Noah’s ark

Les deux sœurs de Cocorosie sont de retour avec un album éclipsant les touches folk du premier LP (La maison de mon rêve, 2004) pour se recentrer sur un minimalisme exigeant.

Enregistré en Camargue dans la maison de leur maman (Noah’s ark lui est d’ailleurs dédié) ce nouvel opus, mis en musique par Sierra et en paroles par Bianca, poursuit la construction d’un univers surprenant : le cocorosieland. Après la première écoute, on pourrait comparer Noah’s ark à un conte cruel. Les chansons se succèdent comme des petites comptines doucement susurrées à l’oreille sur une musique minimaliste et unies par un thème mélancolique. Rien ne vient casser la fluidité de l’album. Le rythme est assuré par un scratch de batterie rampant sur Bear hides and buffalo, par les cordes d’une harpe sur Tekno love song, ou des notes de piano appuyées sur The sea is calm. Des hennissements de chevaux ou des miaulements de chats tout droit sortis du ventre d’un jeu éducatif, des petites touches de xylophone et des clochettes, donnent naissance à un monde peuplé d’automates féeriques.
Mais on sent que cette innocence musicale cache des sentiments plus torturés. L’étrangeté provient avant tout des chants, très travaillés, avec un son proche des vieux enregistrements de jazz des années 30 et qui prennent leur influence, comme le titre Noah’s ark pouvait le laisser pressentir, dans une vaste liturgie religieuse - et animale. Armageddon flirte, sur fond de coassement de grenouilles, avec les chœurs gospels, The sea is calm avec les chants d’église, et les voix plaintives de Beautiful boyz ne sont pas sans évoquer des intonations blues de Bessie Smith passées en 78 tours. Les textes de Bianca prolongent l’errance mystique où se croisent Pocahontas, des morts entassés et un dieu rédempteur. Avec Cocorosie, nous sommes à la frontière de l’innocence et de la perversion, de la petite histoire et du conte d’épouvante (la couverture du CD donne le ton). De ce mélange naît un album singulier et émouvant, une féerie douce-amère.