Lire une biographie d’auteur, en général, on le fait dans le but d’éclairer une œuvre qui nous est déjà plus ou moins familière. Mais peut-on procéder à rebrousse-poil ? S’intéresser aux faits et gestes d’un écrivain dont on n’aurait rien lu ? C’est le pari d’Alexandra Lemasson avec son ouvrage. Partant à juste titre du principe que Virginia Woolf est une romancière qui effraie, elle pronostique qu’en la connaissant mieux nombreux seront ceux qui oseront aller vers ses écrits. Très judicieux, en effet. Et tout à fait réussi.
Loin de la thèse indigeste, dépourvue de toute note de bas de page, cette biographie, qui inaugure avec intelligence la nouvelle collection de Gallimard [1], nous montre une Virginia Woolf pleine de contradictions et démonte derechef la fausse image de bas-bleu et d’auteur imperméable qui lui colle hélas à la peau. Se basant sur son journal et son volumineux courrier, elle nous la rend proche dans sa complexité. À la fois gaie et neurasthénique, profonde et superficielle, mouvante, insaisissable, ambiguë comme tout être humain. Son cheminement personnel, psychologique et intellectuel, brossé avec beaucoup d’acuité et de tendresse, nous la présente comme quelqu’un que l’on aurait envie d’avoir connu et dont, pour sûr, on ira lire un livre - et puis tous les autres ensuite, quand le virus est pris il ne vous lâche pas, croyez-en l’expérience de la signataire de ces lignes.
Ce qu’Alexandra Lemasson nous fait découvrir, c’est une femme d’un courage exceptionnel, qui n’a cessé d’aller de l’avant, qui a lutté pied à pied avec la dépression, la folie même, pour obtenir une sorte d’équilibre précaire qu’elle savait la source de son inspiration. C’est aussi une auteure qui avait un respect immense de ses lecteurs. "Comprendront-ils ?", s’interrogeait-elle en remettant sans cesse son ouvrage sur le métier, en gommant toute trace absconse. Lumineuse Virginia Woolf qui, de livre en livre, se nourrissant de sa propre expérience, tentait l’impossible et le réussissait : faire ressentir le frémissement de la vie à travers ses mots. Un génie sûrement, mais un génie abordable, et tout aussi indispensable. Alors, foncez si ce n’est déjà fait !