Le 20 février 2024
Avis aux Parisiens : Videodrome de David Cronenberg est projeté au Max Linder Panorama ce 23 février 2024. Une reprise trop rare pour un des plus grands films du maître Canadien.
- Réalisateur : David Cronenberg
- Acteurs : James Woods, Sonja Smits, Deborah Harry, Peter Dvorsky, Leslie Carlson, David Bolt
- Genre : Drame, Science-fiction, Fantastique, Épouvante-horreur, Drame fantastique, Film culte
- Nationalité : Canadien
- Distributeur : Splendor Films
- Durée : 1h28mn
- Reprise: 12 avril 2017
- Box-office : 229 666 entrées France
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 23 mai 1984
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Résumé : Le patron d’une petite chaîne érotique sur le câble capte par hasard un mystérieux programme-pirate dénommé Videodrome, qui met en scène tortures et sévices sexuels. Son visionnage provoque peu à peu des hallucinations et autres altérations physiques. La frontière entre réalité et univers télévisuel devient bien mince, et la folie guette...
Critique : Sigmund Freud aurait-il aimé le cinéma de David Cronenberg ? Depuis A Dangerous Method – film sur Jung, Freud, et leur travail avec l’une de leurs patiente, Sabina Spielrein, qui deviendra elle-même psychanalyste – le cinéaste canadien ne fait plus mystère de l’importance matricielle que revêt la psychanalyse dans son œuvre. Les films les plus récents de l’auteur, récits souvent ancrés dans un cadre réaliste, discourent explicitement sur les affres de la psyché. Pour autant, les fans le savent, l’auteur de La Mouche a plus tôt dans sa carrière traité de ce thème d’une toute autre manière.
Outre d’une fascination pour la sexualité (hors norme de préférence) et les personnages à la marge de la société, les troubles de l’esprit, les chamboulements existentiels et les renversements de personnalité sont autant d’obsessions récurrentes dans une œuvre riche aujourd’hui de vingt-deux films. Seulement, le cinéaste a, principalement dans la première partie de sa filmographie, une manière très personnelle de mettre en image ses troubles intérieurs. Au premier abord, les films de Cronenberg ressemblent à de simples histoires de monstres où l‘horreur, brutale et dégoulinante, entre dans la vie des personnages avec avalanches d’effets aussi impressionnants que repoussants. Plus particulièrement, c’est par la détérioration et la mutation des chairs, souvent celles de ses protagonistes, que le cinéaste se distingue du tout-venant de la série B. Un titre informel et prestigieux canonise vite Cronenberg comme le « maître du Body Horror ». À ne s’y pas tromper, ces corps triturés sont bien l’incarnation de troubles existentiels hautement psychanalytiques. Là se trouve l’originalité de l’auteur, qui a parfaitement su fondre ses fascinations dans le bain mainstream du film de genre (en l’occurrence, l’horreur et la science-fiction).
À ce titre, Videodrome est peut-être le film le plus abouti et visionnaire de la première moitié de l’œuvre de David Cronenberg – qui peut se scinder en deux à partir de Spider, film où le maître s’éloigne du body horror pour raconter plus explicitement des histoires de psychés troubles.
Max Renn, gérant d’une chaine de télévision privée, a pour spécialité les programmes violents et sexuellement dérangeants. Un jour, il déniche une émission étrangère, des mises en scène face caméra de séquences de torture qui ne semblent pas simulées. Peu sujet aux scrupules moraux, notre héros entrevoit le concept qui fera son succès. Pourtant, à cause de disparitions mystérieuses, d’une secte télévisuelle et de la mutation de son propre corps, le plan de carrière du businessman à la déontologie douteuse n’ira pas sans quelques anicroches.
S’évertuer à raconter l’histoire de Videodrome serait une erreur tant les déambulations de Max Renn, entre songes, hallucinations éveillées et réalité menaçante, dépassent le cadre strict de la narration classique. Dérouler le scénario serait surtout une bien mauvaise façon de rendre justice à Cronenberg qui construit son récit comme une succession de scènes tantôt hypnotiques, tantôt dérangeantes, toujours fascinantes. Ces moments de cinéma forment un terreau propice aux expérimentations tous azimuts. Ici, Cronenberg parfait notamment son habitude de prendre la métaphore au pied de la lettre pour représenter frontalement les chamboulements psychiques soumis à l’étude. Hybridations et amputations en tous genres épousent le parcours du protagoniste comme autant d’images qui resteront à jamais gravées sur la rétine du spectateur. Ainsi, la scène de sexe entre Max Renn et une télévision marque le moment charnière où le film bascule d’une réalité à une autre. Par ses jeux sur les couleurs, la composition et surtout la matière – rarement un film n’aura autant stimulé le sens du toucher de ses spectateurs. Tout ici suinte, écorche, caresse, diffuse – Cronenberg donne chair aux téléviseurs, incarne l’idée que l’appareil, l’écran, impose son influence dans nos vies IRL.
David Cronenberg n’est pas qu’un créateur d’images fortes. Son film regorge certes d’illusions formelles et d’inventions hypnotiques, mais le périple de Max Renn, qui verra sa mutation s’accentuer au fur et à mesure que les machines prennent le dessus sur son être, est avant tout une réflexion aiguisée sur les médias de son temps. Cronenberg appartient à la génération qui a eu la lourde tâche de succéder aux cinéastes du Nouvel Hollywood. Comment apporter encore une pierre à l’édifice quand des réalisateurs comme Scorsese, Coppola ou De Palma viennent de tout inventer ? Il relève le défi en portant une réflexion sur les inventions technologiques récentes. 1984, La K7 commence tout juste à s’imposer dans les salons du monde entier et la télévision est encore un phénomène nouveau. Comment ces appareils distordent-ils notre rapport au monde, modifient-ils le corps social, infusent-ils jusqu’au pans les plus intimes de nos existences (la sexualité en premier lieu) ? Visionnaire, le réalisateur canadien anticipe avec une grande clairvoyance ce que ces avancées peuvent avoir comme conséquences sur notre société et nos modes de vie. Ici, pas de dialogues accusateurs ou de thèses trop appuyées qui feraient du film un pamphlet anti-technologie. Pour soutenir chacune de ses idées, le metteur en scène fait acte de cinéma (et de folie furieuse) : une secte dirigée par un gourou qui n’apparaît que par le prisme d’un téléviseur ; des sans-abri en manque qui viennent s’abreuver en images télévisuelles tels des drogués qui n’auraient pas eu leur dose ; l’apparition d’un vagin sur le ventre du héros qui sert à l’insertion de K7 pour prendre possession de son esprit. Cronenberg a même, d’une certaine manière, prévu l’essor des snuff movies, sorte de nouveau genre malsain, très populaire sur le net, qui a eu ses dérivés au cinéma (Saw et autres). Pascal Plante, autre cinéaste canadien, vient d’en faire le sujet de son très bon dernier film Les Chambres rouges).
Par sa dimension psychanalytique et cathartique cachée dans les affres du fantastique le plus sale et envoutant, Videodrome est une quintessence de ce qui compose l’œuvre de Cronenberg, première période. Le film pourra en rebuter plus d’un, particulièrement dans sa représentation des frontières très vaporeuses entre la réalité et la fiction. Ainsi, après un final au rythme volontairement bâtard, tout en hémoglobine et chair joyeusement transformées (le cinéaste joue avec le corps humain comme de la pâte à modeler), le film laisse le spectateur dans un état au-delà de la confusion et du plaisir, dans une sorte de jonction entre incompréhension et sentiment d’avoir assisté à l’une des œuvres majeures du cinéma de ces dernières années.
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