Le Nid : Les fils de la mort - Marco Galli - La chronique BD

Critique : Disons-le de suite : Le Nid n’est pas aussi nauséabond et malsain que Les Bienveillantes de Jonathan Litell, mais ce que propose de manière graphique Marco Galli s’inscrit irrémédiablement dans cette veine cynique et putride que le romancier avait déjà avancée, à savoir faire revivre ce cauchemar nazi de l’intérieur, presque jusqu’à en saisir les viscères. Du haut de ce chalet alpestre, le Nid d’Aigle est un objet de fantasme que de nombreux récits et documentaires ont tenté de percer. Galli se propose d’avoir pour yeux Eva Braun, ici témoin de la déchéance de l’homme qu’elle aime, entouré de ses généraux courtisans, de la déliquescence d’une cour, à l’image du Reich qu’il avait construit. Heureusement, Galli ne sombre pas dans le pathos, car tout ce qu’il montre, tout ce qu’il peint, est empreint d’une couche de vernis monstrueux, difforme, répugnant dont on reparlera au moment d’évoquer le graphisme. Les petites scènes qui se jouent – dîners, conseils de guerre, intimité de la chambre – sont entrecoupées du regard distant du garde chasse, qui rêve malgré lui de tuer Hitler, donnant un petit côté Roi des Aulnes à cette œuvre, et du coup une filiation plus Tournier que Litell.

© Sarbacane / Galli

Pour revenir au style de l’auteur, il faut retenir deux choses. Tout d’abord, l’ambiance graphique s’imprègne quasi instantanément de quelque chose de gluant, repoussant, froid et macabre, que ce soit dans les gestes d’une banalité louche, les détails des murs couverts de fresques ou de trophées, les sourires forcés en gros plan inattendus. Depuis la couverture jusqu’à la dernière case, un frisson s’empare du lecteur, qui sait pourtant que rien d’important ne va se passer durant ces quelques jours, la chute intervenant à Berlin. Enfin, l’autre élément graphique se révèle être cette sorte de caricature de comic dystopique, à l’image d’un Crâne Rouge Marvel ou d’antagonistes issus de la Brigade Chimérique, qui semblent ici s’immiscer dans la réalité, comme si ces généraux, ces dignitaires avaient enfin fait sortir le fond de leurs âmes, le temps d’une dégringolade.

© Sarbacane / Galli

A la fois répugnant et intrigant, Le Nid : Les fils de la mort propose un voyage sordide auprès d’un Hitler drogué, malade et névrosé, reflet d’une idéologie qui, hélas encore aujourd’hui, ne parvient pas à mourir.