Petite leçon d’histoire par David Cronenberg
Le 24 janvier 2015
Le cinéaste de A History of Violence et des Promesses de l’ombre revient en force avec un drame historique. Entre discours officiel et passion officieuse, le récit plonge avec froideur, raffinement et rigueur quasi scientifique, au cœur de la psychologie moderne. Une méthode dangereusement efficace.
- Réalisateur : David Cronenberg
- Acteurs : Vincent Cassel, Viggo Mortensen, Keira Knightley, Michael Fassbender, Sarah Gadon, Mareike Carrière
- Genre : Drame, Thriller, Historique
- Nationalité : Britannique, Canadien, Allemand
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 1h39mn
- Date de sortie : 21 décembre 2011
Résumé : Zurich, 1904. Carl Jung, vingt-neuf ans, psychiatre, est au début de sa carrière et partage sa vie avec son épouse Emma. S’inspirant des travaux de Sigmund Freud, Jung tente le traitement expérimental connu sous le nom de psychanalyse sur Sabina Spielrein, âgée de dix-huit ans. Sabina, jeune Russe cultivée qui parle l’allemand, a été diagnostiquée ’’hystérique’’ et a la réputation d’être agitée et violente. Lors de ses séances avec Jung, elle expose une jeunesse gâchée par les humiliations et une composante sexuelle sado-masochiste. Grâce à leur correspondance, Jung parvient à une grande complicité intellectuelle avec Freud, sur le cas de Sabina. Freud demande à Jung de traiter un collègue, Otto Gross, toxicomane et amoral impénitent. Sous son influence, Jung va balayer sa propre éthique et se laisser aller à son attirance envers Sabina. C’est le début d’une liaison dangereuse dont les conséquences vont être aussi inattendues que fondamentales.
Critique : Cinéaste de chair et de sang, David Cronenberg ouvre avec cet opus, A Dangerous Method, un nouvel horizon cinématographique.
Si l’homme nous avait jusque là habitué à la mutation, la métamorphose et la déchéance de corps sacrifiés à l’écran, il délaisse ici ses obsessions physiques pour venir triturer les méninges de trois icônes : Carl Jung, Sigmund Freud et Sabina Spielrein. L’idée peut paraître audacieuse, le passage d’un genre à l’autre étant rarement au cinéma synonyme de réussite et l’on se demanderait presque pourquoi le réalisateur canadien dont la filmographie n’est plus à présenter, prend de tels risques. Vieille de plus de dix ans, la trame du film s’inspire et s’articule autour de la pièce de théâtre ’’The Talking Cure’’ de Christopher Hampton (scénariste des Liaisons dangereuses).
Sur ce canevas esquissant la vie de Jung, Cronenberg coud une intrigue, brode des anecdotes et tricote le drame. Le résultat : une œuvre à mi-chemin entre le thriller et la tragédie. Si l’overdose organique de Crash, Videodrome et La mouche est bel et bien finie, les thématiques originelles cronenbergiennes collent à la peau de A Dangerous Method. Violence, domination, horreur, et faux-semblants font une fois de plus le lit de l’histoire, la petite rejoignant cette fois-ci la grande. À l’image, deux univers : celui d’un Freud vieillissant et celui d’un Jung naissant. Hyper-contrastés et méticuleusement travaillés, les décors, pivots de la scénographie, prédominent dans le cadre. Leur évolution, altération et confrontation les uns aux autres mesurent et fixent la température du rapport de force à l’œuvre entre les deux hommes. Ici l’espace en dit plus long que le choix de philosophie. Freud, dont les théories se centralisent sur le primat de la sexualité, s’insère dans un espace confiné, surchargé et terriblement désuet. Solide et immuable comme le bois des murs lambrissés, sa pensée ne laisse aucune place à l’innovation.
