Les grandes reprises
Le 16 janvier 2016
Cinq films qui jalonnent les années soixante de Pasolini : ACCATONE, MAMMA ROMA, COMIZI D’AMORE, UCCELLACCI E UCCELLINI, EDIPO RE.
- Réalisateur : Pier Paolo Pasolini
- Acteurs : Silvana Mangano, Alida Valli, Franco Citti, Anna Magnani, Ninetto Davoli, Totò
- Genre : Drame, Comédie dramatique
- Nationalité : Italien
Accatone, 1961. 1h55mn. Avec Franco Citti
Mamma Roma, 1962. 1h40mn. Avec Anna Magnani
Comizi d’amore, 1963. Documentaire
Uccellacci e uccellini (Des oiseaux petits et gros), 1966. 1h31mn. Avec Totò, Ninetto Davoli
Edipo Re (Œdipe roi), 1967. 1h50mn. Avec Franco Citti, Silvana Mangano, Alida Valli
"J’avais l’impression qu’il inventait le cinéma", dira plus tard Bernardo Bertolucci, son premier assistant sur Accatone. Pasolini, qui avait alors presque quarante ans, comptait dans le paysage intellectuel de l’Italie de ces années-là en tant que critique de spectacle, poète, scénariste et romancier. Mais, par-dessus tout, c’était un homme de convictions. Un homme de feu.
Un homme en révolte portant un regard infiniment respectueux sur les deshérités, ceux de la banlieue romaine, laissés-pour-compte de cette Italie alors en plein boom économique. Il dépeint dans ses premiers films leur misère non seulement financière mais aussi intellectuelle et morale, reprenant à son compte la manière néo-réaliste pour la transcender par un onirisme sauvage, sa splendide marque de fabrique.
Accatone fut à sa sortie un terrifiant coup de poing dans la gueule du spectateur. Et le reste aujourd’hui. Il n’y a aucune issue dans l’univers du souteneur Vittorio Cataldi, surnommé Accatone (qu’on pourrait traduire par Super Gueux), rien pour lui tirer la tête hors de l’eau, même l’amour n’y parviendra pas. A ce constat désespéré, joué en grande partie par des non-professionnels et scandé par la musique de Bach, fait pendant la feinte douceurs des airs de Vivaldi dans Mamma Roma, l’histoire d’une prostituée qui tente de s’en sortir.
Pour offrir à son fils une vie plus digne, elle parvient à s’installer dans un quartier un peu moins défavorisé, dans une de ces boîtes de chaussures flambant neuves. "Proprio ’na casa de gente per bene, per signor. Tutto ’n quartiere de n’artro rango" [1], dit-elle à son fils. Inimitable Anna Magnani, avec son parler typique du Lazio, elle-même pur produit des faubourgs romains, incarnation de Rome depuis le Rome, ville ouverte de Rosselini, à qui Pasolini offre un de ses plus beaux rôles. Mais la tentative d’assimilation à l’univers petit-bourgeois capotera. Encore une fois, c’est la mort qui viendra clore l’histoire.
Ce que Pasolini montre du doigt, c’est l’ignorance crasse et criminelle dans laquelle est laissé le sous-prolétariat. Mais cette ignorance n’est pas que le lot de ceux qui sont nés sous la pire des étoiles. Il le démontre l’année suivante, dans un documentaire qu’il tourne à travers l’Italie entière, rurale et urbaine, interviewant des témoins de toutes les classes sociales. Comizi d’amore, enquête sur la sexualité, fait le constat terrible du conditionnement des Italiens des années 60, de leurs peurs, de leur manque de naturel à propos de l’acte d’amour. En filigrane, une dénonciation fulgurante du poids répressif de l’institution catholique mais aussi de la classe politique incapable de rénover le système éducatif. Drames de l’ignorance, on y revient toujours et encore...
Sauf que parfois on a envie de parler d’autre chose, on a envie de faire voir qu’on n’est pas que foncièrement tragique, qu’on peut avoir une autre vision de la vie. Et c’est le bijou burlesque que représente Uccellacci e uccellini, l’histoire de deux vagabonds accompagnés d’un corbeau philosophe.
De tous ses films, Pasolini a toujours dit que celui-ci était son préféré. Même constat pour la signataire de ces lignes. Uccellacci e ucellini est une histoire irrésistible de drôlerie et de poésie, portée par deux comédiens extraordinaires. "Un stradivarius et un pipeau", disait Pasolini pour décrire l’art consommé du grand Totò et la fraîcheur naïve du débutant Ninetto Davoli. Remontant les époques, les deux vagabonds seront transformés en moines franciscains chargés d’évangéliser les oiseaux puis replongés dans notre siècle pour lutter contre l’injustice. Hélas, ils ne comprendront pas grand-chose aux tirades du corbeau philosophe et, crevant la faim, finiront par le manger ! La morale de la fable est transparente mais aucun didactisme ne vient troubler le plaisir du spectateur. Un pure joyau, la meilleure comédie italienne de tous les temps. A ne manquer sous aucun prétexte.
Un peu moins convaincant, le retour à un propos plus "sérieux", disons un galop d’essai pour l’inoubliable Médée de 1969.
Pasolini, qui avait entre-temps réalisé son Evangile selon saint Matthieu (lire notre article), aborde tout naturellement les grands mythes fondateurs de notre civilisation. Et c’est son Œdipe roi d’après Sophocle, auquel il donne des échos modernes en ponctuant les séquences antiques époustouflantes - elles ont été tournées dans le Sud marocain - avec des images de l’Italie contemporaine. Comme pour souligner l’éternel recommencement, l’inéluctable aspect tragique de la destinée humaine...
(En illustration : Totò et Ninetto Davoli dans une scène du film Uccellacci e uccellini.)
[1] Une vraie maison pour les gens bien, pour les messieurs. Un quartier d’un tout autre rang.
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Norman06 12 avril 2010
Les années 60 de Pasolini en cinq films
Oedipe roi (avec Franco Citti et deux divas du cinéma italien, la Mangano et la Valli), est le meilleur film du lot : un modèle d’adaptation d’un mythe antique, également disponible en DVD chez Carlotta, avec en bonus l’excellent documentaire Enquête sur la sexualité.
Auparavant, Pasolini avait déjà fait tourner Franco Citti dans le mythique Accatone. Utilisant la veine néoréaliste avec la Magnani dans Mamma Roma, le cinéaste sera plus incisif dans le savoureux Des oiseaux petits et grands, avec le génial acteur napolitain Toto.