! Ils en parlent là, ici, ici aussi et même là.
En BD ? Non mais sérieusement ? En quoi ces avatars tout moche seraient de la BD ? Parce qu’on peut faire "parler" les personnages à travers une bulle, c’est ça ? Si c’est la bulle qui fait la BD, Jawjaw, mon poisson rouge, peut prétendre au fauve d’or cette année !
Bitstrips, l’appli qui parle de ta vie à regarder des vidéos de chat (FranceTV Info)
D’ailleurs, en parlant de récompense, l’autre info BD de la semaine, c’était la sélection des 15 albums (réduite à 5, ce matin) pour le Grand Prix de la Critique Bande dessinée par l’ACBD. Comme pour la majorité des prix, les albums sélectionnés sont très beaux, soit, mais ils sont d’une gaieté qui n’a d’égale que ce documentaire de 9h sur les camps d’extermination, en VO et noir et blanc.
- Procès Verbal de la sélection ACBD. Objection, votre honneur.
Le lien entre Bitstrips et le Grand Prix BD ? Le premier n’est pas de la BD, le second n’est pas "la" BD.
Et oui, ma p’tite dame, car derrière cette punchline accrocheuse se cache une vérité qui n’est pas très jolie-jolie. En effet, le grand public - entendez par là la terre entière moins les bédévores - a une image tellement biaisée de la bande dessinée qu’elle considère comme BD n’importe quel "dessin" moisi auquel on aura collé une bulle.
Mais peut-on vraiment l’en blâmer ? Imaginons le non-lecteur lambda qui, un jour, se prend une envie de lire de la BD, que fait-il ? Si il a un ami de bon goût et qui se tient informé sur ce qu’il y a à voir ou à lire, il va se faire conseiller de piocher dans les listes de qualité publiées par bédéo. Ou, si il est sensé, il ira voir son libraire BD le plus proche car, pour le même prix, il aura le service en plus (c).
Mais imaginons que notre non-lecteur lambda habite en plein désert creusois et que tous ses amis sont partis (re)trouver la civilisation. Que fait-il ? Et bien, il va chercher les listes des grand prix pour piocher dedans ! Ne vous moquez pas, que celui qui n’a pas fait l’erreur avec un Goncourt ou une Palme d’Or me jette le premier Terra Australis (500 pages, ça fait mal). Et comme notre homme (ou notre femme) a décidé de s’investir dans les cases aujourd’hui, il va ouvrir la sélection de l’ACBD.
Première œuvre : « Ainsi soit Benoîte Groult » de Catel. Déjà, il se demande qui est cette Benoîte Groult et qu’a-t-elle fait de mal pour avoir un prénom comme le sien... Intéressé, il clique sur le lien et voit la couverture du bouquin : une dame à l’aise et souriante avec une bulle (bulle = BD, je vous le rappelle) affirmant, comme c’est cocasse, "Je n’aime pas la bande dessinée". Là, notre type est calmé par excès de doute. Et comme les
deux polygones rouge et jaune superposés au dessin lui font un peu peur, il préfère zapper celui là et passer au suivant !
Le second titre sélectionné est « Annie Sullivan & Helen Keller » de Joseph Lambert chez Çà et là/Cambourakis. Là, lambda remarque 2 ’k’ comme dans "kaki", "kiki" et "kiwi-koala" et, par un astucieux rapprochement subconscient, se dit que cette BD doit être toute douce comme la fourrure du mangeur d’eucalyptus. Le cœur léger, il s’attaque à la quatrième de couverture : "Née en 1880 dans l’Alabama, la petite Helen Keller devient aveugle et sourde à l’âge de dix-neuf mois, probablement des suites d’une méningite". Soudainement lui reviennent en mémoire l’otite du petit dernier, le prélèvement du troisième tiers et que, dehors, il fait froid et humide. Lambda a un gros blues soudain mais il y croit encore et prend le suivant de la liste.
Et le troisième, c’est « Ardalén, vent de mémoires » de Miguelanxo Prado chez Casterman. Et là, c’est le choc : "Une méditation poétique et souvent émouvante sur la mémoire – et un roman graphique envoûtant où s’exprime sans retenue la touche unique de Prado". La première moitié de la phrase lui donne un mal de crâne épouvantable mais c’est surtout le "roman graphique" qui le laisse dubitatif. Ah flute, c’est pas de la BD ? Ah ben tant pis... Désespéré, il capitule et décide de se faire un ciné, ça coutera moins cher !
Alors, je vous vois venir avec vos gros sabots : mon sujet d’étude, lambda, serait plutôt bas de plafond et, que, finalement, rien ne sert de donner de la confiture à des cochons ! Je vous arrête tout de suite : mon lambda est normalement constitué et ce qu’il veut c’est du fun, du cool, de l’émotion, de la poilade, de l’action, du suspense, de l’aventure et pas une "Une méditation poétique et souvent émouvante sur la mémoire". Il ne ferme pas la porte à ce genre d’aventure cérébrale mais, pour commencer, il préfère des choses plus légères, des histoires qui lui donnent la banane, ou la pêche mais pas qui lui prennent le melon !
Si on regarde bien, entre Bitstrips et la sélection de l’ACBD, il y a autant d’écart qu’entre un tweet et un Goncourt, qu’entre une vidéo de chaton et une Palme d’Or et dans ce très large espace, il y a lambda. Et avec lambda, il y a tout un public qui aimerait bien accéder à la bande dessinée mais à qui on ne tend pas la main.
Donc, messieurs les sélectionneurs ou pré-sélectionneurs de Grands Prix, pour lambda et ses potes, mettez du fun dans vos choix, de la couleur dans vos BDs. Le cool n’est pas sale et a le mérite de réunir ou d’unir les experts, les critiques, le public averti et les béotiens. Plus on est de fous, plus on rit et, en ces moments de dépressions sociales/économiques/météorologiques (rayer les mentions inutiles), ça fait du bien de rire...
Galerie photos
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