Veillée funèbre au saké
Le 9 juillet 2010
Acerbe critique sociale mais aussi tout simplement chef-d’oeuvre mélancolique et léger à la fois, le dernier des trois films survivants de Sadao Yamanaka, immense cinéaste mort à 28 ans.


- Réalisateur : Sadao Yamanaka
- Acteurs : Chojuro Kawarasaki, Kan.emon Nakamura, Shizue Yamagishi
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais

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– Durée : 1H26mn
– Titre original : 人情紙風船 - Ninjo kami fusen
Acerbe critique sociale mais aussi tout simplement chef-d’oeuvre mélancolique et léger à la fois, le dernier des trois films survivants de Sadao Yamanaka, immense cinéaste mort à 28 ans.
L’argument : Dans un quartier pauvre de Tokyo au XVIIIe siècle, un samouraï s’est suicidé. Matajuro, un « ronin » (samouraï au chômage) passe ses journées à chercher désespérément un travail tandis que sa femme fabrique des ballons en papier pour survivre. Un offi ciel cherche à marier sa fi lle et Shinza, ancien coiffeur qui organise des jeux d’argent sans permission sur le territoire est traqué par les hommes de main du chef local...
Notre avis : Sorti le 25 août 1937 alors que Sadao Yamanaka recevait son ordre de mobilisation pour le front, Pauvres humains et ballons de papier, le dernier des trois films conservés de son auteur (après Sazen Tange et Kochiyama Soshun), sera un film de référence pour nombre de cinéastes japonais. La Maison de la Culture du Japon à Paris le programme dans le cadre de sa rétrospective Yamanaka, en association avec le Festival Paris Cinéma, et nous offre l’occasion trop rare de voir ce précieux chef d’oeuvre.
Le film est placé dès la première scène sous le signe de la mort et s’achèvera par un meurtre et un double suicide. Une tonalité funèbre, en tout cas profondément triste, restera présente, en arrière fond, du début à la fin, mais s’associera, au fil des péripéties de ses trois ou quatre intrigues parallèles, à bien d’autres motifs, tragiques ou burlesques.
Les habitants de la ruelle où on vient de découvrir le mort ne se privent pas de commenter l’événement (« Se suicider par une si belle journée ! »), tirent à courte paille pour choisir les porteurs du cercueil et organisent une veillée funèbre qui a tôt fait de se transformer en fête de voisinage bien arrosée (de saké bien entendu). Ce mélange carnavalesque de tragédie et de comédie bouffe se retrouve dans toute l’histoire de Ginza, le coiffeur facétieux qui défie le parrain du coin et y risque sa vie (Avant d’affronter son adversaire qui va sans doute le tuer, il confie à un des malfrats le parapluie qu’il ne pourra rapporter lui même et le charge de la commission.)
C’est à travers ce personnage, mais plus encore avec celui du ronin tombé dans la misère et du chambellan imbu de sa position qui refuse de le recevoir (et même de lire la lettre que le jeune homme veut lui transmettre de la part de son père défunt auquel il doit pourtant sa fortune actuelle) que Yamanaka met en évidence de manière cinglante la violence qui régit les rapports sociaux dans ce Japon du 18ème siècle.
Ce réquisitoire sans concessions, mais qui se passe de discours dogmatique, est servi par un véritable regard sur le monde (plans émerveillés de la ruelle après la pluie et du ciel où passent les nuages) et un sens fulgurant de la mise-en-scène et de la direction d’acteurs. La manière par exemple dont l’épouse du ronin, partie voir sa famille, est là tout à coup, et assiste de dos aux réjouissances que le quartier organise après la victoire très provisoire de Ginza, est saisissante. Cette présence muette et comme accidentelle suffit pour changer du tout au tout la tonalité de la scène et annoncer une fin plus mélancolique que tragique.
Le dernier mouvement de caméra s’arrête sur les ballons de papier flottant sur le ruisseau qui coule entre les taudis ; image belle et dérisoire qui clôt dignement Pauvres humains et ballons de papier, chef d’oeuvre grave et léger à la beauté poignante.