Le 10 novembre 2016
- Dessinateur : Catherine Meurisse
- Festival : Quai des Bulles 2016
Catherine Meurisse faisait partie des invité(e)s du festival Quai des Bulles. Retour sur sa rencontre avec le public du festival.
La rencontre avec Catherine Meurisse fut riche en informations et ne s’est pas faite sans émotions, presque deux ans après les terribles attentats qui ont frappé la rédaction de Charlie-Hebdo. La dessinatrice, membre de l’équipe du journal de 2005 jusqu’aux attentats, raconte notamment comment elle est parvenue à se reconstruire, et évoque la suite de sa carrière.
La rencontre était animée par le journaliste et critique de BD Patrick Gaumer, bien connu des bédéphiles pour son Dictionnaire mondial de la bande dessinée.
Patrick Gaumer : Comment se tourne-on vers les livres / le dessin alors qu’on est très bonne élève ?
Catherine Meurisse : J’ai connu une scolarité sans histoires, qui m’a fait intégré la fac de Poitiers en Lettres. Je dessinais beaucoup mais je ne pensais pas en faire un métier. J’ai gagné le concours scolaire de dessin à Angoulême quand j’étais à la faculté.
J’ai visité plusieurs écoles d’art à Paris et j’ai réalisé que c’était fait pour moi. Toutefois, je ne rêvais pas de bande dessinée : ma préférence allait à des figures comme Doré ou Daumier. Chez mes parents, il y a toujours eu des livres anciens avec des gravures, notamment de la collection Hetzel. Je ne peux pas dire que j’étais une grande lectrice quand j’étais jeune, car je regardais surtout les images.
Comment êtes-vous entrée à Charlie-Hebdo ?
Je suis entrée à l’École Estienne à 19 ans, après avoir passé un concours de dessin de presse. C’est à cette époque que j’ai découvert le dessin de presse. Dans le jury du concours, il y avait Tignous et Jul, qui m’ont dit de passer à Charlie.
J’étais proprement terrifiée à l’idée de m’y rendre, mais j’ai fini par rejoindre la rédaction. Là-bas, il y avait Gébé, Cabu, Wolinski qui m’ont accueilli à bras ouverts. J’étais la seule femme dessinatrice, mais Cabu était très heureux de voir une femme arriver, et il disait « enfin une femme qui s’intéresse au dessin de presse ! ».
J’ai publié à Charlie mes premiers dessins, puis j’ai poursuivi mes études aux Arts Décoratifs de Paris. J’ai dessiné pour Bayard, Milan, et je suis retourné à Charlie à la fin de mes études. Ils m’ont engagé, et Philippe Val m’a dit que j’étais entièrement libre, et l’égal des autres.
A Charlie-Hebdo, il n’y avait pas vraiment de hiérarchie…
Non. Cabu ne se comportait pas du tout comme une star dans la rédaction. Il n’y avait pas de compétition. On était 8 permanents, et tout le monde pouvait faire la une de Charlie.
Luz racontait que dans les premiers temps, vous étiez intimidée.
Oui, j’avais très peur. C’était une équipe de mecs, avec un grand esprit de répartie. Il fallait que j’intègre leurs codes.
Le lundi : c’était la journée de bouclage, où les dessinateurs étaient réunis à la même table. On cherchait à ce moment-là la une, et on affichait nos projets de couverture (les non-retenues devenant les « couvertures auxquelles vous avez échappé »). Pendant un an, je n’osais pas afficher mes couvertures. Puis j’ai fini par me prendre au jeu.
Vous avez dessiné à Charlie à partir de 2005. Quels genres de dessins avez-vous réalisé ?
J’ai réalisé tous les types de dessins : dessin d’actualité, dessin politique, dessins de reportage. Je me rappelle être allé à la jungle de Calais deux mois après mon embauche pour un reportage.
On faisait ce que l’on voulait, pourvu que nos dessins soient dans l’actualité. C’est à Charlie que je me suis rendue compte que j’étais libre dans mon dessin.
Le rythme de l’hebdomadaire était très soutenu…
Oui, ça va très vite. On travaille un peu n’importe quand, notamment quand l’actualité change. Il faut être prêt à partir en reportage n’importe quand, y compris le week-end.
Arrive le7 janvier. Vous le racontez dans La Légèreté.
Tout ce que j’ai à dire dans le 7 janvier est dans La Légèreté. Je suis arrivée dans les locaux de Charlie avec Luz quelques minutes après le massacre. J’ai vu l’horreur, les corps sans vie de mes amis, et je suis passée passé dans une autre dimension. C’était indicible. J’ai fait un livre pour revenir à la réalité.
Quand on est en situation de choc traumatique, le cerveau se met en veille pour ne pas disjoncter complètement. J’étais complètement à côté de la plaque après les attentats. J’étais indifférente à beaucoup de choses et les émotions glissaient sur moi, je n’avais plus ni mémoire ni de concentration. J’ai eu l’impression que je ne pourrais plus jamais dessiner et que je me retrouverais sans métier, sans rien.
