Le 6 novembre 2018
- Scénaristes : Joshua Dysart, Jonathan Dumont
- Dessinateurs : Pat Masioni , Alberto Ponticelli
- Coloriste : Pat Masioni
- Genre : Document
- Famille : Comics
- Editeur : Bliss Comics
- Festival : Comic Con 2018
Pat Masioni est l’un des auteurs d’Urgence Niveau 3, une bande dessinée qui témoigne de l’action du Programme Alimentaire Mondial en Irak, au Soudan du Sud et au Tchad.
Résumé : Urgence Niveau est une initiative de Joshua Dysart et du Programme Alimentaire Mondial acronyme PAM, ou WFP pour World Food Programme, l’organisme d’aide alimentaire de l’ONU qui intervient dans les zones de conflit afin de répondre en urgence aux besoins alimentaires essentiels des populations civiles.
Véritable bande dessinée d’utilité publique, Urgence Niveau 3 s’articule en trois chapitres qui confrontent le lecteurs à trois situations d’urgence auxquelles sont confrontées les humanitaires du PAM en Irak, au Soudan du Sud et au Tchad. Si le premier conflit nous est malheureusement familier, les deux catastrophes alimentaires africaines apparaissent tout aussi graves à la lecture du récit.
Bien mise en valeur par un dessin réaliste et sobre, la narration d’Urgence Niveau 3 est à la hauteur des enjeux qu’elle décrit : loin des statistiques et des reportages sensationnalistes, le récit est conçu à hauteur d’homme. Le lecteur partage les angoisses et les doutes des humanitaires du PAM, et peut se rendre compte de l’effet dévastateur des conflits en cours à travers le témoignage des populations civiles. Fondé sur des témoignages et une documentation abondante, Urgence Niveau 3 tâche de mettre des visages sur ces tragédies contemporaines avec réalisme mais sans pathos.
Pour parler de ce livre, Avoir-Alire a eu la chance de rencontrer Pat Masioni, coloriste des histoires qui se déroulent en Irak et au Soudan du Sud sur un scénario de Joshua Dysart et d’Alberto Ponticelli, et dessinateur de l’histoire qui prend place au Tchad, sur un scénario de Jonathan Dumont (humanitaire et cinéaste).
Q : Est-ce que vous pouvez nous raconter la genèse des trois histoires qui forment l’ouvrage Urgence Niveau 3 ?
Pat Masioni : Le projet d’Urgence Niveau 3 a maintenant quelques années. C’est Joshua [Dysart], avec qui j’avais déjà travaillé sur Unknown Soldier [Le soldat inconnu de DC-Vertigo, traduit en Français chez Urban Comics], et le PAM [Programme Alimentaire Mondial] qui en sont à l’initiative. Joshua m’a sollicité pour ce projet, et on a mis notre collaboration au point lors du festival d’Alger, en 2014. À cette époque, il fallait encore récolter des fonds pour financer ce projet.
On pensait au départ faire une publication numérique, pas un livre, et l’arrivée de Bliss n’était pas prévue au départ. Les deux premières histoires en Irak et au Soudan du Sud sont donc sorties sur Internet, comme c’était prévu, tandis que le troisième épisode sur le Tchad est paru directement en livre.
Entretemps, Joshua a parlé d’Urgence Niveau 3 à Bliss, et a mis l’éditeur en relation avec le PAM. Et Bliss s’est montré intéressé pour publier ces histoires en livre. C’était vraiment une bonne surprise, surtout que le livre est beau !
Q : L’une des qualités d’Urgence Niveau 3 est de décrire des situations de crise du point de vue des personnages. Est-ce une manière d’humaniser ces conflits ?
Oui, bien sûr. Dans Urgence Niveau 3, on voit la réalité de la catastrophe à travers ces personnages. Derrière les catastrophes, Il y a des gens qui souffrent, et dans le langage du PAM, urgence niveau trois veut dire que la situation humanitaire sur place est catastrophique. L’objectif était de prendre des personnages pour montrer la gravité de la situation sur place. Les personnages sont fictifs, mais les histoires racontées reposent sur des témoignages bien réels.
Q : Justement, comment avez-vous procédé pour la documentation ?
Grâce au PAM, on a eu accès à énormément de documentation. Le PAM prend des photos, vidéos, recueille des témoignages, des statistiques, etc. Je m’en suis inspiré dans mes dessins.
Joshua est allé sur place avec le PAM aussi, en Irak et au Soudan du Sud. Il a recueilli des témoignages qui inspirent les histoires du livre. Et Jonathan [Dumont, scénariste de l’histoire qui a lieu au Tchad, dessinée par Pat Masioni] est un membre du PAM qui se rend énormément sur place et produit de la documentation.
Q : Vous dessinez Tchad sur un scénario de Jonathan Dumont, dont c’est la première bande dessinée. Comment s’est passée votre collaboration ?
Notre collaboration s’est très bien passée. J’ai été surpris quand j’ai lu le scénario, vu que Jonathan est un responsable du PAM ! Mais j’ai beaucoup aimé.
À l’origine, Jonathan est un cinéaste. Il a écrit le scénario, j’ai fait le storyboard et les dessins. Jonathan est venu à Paris pour qu’on travaille ensemble. C’était une collaboration assez classique, finalement, avec des allers-retours entre le scénariste et le dessinateur. L’avantage pour moi, c’est que Jonathan est très bien documenté, car il est sur le terrain.
Extrait de Tchad, dessinée par Pat Masioni, et la confrontation entre l’humanitaire Ethan et une jeune réfugiée en provenance du Darfour - © Dumont - Pat Masioni / ©Bliss Comics
Q : Justement, Urgence Niveau 3 met également en scène des humanitaires, eux-mêmes confrontés à ces situations dramatiques…
Oui. Les scénaristes ont été en contact avec les humanitaires du PAM, ils ont échangé avec eux, et Jonathan fait partie de ce milieu. On a aussi retranscrit leurs impressions. Le PAM a vérifié les scénarios, mais ils se sont finalement montrés très satisfaits de notre travail.
