Bois un coup et souris !
Le 27 décembre 2023
Hong Sang-soo à plein régime dans ce nouvel opus ludique, délicieusement incongru et irrésistiblement drôle.
- Réalisateur : Hong Sang-soo
- Acteurs : Ji-won YE (YE Jiwon), Yumi JUNG (Jung Yumi), Lee Sun-kyun, Sangjoong Kim (KIM Sangjoong), Jeayoung JUNG (Jung Jaeyoung), Minwoo LEE (Lee Minwoo)
- Genre : Comédie
- Nationalité : Sud-coréen
- Durée : 1h28mn
- Titre original : U ri Sunhi (Notre Sunhi - 우리 선희)
- Date de sortie : 9 juillet 2014
- Festival : Festival de Locarno 2013
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Résumé : Sunhi, jeune diplômée en cinéma, demande une lettre de recommandation à Choi, son professeur. Sur le chemin de l’université, elle tombe sur son ex petit-ami Munsu et quelques jours plus tard elle rencontre Jaehek, un réalisateur qu’elle fréquentait auparavant. Ces retrouvailles sont autant de tentatives pour Sunhi et ces trois hommes de se chercher, de se trouver et de comprendre qui est réellement Sunhi.
Critique : Comblant les attentes et déroutant une fois de plus ses aficionados qui ne demandent pas mieux, Hong Sang-Soo semble installer, dans ce quinzième opus, une temporalité étrange, non linéaire.
Il est en effet très difficile de déterminer les intervalles qui séparent les séquences constituant ici autant d’épisodes autonomes, voire même d’affirmer avec certitude que leur succession soit bien régie selon le mode du et puis et non pas plutôt selon celui du ou bien.
Ce doute surgit notamment lors d’une des scènes se déroulant dans le bar lorsque la patronne propose de faire venir du poulet comme si c’était la première fois, alors qu’elle l’a fait dans les mêmes termes dans une séquence précédente et en présence, déjà, d’un des hôtes auxquels elle est en train de s’adresser.
Il est vrai, comme quelqu’un le dira peu après, que proposer à ses hôtes du poulet est une véritable manie chez cette femme et qu’à ce stade du film on a compris qu’un principe de répétition est à l’œuvre ici et qu’une espèce de contamination proliférante fait resurgir sans cesse la même chanson (un regard médusé : « J’ai entendu cette chanson il y a peu de temps ! ») et surtout les mêmes répliques que les personnages se piquent allègrement les uns aux autres.
Même si la superbe séquence finale qui fait se retrouver dans le parc automnal les trois hommes lève en partie l’incertitude et nous assure que tout ce qui précède a bien eu lieu dans un même espace-temps, un sentiment de trouble demeure et l’on comprend que Sunhi soit désorientée, qu’elle ne sache pas très bien où elle en est, au point de ne trouver d’autre échappatoire, peut-être, que de disparaître à nouveau « pendant des années » (comme le dit l’un des protagonistes, avec la tendance à l’exagération si fréquente chez Hong Sang-Soo).
Car, dans Notre Sunhi (le pronom possessif a disparu dans le titre français), c’est bien sûr la question de l’identité qui est posée sur un mode ludique, enjoué, délicieusement vertigineux, le paradoxe étant que cette identité est d’autant plus insaisissable que tout le monde parle de la jeune femme en utilisant rigoureusement les mêmes termes. L’interrogation angoissante pour elle n’étant donc pas de savoir laquelle des identités diverses est la vraie mais plutôt celle de constater qu’elle est toujours la même aux yeux des autres.
Rien de théorique pourtant dans ce questionnement qui passe toujours par une mise en scène très concrète, jouant de la surprise, du détail déconcertant qui fait surgir un réel détraquant la mécanique trop bien huilée du discours : le jeune homme (Monsu) désorienté, regardant de tous côtés sur le trottoir, ne sachant d’où vient la voix qui l’appelle (« Regarde en haut ! ») ; le troisième homme (Jaehak, le revêche désabusé), faisant montre soudain d’une attention insoupçonnée lorsqu’il forçe la main de la jeune femme pour l’obliger à accepter son parapluie ; l’alcool qui fait parler à la cantonade (« Qu’est-ce que tu racontes ? ») en élevant inconsidérément la voix (« Moins fort ! Il y a des gens dans le coin ! ») et donne à la parole un caractère obsessionnel (« Je vais creuser jusqu’au fond... creuser... creuser... ») ; l’héroïne se mettant soudain à tapoter les joues de l’homme assis en face d’elle (Jaehak encore), le trouvant « tellement mignon », alors qu’entre par la porte du fond, après avoir enlevé son casque de moto derrière la vitre opaque, le livreur de poulet, grand corps gauche qui reste planté là un long moment, ne sachant trop que dire, que faire, où se mettre.
Ce prodigieux moment d’incongruité totale est un des points d’acmé du système Hong Sang-Soo qui, soutenu par une équipe d’acteurs complices en état de grâce, réussit, à chaque nouveau film, à faire naître le même (mais pas tout à fait le même) sentiment d’euphorie hilare et inquiète.
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