Rituel des affects
Le 4 janvier 2011
Bien plus que de simples brouillons, les coups d’essai de Schroeter sont des concentrés de son univers et de sa démarche esthétique.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Ingrid Caven, Magdalena Montezuma, Carla Aulaulu, Gisela Trowe, Candy Darling, Sigurd Salto, Steven Adamczewski
- Genre : Musical, Expérimental
- Nationalité : Allemand
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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- Durée :
– 17 mn (Maria Callas Porträt)
– 35 mn (Mona Lisa)
– 15 mn (Maria Callas singt 1957 Rezitativ und Arie der Elvira aus Ernani 1844 von Giuseppe Verdi
)
– 41 mn (Neurasia)
– 36 mn (Argila)
– 25 mn (Johannas Traum)
Bien plus que de simples brouillons, les coups d’essai de Schroeter sont des concentrés de son univers et de sa démarche esthétique.
L’argument :
– Maria Callas Porträt et
Mona Lisa sont des collages à base de photos et de musiques.
– Maria Callas singt 1957 Rezitativ und Arie der Elvira aus Ernani 1844 von Giuseppe Verdi
:
Sur un air d’Ernani de Verdi, Werner Schroeter se filme chez lui avec ses objets, aux côtés d’images de la Callas et des textes du livret de l’opéra.
– Neurasia : Quatre personnages se livrent à un rite de célébration des sentiments et d’exaltation par le théâtre, la musique et la danse.
– Argila :
Trois femmes autour d’un homme mutique.
– Johannas Traum : Les visions de Jeanne d’Arc.
Notre avis : Avant de réaliser Eika Katappa en 1969 Werner Schroeter s’était pour ainsi dire fait la main avec toute une série de courts ou moyens métrages tournés en super 8 ou en 16mm. Nombre de ces essais à caractère franchement expérimental semblent avoir disparus. Au programme de la rétrospective consacrée au cinéaste par le centre Beaubourg manquent donc à l’appel Verona, La morte d’Isotta, Paula- Je reviens ou encore Grotesk - Burlesk - Pittoresk, pour ne citer que quelques uns des titres qui composent cet ensemble conséquent.
Les premiers rescapés célèbrent tous trois le culte de Maria Callas dont Schroeter disait qu’elle lui avait sauvé la vie lorsqu’à 13 ans il avait entendu sa voix par hasard à la radio alors qu’il était sous le choc de la disparition de son ami Sigfried qui s’était pendu. Il a dit aussi que lorsque’elle se mettait à chanter, elle était comme une messagère (Propos extraits d’entretiens à Libération cités dans le programme de la rétrospective).
Proposé aussi en complément sur l’édition DVD de Eika Katappa et La mort de Maria Malibran, Maria Callas Porträt associe un montage de photos de la diva, en costume de scène ou de ville, à la lecture d’un article décrivant en termes dithyrambiques son interprétation de Lucia di Lammermoor et des extraits sonores permettant de l’entendre dans I puritani ou Un ballo in maschera. Ce film de 17 minutes est un véritable petit autel votif célébrant le culte de la prima donna assoluta.
Mona Lisa explore sur un mode lancinant un thème central à toute l’oeuvre de Schroeter, celui de la reproduction technique qui permet la répétition à l’infini, jusqu’au vertige. Trois images sont inlassablement confrontées, explorées, agrandies démesurément comme pour tenter en vain de creuser ce qui n’est que surface : une reproduction de la Joconde (Mona Lisa), une photo de Maria Callas en tigresse et une fameuse publicité pour Electrola la montrant de profil. La bande son fait entendre la voix enregistrée de la diva, parfois même en double légèrement décalé, comme si elle chantait en duo avec elle même, mais aussi des tubes de variété de Caterina Valente ou des valses de Strauss, mettant ainsi sur le même plan l’art noble et le trivial.
Ce que ces deux films gardent de conceptuel disparaît presque totalement dans Maria Callas singt 1957 Rezitativ und Arie der Elvira aus Ernani 1844 von Giuseppe Verdi
. Schroeter se filme lui-même entre les quatre murs d’une pièce au milieu d’objets familiers, insérant des plans fixes de journal intime ou de photos de la diva sur lesquelles des bulles de bande dessinée reproduisent le texte de l’air annoncé dans le titre et qui constitue la bande son du film. Tous ces éléments composent une espèce d’autoportrait instantané troublant et émouvant.
Le moyen métrage Neurasia n’est pas moins fascinant. Dans un noir et blanc expressionniste jouant volontiers sur des effets d’ombres projetées et de lumière aveuglante il organise, autour d’un objet de culte dérisoire (une espèce de lézard qu’on devine laqué or), un étrange rituel aux allures de spectacle de foire où officient quatre acteurs, les indispensables Carla Aulalu et Magdalena Montezuma en grandes prêtresses, mais aussi Rita Bauer, plus effacée, et Steven Adamczewski en veste de cuir ou rampant nu au sol tel le serpent de la Bible, emblème de l’innocence perdue qu’on retrouvera dans d’autres films du cinéaste. Dans des compositions variables, seuls, à deux, à trois ou à quatre ils rejouent en boucle la pantomime de l’adoration, de l’amour, du désespoir, de la folie ou de la mort. Les extraits musicaux (Caterina Valente toujours, les inévitables valses viennoises ou des guitares hawaïennes) sont tantôt synchrones avec l’affect mimé à l’image, tantôt ils surprennent par des arrêts et des changement brutaux.
Quant à Argila qui fait se dérouler sur deux écrans placés côte à côte les mêmes fragments de drame de roman photo en léger décalé, à droite en noir et blanc et à gauche en couleur, il parvient à créer un effet très troublant de télescopage temporel, nous permettant pour ainsi dire d’anticiper le souvenir.
Enfin le plus tardif Johannas Traum, travail de circonstance réalisé en 1975 , est une espèce de concentré en une vingtaine de minutes de l’univers du cinéaste. C’est un film-poème fulgurant à l’audace tranquille qui explore la notion de genre (masculin-féminin) en citant des extraits du procès de Jeanne d’Arc et en mêlant à des scènes mimées devant un rideau de théâtre des plans non utilisés de La mort de Maria Malibran où apparaissent le travesti Candy Darling ou Ingrid Caven marchant sur un lac gelé devant un ciel crépusculaire aux couleurs irréelles.
Tous ces petits films qui n’ont rien de théorique ni d’abstrait sont de troublantes expériences sensorielles et dépassent largement le niveau de l’exercice de style. Ils sidèrent et ravissent par leur beauté tranchante et sans concession.
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