Le 1er novembre 2024
Four Letter Words, Take Out, Prince of Broadway et Starlet sont les quatre premiers longs métrages inédits de Sean Baker. Ils traduisent la persistance (plus que le renouveau) d’un certain cinéma indépendant américain attachant et d’une appréciable liberté de ton.
- Réalisateur : Sean Baker
- Acteurs : James Ransone, Karren Karagulian, David Ari, Henry Beylin, Fred Berman, Dree Hemingway, Besedka Johnson, Stella Maeve, Prince Adu
- Genre : Drame, Comédie dramatique, Expérimental, Teen movie, Drame social
- Nationalité : Américain
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 1h22mn (Four Letter Words), 1h27mn (Take Out), 1h40mn (Prince of Broadway), 1h43mn (Scarlet)
- Date de sortie : 23 octobre 2024
- Festival : Festival de Deauville 2024
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– Années de production : 2000 (Four Letter Words), 2004 (Take Out), 2008 (Prince of Broadway), 2012 (Starlet)
Résumé : 4 films inédits de Sean Baker, distribués en salle une semaine avant la sortie d’ANORA, Palme d’or au Festival de Cannes 2024.
Critique : Sean Baker a créé la surprise en obtenant la Palme d’or du Festival de Cannes 2024 avec la sympathique comédie amère indépendante Anora, quand de nombreux festivaliers dont l’auteur de ces lignes avaient misé sur le chef-d’œuvre de Rasoulof, Les graines du figuier sauvage. Une semaine avant la sortie commerciale de la Palme d’or, le distributeur Les Jokers a eu la bonne idée de proposer la découverte des quatre premiers longs métrages, inédits dans les salles, du réalisateur américain. Nous ne connaissions en effet, avant Anora, que Tangerine (Festivals de Deauville et Sundance 2015), The Florida Project (Quinzaine des Réalisateurs 2017) et Red Rocket (compétition officielle Cannes 2021), trois œuvres révélatrices de la meilleure veine du cinéma indépendant américain. Pour mesurer le parcours de l’artiste désormais consacré, il nous a ainsi semblé indispensable de nous pencher sur cette première partie inconnue de sa carrière. « Les oubliés de l’Amérique » est donc à fois une référence aux marginaux peints par le réalisateur mais aussi un état des lieux de ce pan inconnu de sa filmographie, montré jusqu’à présent seulement à une poignée de spectateurs au États-Unis.
Four Letter Words
- © 2024 The Jokers Films. Tous droits réservés.
Synopsis (dossier de presse) : Deux ans après avoir fini le lycée, d’anciens camarades de classe se retrouvent chez Art, en l’absence de ses parents. Au bout de la nuit, alors que toutes les filles sont parties, les garçons décident de jouer les prolongations. Les discussions alcoolisées dérivent sur la fac, le porno, la géopolitique. Ont-ils changé ? Sont-ils restés les mêmes ? Peu à peu, Jay, Alex, Nick et les autres dévoilent des personnalités fragiles, des virilités toxiques, des obsessions adolescentes. La fougue de la jeunesse côtoie une nostalgie précoce, les mots dépassent la pensée, les jeux de main sont des jeux de vilains : c’est une nuit qui promet une sévère gueule de bois.
