Le 23 mai 2021
Œuvre mineure, ce western très inégal comporte de beaux moments, heureusement, mais s’enlise trop souvent dans un bavardage futile.
- Réalisateur : John Ford
- Acteurs : James Stewart, Richard Widmark, Jeanette Nolan, John McIntire, John Qualen, Shirley Jones, Linda Cristal, Paul Birch, Harry Carey Jr., Andy Devine, Anna Lee
- Genre : Western
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Park Circus France
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 1h49mn
- Date télé : 11 octobre 2023 20:50
- Chaîne : TCM Cinéma
- Reprise: 25 février 2015
- Titre original : Two Rode Together
- Date de sortie : 6 octobre 1961
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Résumé : Le shérif Guthrie McCabe, fumeur et alcoolique notoire, voit un jour débarquer dans sa ville une vieille connaissance, le lieutenant Jim Gary. Autour d’un verre, les compères décident de partir en territoire indien. En effet, ils vont tenter de négocier avec les Comanches la restitution des prisonniers blancs qu’ils ont capturés au cours des dix dernières années...
Critique : Situé dans la carrière de Ford entre les deux œuvres majeures que sont Le sergent noir et L’homme qui tua Liberty Valance, Les deux cavaliers n’est pas du même niveau ; il souffre d’une exécrable réputation que le cinéaste lui-même accrédita (« la pire merde que j’ai tournée ») et n’est souvent cité que pour le fameux dialogue au bord de la rivière. Il est vrai qu’il cumule plusieurs défauts scénaristiques ainsi qu’une esthétique plutôt pauvre. Rien du Ford lyrique à l’image somptueuse, même si, çà et là, un sur-cadrage ou telle scène de déclaration malhabile nous font regretter que le réalisateur n’ait pas davantage pris au sérieux cette histoire qui contenait assez d’éléments pour le stimuler.
La scène du bal, fondée sur la curiosité malsaine et la bassesse des bonnes gens, est un modèle de tension narrative ; le lynchage qui suit, avec la révélation qu’apporte la boîte à musique, ne manque pas non plus de force ; mais combien d’autres sont plates ou d’un humour grossier, combien de péripéties sans intérêt, comme si les bonnes idées s’étaient diluées dans un ensemble pataud, aux contours indécis. On sait d’ailleurs rarement où le scénario veut en venir : la poignante histoire de ces gens qui attendent depuis des années aurait pu à elle seule donner matière à un film ramassé, et rejoindre La prisonnière du désert. Mais le film s’encombre de rivalités sans intérêt (à cet égard la façon dont la mort de Stone Calf est mise en scène et dont Tavernier se moque dans les bonus est un modèle de négligence) ou de moments censés être pittoresques et qui le plombent sans retour.
Et pourtant, on ne cesse d’être étonné par de multiples détails qui attirent l’œil, tel ce plan fugace des soldats faisant boire leurs chevaux. Mais surtout, Les deux cavaliers frappe par son regard désabusé, dont le major se fait à de nombreuses reprises le porte-parole : le Far West présenté est loin d’un monde moral et idyllique ; on y parle beaucoup d’argent et le personnage interprété par James Stewart est à lui seul un concentré de cynisme et de cupidité qui estime la valeur d’une vie humaine « au prix du marché » ; même s’il évolue au cours du film (et cette évolution est rendue crédible par la personnalité de l’acteur et ses rôles passés), il incarne à merveille cette image du héros dénaturé que les années 60 et 70 vont décliner jusqu’à plus soif.
Tout se passe comme si Les deux cavaliers était l’œuvre d’un créateur aigri, qui n’y croit plus : rien ne trouve plus grâce à ses yeux, ni l’armée, ni les Indiens, ni les cow-boys solitaires. Jusqu’à Belle, maîtresse-femme castratrice qui classe les hommes selon leurs vices. Au fond Stewart est une sorte de John Wayne inversé, prêt à tout pour s’enrichir et même au plus sordide. Quant à la société telle qu’elle apparaît au bal, elle ne semble mue que par la haine et la rancœur ; c’est bien un regard de misanthrope qui fait l’unité de ce film boiteux. Et si l’amour final sauve les protagonistes, il est traité avec une telle rapidité, une telle absence d’enjeux, qu’on serait presque tenté d’y voir une concession parodique, n’était l’évidente fascination pour le personnage interprété par Linda Cristal.
On aurait aimé bien sûr que le film soit mieux construit, plus soigné, mais peut-être qu’il n’est que l’image d’une déception, celle de Ford. Et de fait, il semble tout entier bâti sur la déception à tous niveaux : on ne verra pas de combat épique, la rivalité entre les Indiens ne débouche sur rien, il n’y a pas de paysage grandiose, la recherche des disparus est étonnamment facile. Bref, tout ce qui aurait constitué un nœud narratif ou esthétique, tout ce qui aurait pu relancer l’intérêt est sacrifié. À l’image de ce fameux dialogue au bord de la rivière, les héros sont fatigués, revenus de tout, et ne savent ou ne peuvent plus que parler sans fin, avec le mariage comme repoussoir-attirance. La réalité est fondamentalement décevante ; il ne restera plus à Ford, dans son œuvre suivante, qu’à « imprimer la légende ».
Les suppléments :
Bertrand Tavernier parle de son embarras par rapport au film, de la réception catastrophique aux USA et du désintérêt de Ford lui-même. Il revient en détail sur les spécificités de cette œuvre curieuse, une fois de plus avec gourmandise et parfois drôlerie (32 minutes). Patrick Brion reprend les faiblesses du film et en rajoute dans son étrangeté, notamment par la très intéressante comparaison avec La prisonnière du désert (13 minutes). La galerie photos est assez fournie mais de qualité médiocre ; enfin, la bande-annonce traditionnelle complète ces bonus.
L’image :
Les couleurs sont parfois palotes et les ciels granuleux, mais dans l’ensemble la copie est propre et bien définie.
Le son :
Les deux pistes Dolby Digital 2.0 ont beaucoup de présence et de naturel ; la VO surtout a triomphé des outrages du temps.
– Sortie DVD et Blu-ray : le 21 septembre 2016
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