L’aube de la fin du monde
Le 29 août 2011
Un des chefs d’œuvre de Pasolini, encadré, dans ce film aux sketchs disparates, par des contributions diversement réussies de Rossellini, Godard et Gregoretti.
- Réalisateurs : Jean-Luc Godard - Pier Paolo Pasolini - Roberto Rossellini - Ugo Gregoretti
- Acteurs : Orson Welles, Ugo Tognazzi, Tomás Milián, Laura Betti, Alexandra Stewart, Rosanna Schiaffino, Jean-Marc Bory, Lisa Gastoni
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Italien
- Editeur vidéo : M6 Vidéo
- Reprise: 17 décembre 2003
- Date de sortie : 19 février 1962
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(Pureté - Illibatezza)
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(Le nouveau monde - Il nuovo mondo)
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(La ricotta)
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(Le poulet de grain - Il pollo ruspante)
– Durée totale : 1h57mn (DVD)
L’argument : Sous la houlette du producteur Alfredo Bini, quatre cinéastes majeurs nous offrent leur vision sur la manière dont le monde moderne conditionne l’homme. Un film composé de quatre sketches :
– Pureté - Illibatezza de Roberto Rossellini : la rencontre d’une hôtesse de l’air et d’un des ses passagers...
– Le nouveau monde - Il nuovo mondo de Jean-Luc Godard : dans Paris, après une explosion nucléaire...
– La ricotta de Pier Paolo Pasolini : un cinéaste tourne une Passion du Christ alors qu’un de ses comédiens est aux prises avec des préoccupations très quotidiennes et prosaïques...
– Le poulet de grain - Il pollo ruspante de Ugo Gregoretti : une famille de la bourgeoisie italienne décide d’acheter une maison...
Critique : C’est Alfredo Bini, le producteur d’Il bell’Antonio et de la plupart des films de Pasolini qui eut l’idée de donner carte blanche à quatre cinéastes pour réaliser ces sketchs vaguement reliés par le thème de la fin du monde mais qui composent un ensemble hétéroclite et pour le moins inégal.
L’épisode final, signé Gregoretti, est une laborieuse satire de la société de consommation (la métaphore des clients de l’Autogrill transformés en poulets de batterie) qui vaut avant tout comme document sur l’Italie du Boom et que sauvent par moments des interprètes rompus à l’exercice de la comédie : Ugo Tognazzi (flanqué de son fils Ricky, sept ans) et Liza Gastoni.
On reconnaitra sans hésiter l’inimitable touche Godard dans Le nouveau monde qui est un peu une ébauche d’Alphaville. Les plans d’un Paris hivernal transformé en ville de science-fiction tout en restant parfaitement identifiable sont d’une grande beauté (grâce aussi à la photo de Jean Rabier) mais ce petit film d’à peine vingt minutes, traversé de quelques fulgurances (l’apparition d’un Michel Delahaye ahuri) reste un exercice de style un peu court et théorique où le cinéaste fait ses gammes entre deux chefs d’œuvre.
Illibatezza, qui ouvre le bal, est bien plus intéressant. Quelques mois avant d’entamer avec L’Âge du Fer une tentative, aussi vaine que grandiose, de vaste encyclopédie audiovisuelle, l’auteur de Rome, ville ouverte y fait ses adieux, en mode mineur, à la fiction cinématographique, genre auquel il ne croit plus. Il ne cherche nullement à rendre crédibles les ahurissantes transparences qui montrent l’hôtesse de l’air jouée (très bien) par Rossana Schiaffino devant des temples bouddhistes à Bangkok mais l’irréalité de notre monde moderne étant le sujet même du film, celui-ci acquiert aisément, et sans forcer, une dimension vertigineuse : l’héroïne, qui ne cesse de se filmer devant les décors des villes où elle fait escale, est prisonnière des images et il suffira qu’elle adopte le look d’une blonde explosive pour décourager son encombrant soupirant et mettre en fureur son fiancé calabrais jaloux.
Sous sa limpidité de surface, ce petit film modeste de 30 minutes, bâclé avec élégance, fait mieux qu’intriguer : une inquiétude sourde s’en dégage insidieusement.
Mais c’est évidemment le troisième épisode, La ricotta de Pier Paolo Pasolini, qui domine l’ensemble. Assisté du grand chef opérateur Tonino delli Colli, le cinéaste y rend hommage, en un noir et blanc sublime, à la lumière de la campagne des alentours de Rome massacrée par une urbanisation chaotique, ainsi qu’aux peintres maniéristes qu’il aimait tant, reproduisant sous forme de tableaux vivants (et en couleurs) deux toiles fameuses de Pontormo et Rosso Fiorentino.