Vous dites dans La Légèreté avoir essayé de retrouver votre personnalité d’avant à travers le Beau, la culture. Vous allez à Cabourg, à Rome (villa Médicis). Vous retrouvez une forme de légèreté.
Je raconte cette évolution dans La Légèreté, que j’ai fait pour moi. Je ne pensais pas publier ce livre. J’ai commencé à dessiner quand Luz a publié Catharsis. Cela m’a mis un coup de pied aux fesses.
Couverture de l’album La Légèreté de Catherine Meurisse
Luz dit « je » dans Catharsis, et vous dites davantage « nous ».
Luz a été le premier à briser le « nous » pour dire « je » : cela m’a fait bizarre au début, mais il avait raison car il fallait se réapproprier sa propre identité, qui était diluée dans Charlie, avec tous ces gens qui disaient « Je suis Charlie ». Pour retrouver son identité, le livre est idéal : me voir dessinée, c’est une façon pour moi de me voir en vie.
Dans la Légèreté, vous effectuez un travail sur la matière avec les pastels.
Je ne conçois pas ce livre comme un travail. J’ai l’ai fait à l’instinct, dans un état épouvantable. L’omniprésence de Luz dans les médias - ce n’est pas du tout péjoratif, car il a été un phare dans les ténèbres - m’a donné envie de dessiner. J’ai ouvert une boîte de pastel au hasard, et j’ai dessiné ce qui est devenu la couverture de l’album. Mes amis m’ont sorti en m’amenant voir l’océan, et on a marché tous les trois sur la dune du Pyla. Pendant cette ballade, j’ai eu un choc esthétique, une première expérience face à la beauté, d’absolu, alors que j’étais encore extrêmement fragile. J’avais l’impression d’avoir des yeux immenses, et un corps absent. De la dune du Pilat, on distingue l’horizon, et cela m’a bouleversé : j’ai eu l’impression d’être transportée par les éléments. Le paysage m’a fait réaliser que j’étais vivante. Il m’a donné envie de dessiner, et tout le livre s’est fait de cette manière.
Je suis allé chercher la beauté dans des lieux où elle est reconnue. Rome était l’endroit idéal pour cela, et la Villa Médicis en particulier. J’y ai séjourné un mois et demi en faisant une lettre à la direction. Je voulais provoquer le syndrome de Stendhal, et je m’en suis tenue à ça. On m’a fait visiter les jardins de la Villa. J’étais attirée par les sculptures démembrées par le temps, qui fait qu’elles perdent un bras ou une tête. J’avais devant chaque statue l’impression de me retrouver devant le corps de mes amis : j’étais face à la violence transfigurée. J’avais l’impression que tous les tableaux racontaient mon histoire, celle de Charlie et celle de Daesh.
Ce séjour à Rome a été jalonné de face à face personnels face aux œuvres. Je me devais de les écrire. La Villa Médicis m’a sauvée : ce fut le lieu de ma reconstruction.
Venons-en à votre dernier album : Scènes de la vie hormonale
Il s’agit d’une série que j’ai commencé avant le 7 janvier, alors que l’on parlait de GPA, et de PMA au sein la rédaction. J’ai décidé de reprendre cette série de dessins après les attentats.
Couverture des Scènes de la vie hormonale, de Catherine Meurisse
Dans cet album, on n’est pas dans le dessin politique...
Non. Je ne pouvais plus faire de dessin politique, et ce mot m’emmerde maintenant. Faire du dessin politique sans Charb, Tignous, Wolinski n’a plus de sens pour moi. Je n’en ai plus le goût.
Est-ce bien Charb qui vous a soufflé l’idée de faire une série ?
Oui, Charb voulait que je fasse une série. J’ai donc pris un sujet qui me taraudait. Je fais là du dessin d’actualité. C’est un livre très pulsionnel sur la libido.
Le phénomène une idée = un dessin n’est plus possible pour moi. Je n’arrivais plus à fixer une idée dans un seul dessin.
Dans cet album, vous dessinez en noir et blanc, en ajoutant régulièrement une pointe de rouge.
Oui, cela me permet de rendre les stries moins austères.
Extrait de l’album Scènes de la vie hormonale, de Catherine Meurisse
Quels sont vos projets pour la suite ?
Je ne songeais pas à l’autobiographie avant, mais après Charlie, je me pose la question. Tout a changé pour moi, je n’ai plus vraiment accès à ce qu’il s’est passé avant. Je souhaite désormais m’ouvrir sur autre chose.
J’ai travaillé pendant 10 ans en groupe, et je ne peux pas devenir solitaire comme cela. Il faut que je retrouve une fréquentation, des collaborations avec d’autres dessinateurs.
Photo : Dargaud/Rita Scaglia
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