L’amour est enfant de Bohème
Le 9 octobre 2010
Cet ahurissant mélange de mélo, film noir et comédie musicale est transcendé par le regard de Shimazu, authentique (et grand) cinéaste.
- Réalisateur : Yasujirô Shimazu
- Acteurs : Tatsuo Saitō, Chishū Ryū, Ken Uehara, Daijiro Natsukawa, Mieko Takamine, Haruko Sugimura
- Genre : Drame, Musical
- Nationalité : Japonais
- Plus d'informations : http://www.mcjp.fr/francais/cinema/...
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– Titre original : 浅草の灯 - asakusa no tomoshibi
– Durée : 1h17mn
Cet ahurissant mélange de mélo, film noir et comédie musicale est transcendé par le regard de Shimazu, authentique (et grand) cinéaste.
L’argument : La belle Reiko, danseuse à l’opéra d’Asakusa, subit les pressions de son entourage qui voudrait en faire la maîtresse d’un nouveau riche ayant fait fortune dans la sidérurgie. Ses collègues et ses admirateurs se liguent pour lui venir en aide.
Notre avis : Programmé dans le cadre de la mini-rétrospective consacrée à Yasujirô Shimazu par la Maison de la Culture du Japon à Paris, Les lumières d’Asakusa a été tourné trois ans après le merveilleux Yaé, notre petite voisine. Les deux films sont bien différents au premier abord. Celui-ci est un ahurissant mélange de mélodrame, film musical, comédie et film noir, dont les postulats de départ et les ressorts dramatiques sont aussi invraisemblables que convenus.
Les acteurs n’ont d’ailleurs pas l’air de vraiment y croire mais semblent s’amuser beaucoup à exécuter leur partition, composant une galerie de personnages pittoresques, à commencer par le jeune premier romantique (et bagarreur) affublé d’un chapeau à large bord qu’incarne Ken Uehara (Monsieur Merci) et les trois jeunes filles amoureuses de lui. Les règles du mélodrame veulent d’ailleurs que la seule qu’il aime vraiment, Reiko, (jouée par la belle Mieko Takamine ; ils se retrouveront en 1953 dans Epouse - Tsuma de Naruse) lui échappe au bout du compte.
Il y aussi le peintre bohème, amoureux de l’héroïne, l’actrice vieillissante et calculatrice (Marie, jouée par la grande Haruko Sugimura) et une foule de petits rôles, tous bien croqués : les acteurs de la troupe (parmi lesquels se détache un Chishu Ryu juvénile) ou les petits trafiquants et commerçants du coin.
Entièrement reconstitué en studio, le décor du quartier d’Asakusa est une franche réussite : rues grouillantes de monde, fêtes foraines, bars et théâtre où la troupe donne des représentations (franchement calamiteuses) de Carmen, Aida ou d’opérettes viennoises devant un public populaire turbulent.
Tout ces ingrédients font un ensemble hétéroclite et divertissant mais qui lasserait sans doute assez vite si n’était à l’oeuvre ici un véritable cinéaste. Car c’est le regard de Shimazu et son génie de la mise en scène qui donnent vie à cet assemblage improbable.
© 1937, Shôchiku Co., Ltd.
Toutes les scènes de rues sont animées d’une véritable force centrifuge, avec leurs personnages avançant vers nous au milieu des flux contradictoires d’une foule fortement individualisée qui ne donne jamais l’impression d’être un simple rassemblement de figurants.
De même les scènes dans la loge commune des acteurs sont d’étonnants portraits de groupe : même lorsqu’ils chantent tous en choeur pour donner du courage au malade qui est parmi eux, ils font chacun autre chose.
Mais le plan le plus représentatif est peut être celui où la serveuse de bar, marchant sous la pluie avec l’acteur, reste seule après le départ de celui-ci. On pense que la scène est terminée, mais le plan dure démesurément et la caméra descend pour filmer les pieds de la jeune femme au milieu des flaques d’eaux.
Ces détails inutiles, en tout cas sans véritable nécessité dramatique, intéressent beaucoup plus le cinéaste que le drame en lui-même. Celui-ci est comme dilué (ou relativisé) par un regard captant aussi tout ce qui se passe à côté. Ce qui aurait pu n’être qu’une curiosité un peu datée devient ainsi une belle et passionnante aventure cinématographique.
© 1937, Shôchiku Co., Ltd.
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