Une biographie de l’inclassable artiste italien, très documentée mais semblant avoir été bouclée à la hâte.

Un corps retrouvé mort en novembre 1975 sur la plage d’Ostie. René de Ceccatty ouvre et ferme la biographie qu’il consacre à Pier Paolo Pasolini [1] par la fin tragique et toujours mystérieuse de l’auteur de Saló ou les 120 jours de Sodome [2]. Une façon de souligner combien la lecture de l’œuvre de l’inclassable italien reste indissociable de celle de sa vie.
Naissance en 1922, jeunesse dans le Frioul, découverte précoce de son homosexualité, première publication en 1942, premiers démêlés avec la justice en 1949 pour outrage aux bonnes mœurs (l’affaire lui vaudra sa radiation de l’Education nationale et son exclusion du Parti communiste), exil à Rome en 1950 avec sa mère qu’il ne quittera jamais, fascination pour les banlieues à laquelle succédera celle pour le tiers-monde... Le biographe retrace le parcours d’un artiste bientôt suivi par "un public très vaste" : "En mettant en scène un petit peuple jusque-là totalement invisible de la littérature romanesque, même chez des écrivains socialistes [...], en donnant libre cours à un discours sexuel assez libre, en excluant tout jugement moral sur les voyous qu’il fait parler et agir, en ne recourant pas à une narration traditionnelle à intrigue, en fragmentant son récit, [Pasolini] enlève à ses lecteurs les mieux intentionnés tout repère, parce qu’il ne leur réserve pas de position fixe et assignée." En 1961, avec Accattone, Pasolini passera, sans lâcher la première, de la plume à la caméra. Débuts réussis d’une carrière de cinéaste que récompenseront, entre autres, un Lion d’argent pour L’Evangile selon Saint Matthieu et un Grand prix spécial du jury, à Cannes, pour Les mille et unes nuits.

"Enfant du fascisme, témoin de la montée du berlusconisme", Pier Paolo Pasolini, dont les œuvres et les écrits théoriques ont marqué et rythmé la vie culturelle italienne, profita aussi, selon son biographe, de la fugacité de l’époque, laquelle permit "l’éclosion de génies tels que lui". Grand défenseur de son sujet, de Ceccatty s’étonne toutefois que Pasolini ait "aussi mal compris" son temps, lui qui a cru, "en toute naïveté [...], que son discours était assimilé et intégré" alors que son succès reposait sur "un malentendu, lié au voyeurisme inhérent à tout comportement de masse, rien de plus". Ainsi, "ceux qui faisaient le succès de ces films étaient les mêmes que ceux qui le condamnaient et donc les neutralisaient. Il y avait dans ce succès une condamnation et Pasolini ne s’en rendait pas entièrement compte".
Dommage que de telles mises en perspective restent rares dans ce Pasolini, René de Ceccatty ayant préféré multiplier les citations au risque de perdre en chemin le lecteur connaissant peu l’œuvre de l’auteur de La ricotta. Souffrant par ailleurs de plusieurs répétitions, l’ouvrage laisse l’impression d’avoir été bouclé à la hâte. Sans parler des piques hors de propos (Erri de Luca qualifié d’écrivain "mineur et surestimé") dont on se serait très bien passé.