Le 22 octobre 2002
Sa marque de fabrique ? Un humour à toute épreuve, des digressions totalement imprévisibles et un usage très personnel des parenthèses.
En cinq ans, Philippe Jaenada a tracé son petit bonhomme de chemin. Quatre romans plus tard, le prix de Flore en poche, l’écrivain est parvenu à fidéliser son lectorat. Sa marque de fabrique ? Un humour à toute épreuve, des digressions totalement imprévisibles et un usage très personnel des parenthèses. Rencontre à l’occasion de la parution du Cosmonaute.
Le cosmonaute, votre nouveau roman, expose sur presque 200 pages les tourments et les interrogations d’un homme dont la femme est enceinte. Considérez-vous ce moment de l’existence comme un travail à plein temps ?
Non, en fait. C’est même le contraire : pendant neuf mois, la femme et l’homme qui l’observe (et essaie de l’encourager, le pauvre) sont comme entre parenthèses, immobiles, en suspension. C’est en tout cas le souvenir que j’en ai. Mais quand on le raconte, on peut faire comme si c’était palpitant, épuisant, tumultueux, oui. Il vaut mieux, d’ailleurs, si on veut tenir deux cents pages...
Pourquoi vos personnages sont-ils toujours baptisés de noms rares, précieux ou étranges comme Titus Colas, Pimprenelle ou Halvard Sanz ?
Je ne sais pas trop. Je suppose que j’ai envie qu’ils sortent un peu du commun (comme les livres, j’espère). J’ai besoin de ça pour leur injecter mes trucs. Je ne me vois pas, par exemple, écrire l’histoire de Sylvie et Jean-François : j’aurais l’impression de ne plus vraiment pouvoir les modeler, les nourrir comme je veux. (C’est peut-être aussi parce que je m’appelle Philippe, qui est d’une banalité consternante.)
Le cosmonaute présente également la vie de couple comme un combat quotidien entre deux personnages, dont l’un supporte par amour les lubies de l’autre et l’enfer domestique. S’agissait-il de vous essayer à un nouvel exercice de style ?
Plus ou moins, oui, même si je ne me suis pas vraiment posé la question. Je voulais simplement écrire un roman plus grave que les autres (en commençant, tout de même, par "ligoter" le lecteur avec la légèreté, l’humour, etc. (les romans qui ne sont que graves, lourds, sérieux, sont ennuyeux à mourir)). Parce que je vieillis, j’imagine, parce que l’insouciance n’est plus vraiment ma caractéristique principale... Mais le plus important, c’est que je ne pouvais rien écrire d’autre : il fallait que je raconte cette histoire, ou ma vie n’avait plus de sens (c’est une histoire plus ou moins vécue, bien sûr).
Lorsque vous commencez un roman, suivez-vous un plan préétabli ? Savez-vous à peu près où vous mettez les pieds ?
Je sais où je mets les pieds, oui, je connais le début, le milieu et la fin, mais le plan n’est pas écrit, précis, scolaire (je détestais les dissertations, où il fallait tout structurer). J’ai tout dans la tête et je laisse les choses se mélanger, s’évanouir ou se préciser, comme elles veulent (ou comme veut ma tête). J’aimerais que mes livres soient mi-prémédités, mi-spontanés. Je n’aime pas l’improvisation, mais moins encore le calcul, en littérature. Les romans écrits avant d’être écrits me tombent des mains.
Faites-vous partie des écrivains qui utilisent un stylo ou qui préfèrent le traitement de texte ?
Je suis incapable d’écrire une ligne de roman au stylo. En revanche, je suis incapable d’écrire mon courrier sur un clavier (à part les mails, mais bon). Je crois que ce n’est qu’une question d’habitude, de départ, de lancée. J’écrivais énormément de lettres, avant, et bien sûr à la main. Un jour on m’a offert un ordinateur, et j’ai commencé à écrire des nouvelles pour m’amuser : depuis, je ne peux plus faire autrement.
Écoutez-vous de la musique en écrivant ? Si oui, laquelle ?
Non, j’ai essayé, mais je ne peux écrire que dans le silence. Et que la nuit. Car la musique, comme le jour, souligne le temps qui passe. Et ça me bloque.
Le chameau sauvage a été porté à l’écran par Luc Pagès, sous le titre À + Pollux. Considérez-vous cela comme une forme de reconnaissance ?
Non. Je me fous complètement que mes livres soient ou non adaptés au cinéma. Simplement, si Luc Pagès a passé cinq ans dessus, c’est que le roman l’a vraiment touché. Et ça, ça me fait évidemment plus que plaisir.
La naissance d’un enfant est-elle comparable à la publication d’un roman ?
Oh non. La publication d’un roman est beaucoup plus stressante, et apporte beaucoup moins de joies. D’un autre côté, elle attire vers l’extérieur, il faut lui reconnaître ça. Elle ouvre sur le monde. Un enfant, c’est le contraire. Ça enferme, ça veut tout pour lui - c’est un beau petit monde, cela dit.
Vos influences littéraires semblent principalement américaines. Quels sont vos auteurs de prédilection ?
Rien de très original, j’imagine. Richard Brautigan (Tokyo-Montana Express, Retombées de Sombreros ou Willard et ses trophées de bowling sont des livres que je relis souvent), Dostoïevski, Bukowski, Jean-Patrick Manchette, Cervantès, Céline (juste le Voyage au bout de la nuit [1], le reste me saoule), Bret Easton Ellis (American Psycho loin devant les autres), Modiano, Chandler, Hubert Selby, Raymond Carver, Romain Gary (surtout en Emile Ajar) et Amos Tutuola - je me demande pourquoi L’ivrogne dans la brousse [2] n’est pas un best-seller mondial.
Vous semblez attiré par le métier de détective privé, plusieurs de vos personnages (dont le narrateur de La grande à bouche molle, baptisé Philippe Jaenada) exerçant cette profession...
C’est un métier qui me semble assez proche de celui d’écrivain : on observe, on réfléchit, et on raconte. Et puis j’aime bien cette idée de passer inaperçu partout. Voir sans être vu, en gros. C’est ce que j’essaie de faire, tout le temps.
[2] L’ivrogne dans la brousse : voir les critiques du livre, et de la pièce de théâtre
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