Notre avis : Filmé en 35mm, Four Letter Words (2000) est le premier long métrage, écrit et réalisé par Sean Baker. Âgé de vingt-cinq ans, le réalisateur cherche sa voie, souhaitant se démarquer tant du cinéma hollywoodien classique que des archétypes des films de fin d’études en septième art. Influencé par Clerks de Kevin Smith, Four Letter Words n’en a ni la drôlerie, ni l’élégance de style. La première demi-heure est même carrément pénible, avec une logorrhée interminable mettant en scène des jeunes gens plus ou moins alcoolisés après une soirée qui semble ne jamais s’achever. « J’ai essayé d’atteindre une certaine vérité chez ces garçons, leur façon de penser et de parler. C’était comme une étude sociologique. Il y a aussi de l’humour dans ce film, qui vient de la manière dont les personnages se comportent – une constante dans mon cinéma, depuis », a déclaré Sean Baker. Le film peine pourtant à trouver ses marques et l’on rit ou sourit rarement. L’étude sociologique est un peu plus intéressante. Issu de la classe moyenne supérieure, comme ses personnages, Sean Baker est davantage convaincant lorsqu’il montre les failles de ces jeunes hommes, enfant gâtés et perpétuellement insatisfaits, dont l’immaturité traduit en fait la difficulté à se projeter dans une vie d’adulte imminente, un peu comme le futur protagoniste d’Anora. On ne saurait pour autant parler de « virilité toxique » (terme en vogue à l’ère post-#MeToo) les concernant, tant leur attitude en apparence désinvolte envers les jeunes femmes traduit surtout un manque d’assurance. Leurs propos et plaisanteries sont celles de post-ado mythos qui peinent à assumer les épreuves de la vie. En ce sens, la seconde partie du récit, davantage teintée de mélancolie, est plus touchante, rejoignant l’esprit de certains Cassavetes ou de Patti Rocks, perle méconnue du cinéma indépendant US. Une brève virée en voiture (pour acheter de la bière) et des conversations à l’extérieur de la villa parentale permettent d’« aérer » le dispositif, tout en traduisant la difficulté pour le cinéaste à assumer un récit en huis clos. Sean Baker souhaiterait ne pas voir juger son œuvre uniquement à l’aune de ce premier essai, que lui-même estime manqué. Dont acte.
Take Out
- © 2024 The Jokers Films. Tous droits réservés.
Synopsis (dossier de presse) : Ming, travailleur clandestin chinois installé à New York, envoie tous les mois de l’argent à sa femme et son fils restés au pays. Mais récemment, il a oublié de rembourser ses passeurs. Menacé, il a jusqu’à la fin de la journée pour honorer sa dette. Il décide alors de prendre en charge toutes les commandes de l’échoppe qui l’emploie comme livreur. À vélo sous une pluie battante, Ming part sonner aux portes des clients accueillants ou mécontents, dont il ne comprend ni les remerciements ni les griefs, en espérant que les pourboires, mis bout à bout, lui permettent de réunir la somme. La course contre la montre commence.
Notre avis : Coréalisé et coécrit en 2004 avec Tsou Shi-Ching, réalisatrice américano-taïwanaise qui était à l’époque la colocataire de Sean Baker, Take Out permet au cinéaste de poursuivre ses expérimentations. « Avec Shih-Ching Tsou, que j’avais rencontrée à The New School, c’était comme si je repartais à zéro, comme si je refaisais un premier film. Je n’avais pas d’argent, j’avais vécu tous ces problèmes de drogue. Avec Shih-Ching, on a décidé de faire ce film pour 3000 $ », a déclaré le réalisateur. Ils ont ainsi tourné avec pour décor principal le fast food chinois situé devant leur domicile, en utilisant des acteurs non professionnels. Ce presque « documenteur » est marqué par l’influence de Ken Loach (l’humour discret et la solidarité au sein des précaires, comme dans Raining Stones) et des Dardenne (l’urgence telle qu’elle était filmée dans La promesse et Rosetta). En même temps, le film semble être le brouillon de L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine, en raison de la similitude du récit d’un immigré clandestin, livreur de plats à domicile, contraint de gagner rapidement de l’argent. L’unité de lieu, d’action et de temps permet de découvrir un pan de la société new-yorkaise que l’on ne trouve que dans un certain cinéma américain et particulièrement celui de Sean Baker. De la même façon que Tangerine cernera vingt-quatre heures de la vie d’une jeune femme traversant Los Angeles, la mini DV maniée par Sean Baker (également cadreur et monteur) nous fait ressentir l’angoisse de son personnage pendant une durée quasiment identique. Le long métrage n’évite pas certains tics (plans courts, son direct…) mais n’en demeure pas moins une bonne surprise.
Prince of Broadway
- © 2024 The Jokers Films. Tous droits réservés.
