Tôt ou tard - L’album de duos

On aurait tort de voir en Tôt Ou Tard une vaine et orgueilleuse démonstration de puissance et d’omnipotence. Certes, le label est maintenant bien campé dans le paysage musical français. Il a révélé (Fersen, Delerm, Cherhal), relancé (Annegarn, Boogaerts, Nataf) et imposé (Têtes Raides, Fabulous Trobadors). Il a connu des succès commerciaux, et d’autres d’estime. Il en a surtout gagné, de l’estime, et notamment dans le "milieu". Si bien qu’aujourd’hui il fait figure d’incontournable, et peut recevoir la visite de Jacques Higelin ou faire chanter Agnès Jaoui en espagnol.

On aurait également tort de penser que le projet de Vincent Frèrebeau, patron de Tôt Ou Tard, et Dominique Ledudal, fidèle metteur en son de la maison, se résume à aligner une suite de chansons, aussi passionnantes soient-elles. Car il y a, pour commencer, une vraie construction derrière ce double CD.
Le CD 1, Plutôt tôt, renferme des morceaux plus hauts en couleur, plus enlevés. Il finit même en trombe avec Le coco anti-coke des Fabulous Trobadors (rejoints ici par Bumcello) et Le bouton, un petit cadeau empoisonnné signé Thomas Fersen et Bumcello encore, qui conte la folle histoire d’un bouton blanc depuis son apparition le matin (plutôt tôt, donc) jusqu’à ses multiples explosions (plutôt trop tard, cela va sans dire).

Sur le second CD, Plutôt tard, les instruments sont davantage caressés, les paroles susurrées, à l’image du magnifique Luna emprunté aux Têtes Raides de la première heure par un trio Nataf-Cherhal-Lallemant qui ferait sans doute les beaux jours de l’équipe de France s’il s’agissait d’un trident offensif adepte du ballon rond. En attendant, ils jouent ici à l’extérieur, simplifient le jeu et raflent aisément la mise. Juste après, Mathieu Boogaerts et Dick Annegarn confrontent leurs organes vocaux si opposés sur Les Aspres, dans un duo a capella en forme d’écho alpestre déformé par une montagne malicieuse, qui rend à Mathieu ce qui appartient à Dick, et vice-versa.

C’est d’ailleurs le grand plaisir de ce disque à la richesse insondable, que de voir se répondre des voix aussi diverses et variées que celles de Vincent Delerm, Claude Sicre des Fabulous Trobadors, Lhasa ou Dick Annegarn. Ajoutez-y les talents d’arrangeur de gens comme JP Nataf (décidément en pleine forme depuis son merveillleux Plus de sucre) ou Bumcello, les talents de conteur de Thomas Fersen, Jeanne Cherhal ou Jacques Higelin, et vous aurez une idée des possibilités qu’offre ce disque qui croise les compétences artistiques avec une facilité déconcertante, les doigts de pieds en éventail. Tôt ou tard, il fallait que cela se sache.