Triste monde
Le 2 octobre 2011
Un superbe film d’Akira Kurosawa, amère fable sur les déclassés.

- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Yoshitaka Zushi, Kin Sugai, Toshiyuki Tonomura, Shinsuke Minami, Yûko Kusunoki
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Date de sortie : 1er septembre 1970

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– Durée : 2h15mn
L’argument : Oku-Chan est un jeune garçon qui vit dans un bidonville. Pour s’évader d’un quotidien sinistre, il s’imagine être aux commandes d’un tramway comme il y en a en ville, et sillonne le dédale des bas-fonds, sans prêter attention aux ricanements des gamins moqueurs. Il y fait d’ailleurs d’étranges rencontres. Près des poubelles, un clochard et son fils en quête d’un monde luxueux, là une jeune fille qui fabrique des fleurs artificielles... Pendant ce temps, le médecin du quartier refuse de dénoncer un voleur à la police, sauve un désespéré du suicide, désarme un ivrogne... Autant d’exclus, de déclassés, d’alcooliques et de rêveurs dont les destins de solitude vont peu à peu se croiser.
Notre avis : Reprenant le thème des Bas-fonds (1957), c’est dans un décor stylisé aussi flamboyant que désolé qu’Akira Kurosawa choisit de faire évoluer ses personnages, pour sa première réalisation en couleurs. Le monde qu’il dépeint est loin d’être rose et laisse une forte impression d’éclatement. En effet, le film est choral et les personnages, plus juxtaposés qu’ensemble ; les rencontres sont rares. C’est chacun pour soi, ou presque. Exploitation, abus, incommunicabilité, bassesse ont une large part dans cette fable amère sur l’envers du décor d’un Japon en pleine expansion (nous sommes au début des années 70), narrée en un savant agencement de longues et denses scènes.
Pour Kurosawa, qui traverse alors une grave dépression (il tentera d’ailleurs de mettre fin à ses jours devant l’échec commercial de son film), l’humanité offre un spectacle aussi désolé que désolant. Le seul espoir, ténu, se situe dans le rêve. Celui du père clochard et de son fils (dont le couple rappelle celui du Kid de Chaplin), qui fantasment leur maison idéale. Mais leur destin est tragique. Il ne reste plus alors que la folie douce du jeune adolescent qui se réfugie dans sa croyance d’être chauffeur de tramway. Il est celui qui emmène, relie les individus entre eux. Il est donc l’artiste, le cinéaste. Sa vie est la plus belle parce qu’elle transcende le réel grâce à son imagination, mais au prix d’un grand isolement, puisqu’il est incompris et moqué. Un superbe film sur le monde tel qu’il va mal et l’art, tel qu’il sauve.
LE DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Outre la bande-annonce, une vingtaine de photos du film et la filmographie du cinéaste, Wild Side propose trois documentaires. Le premier, en japonais, situe le film dans son contexte (il vient après deux projets ambitieux non menés à bien) et retrace la genèse du film. Pas inintéressant mais très classique (avec témoignages de la scripte, du chef opérateur...) et un peu brouillon. Viennent ensuite deux entretiens inédits et très récents avec les enfants de Kurosawa. Le témoignage de sa fille Kazuko insiste sur leur relation, tendre et affectueuse. Celui de son fils Hisao, beaucoup plus amer et général, témoigne en revanche de relations tendues.
On peut regretter que cette édition ne propose pas une analyse plus poussée du film lui-même. Sa richesse et son originalité auraient parfaitement justifié l’intervention d’un(e) spécialiste, pour commenter quelques scènes par exemple.
Image & son : L’édition est de bonne tenue dans ce domaine. Le format 1:33 d’origine est respecté et la qualité de l’image, claire et lumineuse, rend justice aux superbes couleurs utilisées. La seule piste son disponible, en japonais mono, est correctement rendue. Elle permet notamment d’apprécier la très agréable partition qui ouvre et referme le film.