Q : D’ailleurs, Dans « Tchad », vous racontez l’enlèvement d’Ethan par des rançonneurs.
Ce sont des choses qui arrivent vraiment aux humanitaires, ce n’est pas de la fiction. Il faut comprendre que les humanitaires courent un risque énorme ! Ils peuvent être enlevés, tués, ou vendus comme esclaves, etc. Récemment, il y a des convois de PAM qui ont été attaqués, et des locaux incendiés. On voulait montrer cela aussi.
L’humanitaire du PAM Ethan est enlevé alors qu’il exerce ses fonctions d’humanitaire au Tchad. Un risque bien présent pour les humanitaires sur place... - © Dumont - Pat Masioni / ©Bliss Comics
Q : À propos de la violence, Urgence Niveau 3 se distingue par une grande sobriété graphique. S’agit-il d’un choix volontaire ?
Oui, c’est volontaire et lié à la nature des histoires que l’on raconte. Il fallait éviter l’exagération que l’on trouve dans le comics américains. Nous voulions montrer la réalité avec modestie.
Et puis le PAM ne se mêle pas de politique. On n’est pas dans une série commerciale avec des intrigues politiques à tout-va, comme on aurait pu l’imaginer pour Marvel ou DC Comics. Là on montre d’abord les conséquences de ces tragédies, la souffrance des gens.
Q : Le scénario comme le dessin témoignent effectivement d’une certaine pudeur par rapport à la violence des faits...
On voulait rester pudique et éviter de choquer. L’objectif est d’informer sur ce qui se passe.
La misère se suffit à elle-même et on ne voulait pas en rajouter avec du sensationnel.
On a fait des choix graphiques aussi. Par exemple, on a gribouillé la figure des combattants de Daech pour ne pas montrer leur visage, car pour nous, ils n’ont pas le droit d’exister dans cette BD, ils ne sont plus dans l’humanité.
Sur cette planche tirée de l’histoire en Irak, les terroristes de Daech sont représentés le visage gribouillé. Par ce choix, les auteurs ont souligné l’absence d’humanité chez ces terroristes, qui ravissent ici les enfants d’une famille yézidie en exil - ©Joshua Dysart - Alberto Ponticelli - Pat Masioni / © Bliss Comics
Q : Quelles techniques avez-vous utilisé pour les dessins ?
Pour Tchad, j’ai fait le crayonné et l’encrage à la main sur une planche que j’ai scanné, et j’ai réalisé la colorisation en numérique sur Photoshop. J’ai également réalisé la colorisation des deux premières histoires par informatique.
De manière générale, je travaille aussi bien sur papier que sur numérique. Je fait de l’illustration sur tous les supports. En numérique, j’essaie toujours d’explorer un peu plus le logiciel pour améliorer le rendu des couleurs, ce qui demande du temps.
Q : Vous étiez à la Comic Con de Paris qui vient de s’achever. Quel accueil a reçu le livre ?
L’accueil était très bon, et il y avait du monde, j’étais content ! Bliss Comics fait de beaux livres, et c’est gratifiant pour un auteur, d’autant plus que la promotion suit bien.
Au Comic Con, j’ai croisé trois ou quatre profs d’histoire-géo qui se sont montrés très intéressé par le livre, et qui le montreront peut-être en classe. Je vais aussi intervenir pour relayer le message du livre, en parlant aux jeunes dans les écoles. Je l’avais déjà fait pour ma bande dessinée sur le Rwanda, mais c’était très délicat de parler du génocide. Là, c’est un sujet difficile, mais on peut en parler plus facilement. Je pourrais aussi montrer aux classes les vidéos et la documentation du PAM qui ont été utilisés pour cette bande dessinée.
Q : Entre Rwanda 1994, Soldats Inconnu qui traite d’un conflit en Ouganda et maintenant Urgence Niveau 3, vous avez beaucoup publié sur les conflits qui traversent l’Afrique contemporaine. C’est important pour vous de mettre en images ces conflits ?
Ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu. Je crois que c’est le destin qui m’a orienté vers ces projets. Je ne suis qu’un instrument pour faire passer un message. Je ne me suis jamais dit « je suis un dessinateur engagé, je vais dessiner sur tel ou tel sujet », non. Les choses sont arrivées comme cela. Je ne suis pas dans une démarche militante, et parler de guerre ou de génocide, ce n’est pas un jeu : je trouverais malsain de parler de ces sujets pour faire de l’argent.
En fait, c’est à la sortie du livre que je me rends compte de l’importance et de la portée d’un projet, pas avant. Je ne travaille pas en pensant à l’aspect militant, mais je vais vers les projets qui me touchent.
Q : Pour finir, quels sont vos projets actuellement ?
L’éditrice Karen Berger, fondatrice du label Vertigo chez DC Comics, m’a proposé de coloriser Mata Hari, une série terminée en 5 épisodes depuis le mois de septembre 2018 dans son nouveau label chez Dark Horse comics (Berger Books). Le comics hardcover doit sortir en mars 2019 aux États-Unis, mais je ne sais pas si une publication est prévue en France.
Bien que je fasse du comics, je ne néglige pas la bande dessinée franco-belge. J’ai plusieurs projets en tête, et j’espère qu’ils verront le jour.
Nous remercions vivement Pat Masioni pour son accueil et sa disponibilité. Vous pouvez suivre son travail sur son site internet ou par l’intermédiaire de sa page Facebook.
128 pages - 19€
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Galerie photos
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