Synopsis (dossier de presse) : Lucky gagne sa vie comme vendeur de contrefaçons à la sauvette sur les trottoirs de Broadway. Lorsque Linda, une ancienne conquête, lui met son bébé dans les bras, affirmant qu’il est le père, la vie de cet homme hâbleur et jovial se complique drastiquement. Sans papier, il ne peut appeler ni la police, ni les services sociaux. Comment concilier son rôle de baby-sitter à plein temps et une vie de clandestinité ? Son patron Levon, fraîchement doté d’une carte verte, et sa petite amie Karina ne tarissent pas de conseils, mais pour la première fois, Lucky va devoir faire preuve de responsabilités face à une situation qui pourrait changer sa vie.
Notre avis : Réalisé en 2008, Prince of Broadway combine le ton léger de Four Letter Words et la gravité de situation à l’œuvre dans Take Out, puisqu’il s’agit également de filmer la débrouillardise dans un quotidien de galères chez certains immigrés clandestins. La communauté asiatique laisse ici place à des personnages essentiellement afro-américains, mais on est toujours dans un New York hors des clichés touristiques : des appartements vétustes et un minable commerce de contrefaçon, entre la 20e rue et Broadway. Citant la référence aux Dardenne, Sean Baker précise : « Je me disais que si j’arrivais à atteindre ce niveau d’émotion, si j’arrivais à mettre les larmes aux yeux du public, avec le moins de manipulation possible, ce serait une bonne chose. C’est là que j’ai commencé à accepter l’émotion dans mes films, et que j’ai compris que ça faisait aussi partie de mon travail de la faire ressortir ». Prince of Broadway est attachant mais n’atteint pourtant pas le niveau d’épure des réalisateurs belges, ni même la qualité de Smoke, modèle de cinéma indépendant visant l’émotion. Le recours au bébé mignon, filmé de façon récurrente, est un peu facile et n’évite pas le sentimentalisme. On est plus proche de Trois hommes et un couffin que de Flesh ou L’enfant, d’autant plus que Prince Adu en fait des tonnes dans le rôle de ce dealer improvisé papa. Ses vociférations annoncent l’hystérie ambiante de certains protagonistes d’Anora. On préfèrera le personnage plus troublant et ambigu de son patron, un Arménien interprété par Karren Karagulian, acteur récurrent chez Sean Baker : un magouilleur de première et un époux horrible, mais qui n’hésite pas à venir en aide à son entourage.
Starlet
(Interdit au moins de 12 ans)
- © 2024 The Jokers Films. Tous droits réservés.
Synopsis (dossier de presse) : Dans un thermos acheté à un vide-greniers, Jane trouve plusieurs liasses de billets. C’est une fille honnête mais à Los Angeles, même quand on gagne bien sa vie dans l’industrie du X, on a toujours besoin d’argent. Face à ce dilemme moral, Jane retourne voir la vendeuse, Sadie, et à défaut de lui rendre son pactole, se rapproche d’elle et lui propose innocemment de l’accompagner dès qu’elle en a besoin à ses parties de bingo. Naît alors une étrange amitié entre cette jeune femme bien dans ses baskets et cette vieille dame acariâtre.
Notre avis : Réalisé en 2012, Starlet est un film de transition, le plus abouti des quatre longs métrages expérimentaux présentés dans cette mini-rétrospective, et peut-être le plus libre comparativement aux films postérieurs qu’avaient pu découvrir les spectateurs européens. Coécrit avec Chris Bergoch, le récit a un réel charme, basé sur l’opposition entre les caractères des deux personnages féminins, interprétés avec finesse par Dree Hemingway en actrice porno intermittente et Besedka Jonhson (qui décédera un an plus tard) en retraitée très âgée. Moins une histoire de type Harold et Maude que le portrait touchant de deux femmes en mal-être, Starlet cerne la précarité féminine, comme le feront The Florida Project et Anora, tout en abordant le thème de l’industrie du film X, anticipant Red Rocket. Certaines scènes évoquent Cassavetes (l’hystérie de la copine) et le chef opérateur Radium Cheung propose une photo d’une belle luminosité, pour les séquences intérieures comme pour les extérieurs à Los Angeles. « On n’avait pas les moyens de tourner en pellicule – on avait juste 247 000 $. Mais on pouvait faire quelque chose de bien avec cet argent. On a trouvé ces lentilles Lomo qui ont vraiment tout changé. Ça donne un tout autre lustre, qui rappelle le vrai cinéma du grand écran », précise Sean Baker. Un réel enchantement.
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