Vertiges lusitaniens
Le 27 juin 2023
La verve enjouée et la légère distance ironique de Raúl Ruiz exacerbent le romantisme noir du foisonnant roman feuilleton à tiroirs de Camilo Castelo Branco et font paraître biens courtes ces quatre heures et demie d’enchantement.
- Réalisateur : Raúl Ruiz
- Acteurs : Melvil Poupaud, Clotilde Hesme, Malik Zidi, Léa Seydoux, Martin Loizillon, Adriano Luz, Ricardo Pereira, Maria João Bastos , João Baptista, João Luís Arrais, Julien Alluguette
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Français, Brésilien, Portugais
- Distributeur : Alfama Films
- Durée : 4h26mn
- Titre original : Mistérios de Lisboa - O Filme
- Date de sortie : 20 octobre 2010
- Plus d'informations : http://www.misteriosdelisboa.com/fr...
Résumé : Un tourbillon permanent d’aventures et de mésaventures, de coïncidences et de révélations, de sentiments et de passions violentes, de vengeances, d’amours contrariées et illégitimes dans un voyage mouvementé à travers le Portugal, la France, l’Italie et le Brésil. Dans cette Lisbonne d’intrigues et d’identités cachées, on croise une galerie de personnages qui influent sur le destin de Pedro da Silva, orphelin, interne d’un collège religieux. Le père Dinis, ancien aristocrate libertin devenu justicier ; une comtesse rongée par la jalousie et assoiffée de vengeance ; un pirate sanguinaire devenu homme d’affaires prospère. Tous traversent l’histoire du XIXe siècle et accompagnent la recherche d’identité de notre personnage.
Critique : En 1978, Manoel de Oliveira avait réalisé pour la télévision portugaise une magistrale et savoureuse adaptation de la plus connue parmi les deux cent soixante œuvres de Camilo Castelo Branco (1825-1890) : Amor de perdição, un classique de la littérature portugaise du dix-neuvième siècle, déjà deux fois filmé auparavant (et une autre depuis). Il en avait fait un modèle de littéralité (quatre heures et quart pour un livre de moins de trois cents pages) usant d’un humour subtil pour contrecarrer et par là même exacerber le romantisme échevelé du roman.
Trente ans après, ce sont les foisonnants et feuilletonnesques Mistérios de Lisboa (1854) que Raúl Ruiz a portés à l’écran sur l’instigation de Paulo Branco qui a monté cet imposant projet pour Alfama Films et La Radio Télévision Portugaise (avec une participation d’Arte).
Inspiré des Mystères de Paris d’Eugène Sue, ce roman en trois volumes est une suite incroyable de péripéties, de retournements de situations imprévus et d’intrigues imbriquées les unes dans les autres que le scénariste Carlos Saboga est parvenu à ramasser en 4h26mn de projection pour la version (courte) destinée aux salles de cinéma. L’histoire de la mère de sœur Antonia en est absente. On la retrouvera dans la version télévisée de six fois une heure dont elle constituera l’épisode IV intitulé (Les Crimes d’Anacleta dos Remédios)
- © Alfama Films
Le cinéaste chilien, maître ès labyrinthes en tous genres et jeux sur l’espace-temps, était tout indiqué pour emmêler et démêler à loisir ce tissu narratif complexe naviguant entre passé et présent, voire même un avenir hypothétique puisque Ruiz dit lui même ne pas savoir si le récit d’enfance est un souvenir du narrateur adulte ou si toutes ces intrigues emboîtées les unes dans les autres sont une projection rêvée de l’enfant en proie au délire provoqué par la fièvre. Le théâtre miniature sur lequel le petit Pedro déplace les figures du drame invite à cette interprétation que confortent de nombreux artifices de mise en scène : personnages avançant sans marcher au milieu de la foule d’un bal comme des pions déplacés par une main invisible ; apparition surprise, par un déplacement de caméra ou un reflet dans un miroir, d’un personnage dont on se dit qu’il devait être là depuis le début d’une scène où jusque-là il n’avait pas sa place.
Ces jeux, souvent drôles et toujours troublants, ont pu lasser dans certaines œuvres antérieures du cinéaste où ils prenaient parfois une tournure un peu systématique. Ils restent ici relativement discrets, introduisant juste la légère distance ironique qui, loin de nuire au romantisme noir de l’univers du Castelo Branco, en renforce au contraire la sombre magie par une touche de dérision désespérée.
- © Alfama Films
Cette distance est due aussi, bien sûr, au jeu des acteurs qui, comme toujours chez Ruiz, échappent aux critères du juste ou du faux. Tous sont ostensiblement en représentation et le subtil écart entre le rôle et l’interprète donne un relief paradoxal à leurs personnages, pantins tragiques et émouvants se débattant en vain pour contrôler leur propre destin.
Clotilde Hesme est irrésistible en Elisa de Montfort poursuivant avec une obstination presque tranquille sa soif de vengeance devenue idée fixe. Ricardo Pereira sait conférer au personnage rocambolesque d’Alberto de Magalhães le panache requis. Il faut saluer aussi Adriano Luz en père Dinis impénétrable dévoilant peu à peu les innombrables facettes de sa personnalité ; Maria João Bastos, bouleversante dans le rôle de la malheureuse Ângela de Lima ; Afonso Pimentel et le jeune João Luís Arrais qui se partagent celui du narrateur protagoniste,
le fièvreux João Baptista, vu dans Nuit de chien ; Julien Alluguette en Benoît de Montfort tourmenté par une jalousie maladive
ou encore Maria João Pinho en fière comtesse de Viso abandonnant tout pour suivre son amant à Venise et y mourir en couches.
Mais toutes les compositions sont savoureuses, fussent-elles limitées à quelques scènes comme celle, intrigante à souhait, de Melvil Poupaud tombé dans le chaudron ruizien dès l’enfance.
Enjoué et grave, léger et vertigineux, Mistérios de Lisboa est aussi un opulent spectacle et une fête pour les yeux éblouis par la sombre beauté de la photo d’André Szankowski. Le joyeux désespoir qui l’anime lui permet d’échapper aux pièges inhérents à ce types de grosses coproductions généralement écrasées par le luxe des décors et de costumes ou les pesanteurs des développements narratifs.
On ne s’étonnera pas que le film enchanteur continue de faire salle comble après plus de deux mois d’exclusivité car ces quatre heures et demie de romanesque intense sont finalement bien courtes et nous laissent presque sur notre faim. Vivement la version longue !
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Norman06 23 janvier 2011
Mystères de Lisbonne - Raúl Ruiz - critique
Le chef d’œuvre de Raoul Ruiz. Somptueuse adaptation d’un feuilleton littéraire, ce récit à tiroirs aux frontières de l’onirisme est un modèle de romanesque et de virtuosité visuelle. Ne vous laissez pas rebuter par les 4h30 qui constituent un véritable bonheur artistique !