À l’inverse, Jung, dont le bureau dépoussiéré et épuré vient aérer le regard, s’inscrit dans une dynamique de mouvement et de doute permanent. Binaire, l’équilibre du film est dès l’origine précaire. L’arrivée d’un troisième élément, qui plus est une femme (Sabina Spielrein), achève de rompre le fil. Plus qu’une simple biographie des deux pontes de la psychanalyse, c’est un combat de coqs qui s’entreprend sous nos yeux. Bien sûr, les règles de bienséance et les bonnes manières du siècle dernier tempèrent le climat, mais la tension est cruellement palpable. La caméra, directe et frontale, observe à la loupe le moindre des gestes. Statique et glacée, l’image très fixe de plans ’’diapositives’’ tranche par sa rigueur scientifique et son goût de la restitution historique. Blancheur des corps, faible luminosité, colorimétrie grisâtre : l’obscurité visuelle donne le ton de l’époque comme du roman noir. Car si Cronenberg s’attelle au film historique, il n’en oublie pas moins le suspense. Examen de conscience, autopsie du désir et révélations des egos rythment un récit d’une noirceur pénétrante. Une opacité que l’on retrouve incarnée en la figure de Vincent Cassel alias Ottos Gross, toxicomane à l’amoralisme séduisant ou encore, en la musique de Wagner, ’’le mythe de Siegfried’’, dont les pulsions musicales décuplent l’intensité des élans entre l’Autrichien (incarné par Michael Fassbender) et la jeune Russe (Keira Knightley). Opression, soumission, inversion : tout est question de position dans A Dangerous Method.
De la chaise hystérique posée loin devant Jung au banc des amoureux, du statut de patiente à celui d’amante, de la pathologie à la pratique de la médecine, le corps de Sabina circule dans le cadre et bouleverse tout sur son passage. Lors des premières séquences, l’ampleur de ses crises et la puissance de ses saccades forcent l’admiration. Une fois apaisée, Sabina prend de l’ascendance sur le jeune Jung puis sur Freud. Construit sur le paradoxe d’une innocence teintée de perversion, le cas Spielrein prend des airs de Pandore. Une thérapie à trois voix où les patients analysent, les curateurs se confient et l’objectif est la mise en lumière de l’ombre humaine. De l’analyse psychanalytique, le cinéaste tire une chronique apocalyptique sur le bien et le mal, la raison et la passion, l’amour et la sexualité, parfois envoûtante mais trop souvent réductrice. Reste l’impeccable performance de Viggo Mortensen qui, fidèle à sa méthode, habite littéralement le personnage de Freud. Malicieux, taciturne et calculateur, l’égérie du cinéaste canadien campe un père de la psychanalyse plus imposteur que fondateur. Une interprétation tirée à quatre épingles, soignée jusqu’au bout des ongles, faite de nuances et de raffinement, l’acteur allant jusqu’à fumer les mêmes cigarettes que le patriarche. Stoïcisme, observation, et distance de point de vue... l’esthétique naturaliste de A Dangerous Method, étonne et insupporte, pour le meilleur et pour le pire. Un diagnostic ? Avis honorable pour cet obscur objet du désir.
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Frédéric Mignard 28 novembre 2011
A Dangerous Method - David Cronenberg - critique
Téléfilm de luxe avec des acteurs 4 étoiles, A dangerous Method est un somnifère qui ne rend pas hommage à la complexité psychologique des sommités qu’il met laborieusement en scène. D’un ennui mortel.
roger w 27 décembre 2011
A Dangerous Method - David Cronenberg - critique
Si l’histoire est plutôt intéressante et les potentialités d’un tel sujet énormes, David Cronenberg n’a visiblement pas trop su quoi en faire. Il signe ici sa mise en scène la plus anodine, la plus désincarnée de toutes. Avec un style clinique, il évoque des pathologies elles aussi cliniques pour un film glacial. Heureusement, la jolie histoire d’amour impossible entre deux personnages et le brio des acteurs permet de ne pas sombrer dans l’ennui le plus total. On reste toutefois songeur à ce qu’aurait pu faire un James Ivory avec un tel sujet. Cronenberg n’était sans doute pas le cinéaste idéal pour traiter ce sujet.