Les étapes d’un cinéaste à l’univers inimitable.
Première métamorphose. Masse rosâtre aux contours mouvants. Le cordon qui s’en échappe vient s’insérer dans la chair, comme un lien entre deux univers. D’un côté, le symbole frémissant d’un monde désormais virtuel, de l’autre, le corps, livré aux exigences de la réalité. Nous ne sommes pas dans le Jeu, mais en 1943. David Cronenberg vient de faire son entrée dans l’eXistence.
Deuxième métamorphose. Des études de lettres avortées, une carrière de chirurgien fantasmée, il faut bien que jeunesse se passe. C’est alors que, dans les années 60, apparaît, à
l’extrémité d’un de ses bras, une excroissance qui se révélera rapidement être une caméra. Quelques courts métrages aujourd’hui disparus, et déjà, le goût de l’expérimental. Suivront deux moyens métrages, financés par des producteurs X, puis en 1975, le premier long métrage, Shivers (Frissons). Il y est déjà question de sexe, de mort, d’effraction du corps. Le contact des virus avec les humains y rappelle d’ailleurs étrangement le mode de reproduction d’Alien : de grosses limaces se scotchent par surprise à leur "hôte". Rabid (Rage), l’année suivante, commence à explorer la veine entomologique et fait fuir les critiques. C’est la première ébauche des transformations corporelles, des accidents dont on se relève autre, et Marilyn Chambers y exhibe un dard axillaire du meilleur effet. The brood (Chromosome 3) et Scanners ne déplaceront pas les foules et c’est avec Vidéodrome, en 1982, que la carrière commerciale commencera réellement. En 1983, Dead zone, de conception plus classique, suit pourtant cette même voie : du contact de la chair et du métal naissent des créatures mutantes aux pouvoirs étranges, comme des ponts entre la vie et la mort.
Troisième métamorphose. De l’éclosion de La mouche naîtront des nuées de fidèles. Le film semble plus classique, colle à un genre. Mais on sait maintenant que la peau n’est pas le reflet de l’âme et la caméra se fait scalpel pour mieux disséquer les entrailles du corps et du rêve. Ce sera Faux-semblants (Dead ringers), en 1988, plongée dans l’illusion qui explore pour la première fois l’absence à soi-même et à son corps, l’abolition de l’identité. Naked lunch, en 1991, prouve, s’il en était besoin, que David Cronenberg peut adapter l’inadaptable : le délire halluciné de William Burrough. Un an plus tard, M. Butterfly, plus sobre, plus discret, passera presque inaperçu.
En 1996, Crash sème la panique sur la Croisette. Quintessence d’une thématique peaufinée depuis 20 ans, Crash est une épure portant à la perfection l’univers schizoïde de Cronenberg. On est déjà dans le Jeu, dedans ou dehors, sur le fil du passage d’un univers à l’autre. eXistenZ consommera la chute. Où est la vérité ? Qui joue ? Où est la sortie ? Qui est l’œil qui nous observe, au-dessus de la toile d’araignée ?
Avec Spider, deux ans plus tard, Cronenberg met un terme à ses obsessions organiques pour scruter les méandres d’un cerveau schizophrène. Film en demi-teinte. Il faut attendre Cannes, en 2005, pour un retour fulgurant avec le diamant noir qu’est A history of violence, faux polar divinement mis en scène, qui passe par une palette d’émotions impressionnante. Retour gagnant confirmé deux ans plus tard avec un autre film de gangsters, celui-ci traité de manière shakespearienne : Les promesses de l’ombre.
En 2011, il est sélectionné à Venise et à Toronto pour A dangerous method, biopic un peu classique confrontant les idées de Freud et Jung. Si on aime les acteurs (Mortensen, Fassbender, Knightley), l’ennui est de mise. Retrouvera-t-il la grâce e 2012 avec la très attendue adaptation du roman de Tom deLillo Cosmopolis. Un casting de stars (Pattinson, Binoche...) l’y aidera. Réponse le 23 mai. En période cannoise...
Filmographie
– Stereo (1969)
– Crimes in the future (1970)
– Frissons (Shivers, 1974)
– Rage (Rabid, 1976)
– Fast company (1979)
– Chromosome 3 (1979)
– Scanners (1981)
– Vidéodrome (1982)
– Dead zone (1983)
– La mouche (The fly, 1986)
– Faux-semblants (Dead ringers, 1988)
– Naked lunch (1991)
– M. Butterfly (1993)
– Crash (1996)
– eXistenZ (1999)
– The lie chair (2000)
– Spider (2001)
– London field (2004)
– A history of violence (2005)
– Les promesses de l’ombre (Eastern promises, 2007)
– A dangerous method
– Cosmopolis