Le 16 janvier 2025
- Scénariste : Emma Siniavski>
- Dessinateur : Emma Siniavski
- Genre : Historique
- Editeur : Sarbacane
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 2 janvier 2025
Le portrait touchant d’un couple de dissidents soviétiques, par leur petite-fille.
Résumé : Tous les dimanche, la jeune Emma Siniavski prend le RER avec son père pour se rendre à Fontenay-aux-Roses, dans ce vieux pavillon mal entretenu encombré de livres et d’objets variés, pour aller voir sa grand-mère, Maria Vassielievna. Un lieu idéal pour une chasse au trésor lorsqu’on est curieuse. C’est à travers les objets laissés par ses grands-parents qu’Emma reconstitue le fil de l’histoire de son grand-père, Andreï Siniavski, et de sa grand-mère, couple de dissidents soviétiques qui se sont exilés en région parisienne dans les années 1970. Une vie faite de joie, de débrouille et de répression.
Critique : Avec cet album consacré à ses grands-parents, Emma Siniavski reprend le flambeau de l’écriture : fille de l’écrivain Iegor Gran, auteur entre autre de Z comme zombie sur la responsabilité du peuple russe dans la guerre en Ukraine –, elle est surtout la petite-fille d’Andreï Siniavski, célèbre dissident soviétique dont le procès médiatique et la condamnation au goulag en 1965 ont sonné la fin de la période de dégel consécutif à la mort de Staline. C’est l’histoire de ce grand-père original et courageux dont, selon ses mots, l’opposition au régime est avant tout esthétique, que conte Emma Siniavski dans cet album, avec un sens certain de la poésie. L’autrice rend en parallèle un vif hommage à sa grand-mère qui, si elle n’a pas été déportée comme son mari, a dû survivre tant bien que mal pendant ses années de goulag, conserver ses textes et protège sa bibliothèque, et négocier âprement avec le KGB, au point de leur faire tourner la tête… Aussi vive d’esprit que son mari, elle permet leur exil en France lorsque celui-ci ressort finalement du goulag, épuisé par des conditions de vie effroyable, et ayant perdu la moitié de ses dents.
Emma Siniavski entremêle ainsi l’histoire et le portrait de famille, en assumant pleinement sa subjectivité. L’autrice n’a pas à forcer le trait pour convaincre du caractère exceptionnel de la vie de ses grands-parents dans un pays cadenassé par les services secrets, où la délation est un art. Le KGB arrête Andreï Siniavski car ce dernier fait passer en catimini ses textes littéraires par l’intermédiaire d’une amie proche, qui traduit et fait éditer ses écrits en France : Siniavski utilise le pseudonyme d’Abram Tertz, et son double acquiert une certaine notoriété dans l’espace occidental. Son arrestation lorsque le KGB le confond marque le raidissement de l’URSS après une timide période d’ouverture. Le récit tourne habilement en dérision les méthodes soviétiques et se plaît par exemple à raconter les stratégies de contournement opérées par Andreï pour continuer à écrire au goulag, ou la manière dont Maria cache les livres du couple au nez et à la barbe du KGB. Mais la répression finit toujours par s’abattre, et l’album ne cache pas la férocité du régime.
Pour donner vie à son histoire, Emma Siniavski opte pour un dessin minimaliste, qui pourra en rebuter certains, et qui s’explique en partie par l’autodidaxie de l’autrice, qui est d’abord une réalisatrice de films documentaires. Cela n’empêche pas quelques belles réalisations, comme le dessin d’ensemble de la maison familiale. Ce dessin n’est toutefois pas dénué de poésie : il est fait de quelques traits noirs sur un fond blanc, avec simplement quelques rehauts de couleurs pour souligner un élément de décor, une situation ou un personnage. L’autrice s’affranchit totalement du gaufrier et opte pour une mise en page inventive et aérée, pour offrir une narration fluide.
Avec son sous-titre en forme de clin d’œil au premier album des Aventures de Tintin, Baboucka et Dedouchka dresse le portrait d’un couple de littéraires dans l’URSS de Khrouchtchev pour montrer la capacité émancipatrice de la littérature face à l’oppression. Ce portrait d’Andreï Siniavski, qui méritait bien que l’on raconte son histoire, et de son épouse Maria Vassielievna trouve un bel écrivain sous la plume de sa petite-fille.
128 pages – 22 €
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.