Où est le phare ?
Le 15 octobre 2012
Huppert parfaitement à l’aise dans l’univers délicieusement détraqué de Hong Sangsoo. Jubilatoire.


- Réalisateur : Hong Sang-soo
- Acteurs : Isabelle Huppert, Moon So-ri, Yu Jun-sang, Yuhjung Youn (Youn Juhjung) , Yumi JUNG (Jung Yumi), Sungkeun MOON (Moon Sungkeun), Kwon Hae-hyo
- Genre : Comédie
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h29mn
- Titre original : Da-Reun na-ra-e-suh
- Date de sortie : 17 octobre 2012
- Plus d'informations : http://diaphana.fr/film/in-another-...
- Festival : Festival de Cannes 2012

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Résumé : Dans un pays qui n’est pas le sien, une femme qui n’est à la fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, a rencontré, rencontre et rencontrera au même endroit les mêmes personnes qui lui feront vivre à chaque fois une expérience inédite.
Critique : Les inconditionnels du cinéma de HONG Sang-soo sont à la fête ces temps-ci : après Oki’s movie, sorti en décembre 2011, et Matins calmes à Séoul, sorti en mai de cette année, voici donc qu’arrive sur les écrans dès cet automne le treizième opus du facétieux Coréen, moins de six mois après sa présentation à Cannes en sélection officielle.
Il avait été oublié du palmarès, comme on pouvait s’y attendre, car jugé à l’évidence trop futile et déroutant par un jury porté plus encore que d’habitude sur les sujets sérieux et la maîtrise démonstrative.
Or, s’il fait montre une fois de plus d’un brio d’écriture et de mise en scène proprement jubilatoire, HONG Sang-soo, dont Gérard Crespo, dans son avis à chaud cannois soulignait la parenté (revendiquée) avec Rohmer, autre cinéaste du langage doté d’un infaillible œil de peintre, il ne cherche pas à en imposer ni à en mettre plein la vue.
Barrant obstinément la route au cynisme et aux arrière-pensées, il prend même un malin plaisir à donner une apparence anodine, gratuite, à ses tortueux jeux de narration tout en coïncidences fortuites et fausses répétitions, à son enfilade de scènes qui clochent (et s’avèrent souvent rêvées ou imaginées par les personnages) ainsi qu’aux pièges, dérapages et télescopages du discours, sources de malentendus révélateurs.
Les trois Anne, variantes du même personnage d’étrangère ne parlant pas le coréen et objet de fantasme pour tous les hommes qu’elle croise (la femme française dont ils ont toujours rêvé) sont ici l’élément déclencheur de ces troublants (et souvent hilarants) mécanismes détraqués.
Dialoguant en anglais avec des interlocuteurs qui maîtrisent plus ou moins bien cette langue, elles se glissent dans les failles de la traduction et, spontanément à l’aise dans cet environnement sur lequel elles n’ont pas vraiment prise et pourtant étonnement familier, retrouvent une espèce d’innocence enfantine, s’amusant comme des gamines en profitant d’un délicieux sentiment d’irresponsabilité qui les libère de toute inhibition.
Prenant au mot l’amant qui lui fait une scène de jalousie ou le maître-nageur qui lui offre sa tente, demandant au moine en train de faire son portrait de lui faire cadeau du stylo Montblanc auquel il tient plus qu’à tout, bêlant pour attirer l’attention des chèvres aperçues dans un pré, poussant de grands soupirs ou tapant nerveusement sur une rambarde sous l’effet de l’ivresse, (car bien sûr le soju coule à flots) ou encore brassant l’air pour dessiner un grand phare et un petit phare (peut être la triple scène la plus cocasse de l’ensemble), cette Anne sautillante et décomplexée trouve en Isabelle Huppert une interprète irrésistible de drôlerie burlesque. Une complicité totale et immédiate semble s’être instaurée entre l’actrice et le cinéaste.
Ses partenaires, presque tous aperçus déjà dans les films précédents de HONG Sang-soo, sont au diapason, avec mention spéciale pour la grâce loufoque de YU Junsang, déchaîné en maître-nageur poussant la chansonnette, et la feinte gaucherie de l’exquise JUNG Yumi (l’apprentie scénariste censée imaginer tout ce qu’on voit à l’écran, mais intervenant aussi comme personnage de ses propres.
Bref : le système HONG Sang-soo continue de se détraquer joyeusement pour notre plus grand bonheur et ce Da-reun na-ra-e-suh en est un des produits les plus euphorisants et délicieusement déstabilisants. On en redemande ! (le prochain dans six mois ?)