La musique du hasard
Le 1er mai 2024
Portrait de groupe autour d’un tabac de Brooklyn. Un film frappé par la grâce.
- Réalisateur : Wayne Wang
- Acteurs : Forest Whitaker, William Hurt, Harvey Keitel, Ashley Judd, Stockard Channing, Harold Perrineau, Giancarlo Esposito
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h50mn
- Date de sortie : 13 décembre 1995
- Festival : Festival de Berlin 1995
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– Regards croisés : Conte de Noël d’Auggie Wren, la nouvelle de Paul Auster
Résumé : Destins croisés autour du tabac d’Auggie Wren, dans Brooklyn. Paul, l’écrivain (William Hurt), a perdu femme et enfant dans une rixe de rue. Depuis, sa plume est bloquée. Manquant d’être écrasé par un camion, il est sauvé in extremis par un jeune Noir, Rashid (Harold Perrineau), à la recherche d’un père qui l’a abandonné (Forest Withaker). Du côté d’Auggie Wren (Harvey Keitel), c’est Ruby (Stockard Channing), une ancienne flamme, qui réapparaît cherchant à lui soutirer de l’argent pour la fille enceinte et droguée (Ashley Judd) qu’elle prétend avoir eue avec lui...
Critique : On aurait tort de vouloir ranger ce film dans une catégorie genre film choral ou film de potes. A l’instar de tous les grands auteurs, Paul Auster a sa propre vision du monde et une façon toute personnelle de mettre ses personnages en scène en brodant sur ses thèmes de prédilection. De la littérature à l’image, le pas est souvent infranchissable. Ici, pour notre bonheur, la transposition s’effectue avec un brio exceptionnel ; le film délicat et tendre qui en résulte est comme frappé par la grâce. La bonne entente entre Wang et Auster y est certainement pour beaucoup. Il est rare en effet qu’un réalisateur accepte la présence de son scénariste à toutes les étapes de son film, du casting au montage. Débrouiller ce qu’on doit à l’un ou à l’autre relève de la gageure et a finalement peu d’intérêt sinon celui de souligner la remarquable connivence de ce binôme artistique.
Le point névralgique de Smoke se situe dans le tabac d’Auggie Wren à Brooklyn, port d’attache d’Auster, présent dans tous ses romans. Ici se croisent quelques éclopés de la vie, cinq destins - marqués par la faillite de liens familiaux - qui s’entrelacent en puzzle sur un scénario complexe faisant la part belle au hasard, thème éminemment austerien. Coïncidences, convergences inattendues et ironie du sort mèneront les uns et les autres vers l’apaisement, sous l’œil bienveillant d’Auggie Wren, sorte de philosophe à la sagesse nonchalante.
Raconter Smoke est impossible, ce serait le dénaturer en faisant croire à une histoire où foisonnent les coups de théâtre (ce qu’il est pourtant). À vrai dire, c’est un film qui ne ressemble qu’à lui-même, plein de digression, de ruminations, d’histoires convergentes, abracadabrantes et cependant réalistes, de personnages capables des gestes les plus fous, tous d’une grande générosité. Fable urbaine, il montre la nature humaine dans ce qu’elle a de plus chaleureux et positif. Bien que ses protagonistes ne soient pas des anges (ou justement parce qu’ils ne le sont pas), on se sent en empathie avec eux, on les regarde vivre avec indulgence, comme s’ils étaient des membres de notre propre famille. L’impression, lorsque l’écran s’éteint, est d’un grand apaisement, d’une réconciliation avec l’espèce humaine. Ceci nous est offert sans le moindre effet mélodramatique, en collant au plus près de la "vraie" vie.
Techniquement, le film est d’une belle dextérité, tout en restant d’apparence modeste, ne cherchant pas à en mettre plein la vue. Par exemple, les plans larges du début font petit à petit place à des plans plus rapprochés - à mesure qu’on connaît mieux les personnages - pour finir sur de très gros plans de visages, au cœur de l’humain. La distribution est impressionnante, on a rarement vu une performance d’ensemble de ce calibre. Les dialogues sont étincelants, sans rien de forcé. Le rythme, malgré les multiples rebondissements, est calme et tranquille. Le film prend son temps, faisant sien le précepte d’Auggie Wren qui, depuis onze ans, chaque matin à huit heures pétantes, prend une photographie de son carrefour depuis la porte de sa boutique : la vie ne peut être appréciée qu’en examinant lentement et avec soin des détails qui peuvent paraître insignifiants. Smoke ose aussi ce qu’on n’a jamais vu au cinéma. A la fin, il raconte deux fois de suite la même histoire, avec les même mots. La première, dans un long monologue d’Auggie Wren face caméra ; la seconde, sur le générique de fin, illustré d’images en noir et blanc de ce conte de Noël d’Auster, publié par le New York Times, et qui avait amené Wayne Wang à prendre contact avec lui. La boucle est bouclée, mais l’aventure n’est pas terminée. Ayant pris tant de plaisir à travailler ensemble, les deux compères donneront une suite à Smoke : Brooklyn Boogie, un film d’improvisation tourné en six jours, toujours dans le petit débit de tabac du coin de la 7e Avenue et de la 3e Rue à Brooklyn, USA...
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