PPP offre à Orson Welles (doublé par l’écrivain Giorgio Bassani) le rôle d’un metteur en scène quelque peu désabusé, fait un clin d’œil à son confrère Fellini (Egli danza... egli danza !), et s’amuse à moquer les usages du cinéma (azione !, répété en écho par la moitié de l’équipe) et les caprices des vedettes (Laura Betti en diva bougonne flanquée de son cagnolino blanc, très drôle lorsque, excédée, elle profère un basta ! d’abord inaudible au milieu des éclats de rires).
Au travers de l’histoire, terrible et grotesque à la fois, de Stracci, le figurant qui joue le rôle du bon Larron et meurt d’indigestion sur la croix après s’être goinfré de ricotta lors d’une séquence carnavalesque digne de Jérôme Bosch, l’auteur d’ Accatone célèbre à nouveau la grâce fruste des visages et des corps prolétaires et contrebalance le sens de la cruauté et du tragique par une espèce de candeur maintenue envers
et contre tout, qui s’exprime notamment au moyen de merveilleux collages visuels.
Cette naïveté revendiquée n’est pas dépourvue de rage polémique (la virulente diatribe du metteur en scène contre les hommes moyens) et le film valut à l’auteur un procès pour blasphème qui bloqua sa sortie pendant plusieurs mois, mais l’humour et la poésie ne perdent jamais leurs droits, notamment lorsque Welles-Bassani lit au journaliste interloqué les derniers vers d’un admirable poème, Un solo rudere - une seule ruine, repris plus tard dans le recueil Poesia in forma di rosa (1964) : (traduction improvisée)
Je suis une force du passé, à la tradition seule va mon amour. J’arrive des ruines, des églises, des toiles peintes sur les autels, des villages abandonnés sur l’Apennin et les Pré-Alpes où ont vécu mes frères. Je parcours la (via) Tuscolana comme un fou, l’Appia comme un chien sans maître. Ou je regarde les crépuscules, les aubes sur Rome, sur la Ciociaria, sur le monde, comme les premiers actes de l’après-Histoire, auxquels j’assiste, par privilège d’état civil, depuis les confins extrêmes de quelque âge enseveli. Monstrueux est celui qui est né des entrailles d’une femme morte. Et moi, fétus adulte, je vais et viens, plus moderne que tous les modernes, à la recherche des frères qui ne sont plus.
(Io sono una forza del Passato.
Solo nella tradizione è il mio amore.
Vengo dai ruderi, dalle chiese,
dalle pale d’altare, dai borghi
abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,
dove sono vissuti i fratelli.
Giro per la Tuscolana come un pazzo,
per l’Appia come un cane senza padrone.
O guardo i crepuscoli, le mattine
su Roma, sulla Ciociaria, sul mondo,
come i primi atti della Dopostoria,
cui io assisto, per privilegio d’anagrafe,
dall’orlo estremo di qualche età
sepolta. Mostruoso è chi è nato
dalle viscere di una donna morta.
E io, feto adulto, mi aggiro
più moderno d’ogni moderno
a cercare i fratelli che non sono più.)
Le DVD
Si le sketch de Pasolini existait déjà en DVD, on saluera l’initiative de M6 Vidéo d’inclure cette fort correcte édition de Rogopag dans la sixième vague de la collection Maîtres italiens, disponible à partir du 17 août 2011.
Les suppléments
Outres des Notes de production et des bandes-annonces, le DVD propose un entretien de 47 minutes, riche en anecdotes, entre le cinéaste Carlo Lizzani et le producteur Alfredo Bini (disparu fin 2010).
Image
Une remasterisation soignée et un encodage tout à fait correct,
dont les mouvements rapides trahissent cependant les limites, permettent d’admirer dans de bonnes conditions le travail de Luciano Trasatti (Illibatezza), Jean Rabier (Il nuovo mondo) et Mario Bernardo (Il pollo ruspante).
Pour La ricotta, on regrettera peut-être une légère atténuation du mordant qui donne un caractère quasi sacré au noir et blanc intense et aux couleurs vives de la photo de Tonino Delli Colli, mais le résultat est néanmoins fort beau.<
Son
Une mono fluide d’une belle clarté respecte les timbres des voix et la musique de Carlo Rustichelli.
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