Le 27 juillet 2019
- Réalisateur : Abdellatif Kechiche
- Festival : Festival de Cannes 2019
La polémique engendrée par le nouveau Kechiche élude des questions essentielles, qui sont cinématographiques.
Edito : Ce vendredi 24 mai à Cannes, une étrange atmosphère pèse sur le dernier jour de la compétition. Celle-ci est impactée par l’un des deux événements que les festivaliers ont vécus la veille au soir. La journée avait pourtant bien commencé, puisqu’elle avait été marquée par le grand retour du ciel bleu, après une semaine de grisaille. Puis la soirée de gala avait débuté par la projection du Traître, le nouveau film très attendu de Marco Bellocchio. Mais ce matin, c’est le second film de la soirée qui est sur toutes les lèvres, et, contrairement à la coutume, la question qui circule entre compagnons de Festival n’est pas : « Et toi, tu l’as aimé ? » mais bien « Et toi, tu as réussi à rester jusqu’au bout de Mektoub ? ».
Eh oui, déjà, cette nuit sur la Croisette – aux alentours de minuit, soit deux heures après le début de ce film de 3h30, à l’arrêt de bus de l’Hôtel de Ville, pour être précis dans mon anecdote –, les premiers retours étaient nombreux : « Je suis parti avant la fin, c’était insupportable ! ». Pas de quoi rendre excitant le réveil matinal, pour assister à la séance du lendemain matin. Mais votre serviteur est motivé. Ce qui n’est pas le cas de tous les festivaliers puisque ce jour, le Grand Théâtre Lumière a débuté sa projection face à une salle presque vide. En effet, le bad buzz semble s’être rapidement propagé, car sur les réseaux sociaux, les hashtags relatifs au film Mektoub My Love : Intermezzo et à son réalisateur Abdellatif Kechiche, sont massivement associés à des accusations de sexisme, de voyeurisme et autres perversions.
Il s’agit, après tout, des invectives dont Kechiche est la cible depuis de nombreuses années. Et, l’an dernier, le premier opus, Mektoub, My Love : Canto uno, lui avait tout particulièrement valu d’être attaqué, en raison de son goût très prononcé pour les corps féminins, qu’il filmait en bikini sur la plage, tandis que ses défenseurs voyaient, au contraire, dans ce long métrage la quintessence de son talent pour sublimer les dits corps. Mais alors - et dans la mesure où les actrices qu’il filme sont exactement les mêmes-, en quoi ce gimmick peut-il être considéré comme plus amoral à travers cette suite ? La première demi-heure, qui se passe – exactement comme c’était le cas dans la majorité du précédent film – au bord de la mer, multiplie les gros plans sur les poitrines et fessiers généreux de ses comédiennes. Soupçonner une intention voyeuriste est donc facile. En revanche, la suite se déroule intégralement dans une boîte de nuit : (pour rappel, le Canto Uno contenait à l’inverse une seule scène, soit une vingtaine de minutes, en discothèque). Ici, c’est encore une fois sur ses belles héroïnes qui se déhanchent que le réalisateur multiplie ses longs plans fixes.
De sorte qu’on peut légitimement se poser la question suivante : est-ce qu’il est moins malsain de reluquer des jeunes filles sur la plage que des danseuses en boîte de nuit ? On pourrait facilement prétexter que l’intention première des héroïnes est d’attirer les regards sur elles. Dès lors, la demande à formuler aux nombreux spectateurs qui ont quitté la salle avant la fin de ces trois heures de boîte, chercherait davantage à savoir si ce qui les a dégoûtés jusqu’à l’overdose, ce n’est pas justement le parti pris d’avoir étiré cette scène de danse, avec les musiques qui l’accompagnent, à fond dans les basses.
Parmi les spectateurs que j’ai interrogés au sortir de cette séance du lendemain et qui se disent satisfaits du film qu’ils viennent de voir, la plupart ont pour argument premier que l’excellent sens du montage dont fait preuve Kechiche leur a permis de revivre de bons souvenirs de leur propre jeunesse, quand ils fréquentaient de pareils lieux de fête. Ceux qui n’ont pas aimé Mektoub My Love : Intermezzo ont, à l’inverse, majoritairement reconnu « ne pas aimer les boîtes de nuit ».
Le bad buzz dont le film est victime aujourd’hui représente le traditionnel scandale de Cannes, car il est bien connu ici qu’il n’y a pas de bon Festival sans bon scandale (on se souvient que Lars von Trier nous l’avait offert l’an dernier, avec son The House That Jack Built). Cependant, il aurait été préférable pour tout le monde que ce film ait suscité des questions plus constructives, plutôt que de savoir si les filles en boîte sont toutes des cochonnes qui n’attendent que d’être saisies au cours d’ébats sexuels. Le film aurait pu engendrer une vraie interrogation sur la dimension « sexiste » du talent de Kechiche, qui le pousse à magnifier ses actrices. A défaut, on se contentera de l’arrière-train d’Ophélie Bau comme un objet de fantasme.
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