Le 1er septembre 2016
Un Ruiz grand crû, très drôle et d’une invention permanente
- Réalisateur : Raúl Ruiz
- Acteurs : Michel Piccoli, Bernadette Lafont, Catherine Deneuve, Melvil Poupaud
- Genre : Thriller
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 1h53mn
- Date de sortie : 26 mars 1997
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– Sortie Blu-ray : le 13 juillet 2016
– Ours d’Argent Festival de Berlin 1997
Résumé : A Vienne quelque temps avant la guerre, Hermine Helmut von Hug, psychanalyste pour enfants, est persuadée que son neveu age de cinq ans a des tendances homicides. Elle décide donc d’étudier l’évolution inexorable des penchants criminels de son neveu. Celui-ci commet finalement le crime tant attendu : il tue sa tante.
Notre avis : Prendre quelques personnages : une avocate, un jeune meurtrier, des psychanalystes, une domestique. Construire une histoire qui mêle ces personnages (un meurtre, un deuil) mais faire en sorte de les dé-personnaliser : l’avocate est connue pour perdre tous ses procès, les psychanalystes sont des paranoïaques névrosés et en guerre entre les écoles, le meurtre était prévu par la victime, et chacun peut jouer le rôle de l’autre, ou presque… Ce pourrait être la recette du film de Ruiz, tout du moins l’un des aspects, qui consiste à se perdre dans un labyrinthe surprenant. Rien de prévisible dans cette histoire tortueuse qui fait semblant de traiter des questions essentielles (la part de l’inné et de l’acquis, rien de moins !) pour mieux noyer son spectateur sous des déluges de références et d’incongruités.
Évidemment, le cinéaste s’amuse des faux-semblants, des miroirs, vitres et glaces sans tain qui parsèment l’histoire et viennent en dédoubler l’opacité ; de même les ombres participent-elles de ce monde de simulacre, dans lequel il n’y a pas de vérité. Ou plutôt il y a des vérités successives et contradictoires, sans que jamais le spectateur ne puisse y adhérer ; malgré les apparences, on n’est pas dans un policier psychanalytique dans lequel tout s’explique par des névroses et traumatismes (voir Marnie, par exemple), même si la musique s’en souvient. Ici, rien ne s’explique mais c’est sans doute qu’il n’y a rien à expliquer : le plaisir du film vient de la perte de repères, du déploiement sinueux de ces travellings qui transforment la réalité ; ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le repas entre Catherine Deneuve et sa mère, apparemment anodin, tient pendant un temps sur des discussions inintéressantes (la soupe, le vin), mais Ruiz privilégie les angles bizarres (un chat ou une poterie en amorce, une plongée ou un travelling qui s’élève) et fait de ce moment banal une introduction à un monde étrange, en léger décalage. Une « inquiétante étrangeté », si l’on veut. C’est qu’au fond, tout est question de regard : un pas de côté, et la réalité devient autre.
Se perdre dans les péripéties proliférantes, dans les incongruités avec un goût prononcé pour la réplique détonante (« La ciboulette me déçoit toujours », « jamais de chaussures au moment suprême ») ou répétitive (« ne m’appelez pas docteur »), c’est accepter de laisser tomber son cartésianisme et s’amuser de l’inventivité sans fin de Ruiz. Qui plus est, Généalogies d’un crime est très drôle, notamment dans la description des sectes psy dont la caricature et les théories farfelues (ah ! Le syndrome narratif, le tableau vivant ou le bouc émissaire ultime !) font mouche. Et, comme dans un rêve, les personnages ne semblent pas exagérément surpris par les incongruités qui leur tombent dessus – on pense ici au dernier Bunuel. On reste une fois de plus fasciné par l’inventivité de Ruiz (et de son co-scénariste Pascal Bonitzer) dans ce film à la fois très construit et déroutant, fondé sur l’image symbolique récurrente d’un jeu de go. Dans ce cadre, les personnages sont des pions qu’un joueur ultime, le cinéaste lui-même, place, déplace selon des lois complexes, sur un territoire choisi par lui. Bien sûr, les familiers de son œuvre retrouveront avec plaisir des motifs (le verre au premier plan au travers duquel on voit un comédien, les miroirs) et cette vision décalée, onirique, qui désamorce constamment le système narratif. Un pur plaisir.
Les suppléments :
Un seul bonus, un entretien datant de 2009 avec le cinéaste : difficile de dire exactement de quoi il parle, ses propos ressemblant à ses films. Il y a des fantômes, des références culturelles, les six fonctions du plan (il y en a huit, mais Ruiz n’en trouvait que six !). Bref, on suit avec délice les digressions sans fin du malicieux cinéaste, dont on se demande toujours dans quelle mesure il était sérieux. (25 minutes).
L’image :
La restauration 2K donne une copie très propre, aux couleurs rutilantes et aux noirs profonds. Un léger grain a été conservé, signe d’une époque.
Le son :
Les deux pistes (DTS-HD MA 2.0 et 5.1) délivrent un son très respectueux des effets « ruiziens », entre musique de fond à l’ancienne et jeux complexes sur les voix.
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