Le 25 juin 2024
Cette mise en abîme du cinéma dans le cinéma, chère à l’œuvre prolixe de Hong Sang-soo, révèle le goût sensible du réalisateur pour la peinture de Cézanne. In Water est un petit joyau de poésie sur la vacuité humaine et la panne d’inspiration des artistes.
- Réalisateur : Hong Sang-soo
- Acteurs : Kim Min-hee , Ha Seong-guk, Shin Seok-ho, Kim Seung-yun
- Genre : Comédie dramatique, Expérimental
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : Arizona Distribution
- Durée : 1h01mn
- Titre original : mul-an-e-seo
- Date de sortie : 26 juin 2024
- Festival : Festival de Berlin 2023
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Résumé : Sur l’île rocheuse de Jeju, un jeune acteur réalise un film. Alors que l’inspiration lui manque, il aperçoit une silhouette au pied d’une falaise. Grâce à cette rencontre et à une chanson d’amour écrite des années plus tôt, il a enfin une histoire à raconter.
Critique : Le moins que l’on puisse dire, c’est que Hong Sang-soo est un cinéaste très actif, d’autant plus que ce moyen-métrage d’une heure a été dirigé, produit, monté, photographié et écrit par lui-même. Il faut dire que le sujet choisi est très personnel puisque le récit embarque le spectateur sur une île touristique de la Corée du Sud, où Jeju, un jeune réalisateur accompagné de sa comédienne et son cadreur, tente de gérer son angoisse de la page blanche et de mettre au monde un film dont il n’a pas encore écrit le scénario. La situation narrative est cocasse, tant on sait que Hong Sang-soo affectionne l’émergence du réel grâce à ce qui se joue, non pas dans le scénario lui-même, mais entre les lignes quand les acteurs sont amenés à meubler le vide.
In Water est d’abord un film très beau. Le réalisateur choisit le flou pour mettre en scène ses personnages qui, quand ils ne mangent pas l’intérieur de la maison où ils vivent provisoirement, se promènent le long de la mer ou dans les ruelles de la ville portuaire. Ce parti pris esthétique évoque immédiatement le pointillisme de la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle, où les êtres peints s’insèrent au même titre que des morceaux de la nature dans des paysages qui retracent l’âme du peintre. Les repas qu’ils partagent pourraient faire référence aux nombreuses scènes de déjeuner que la peinture de l’époque se plaît à décrire. Hong Sang-soo réécrit l’ennui, la peur du vide, à travers une série de vignettes où les trois jeunes gens parlent de choses sans aucune importance, comme pour fuir ce qu’ils savent déjà d’un film qui n’aura pas lieu du moins comme ils le supposent, voire leur propre ennui et désespérance.
- Copyright Arizona Distribution
La rencontre fortuite avec une jeune insulaire qui nettoie les rochers des pollutions ramenées par les touristes ou la mer va changer le projet du réalisateur et donner chair à un vrai film. Pourtant, sa comédienne ne cesse de réaffirmer sa confiance en lui, acceptant même de jouer gratuitement sans connaître un mot du scénario futur. L’enjeu du cinéaste n’est pas de dépeindre une situation absurde à la façon d’une pièce de théâtre de Beckett ou Ionesco. Il filme les errances intérieures de ses personnages, comme finalement il pourrait le faire pour lui-même, accumulant chaque année des projets nombreux de cinéma qui s’évaporent avec le temps.
In Water est un film qui parle de choses sérieuses sans jamais se prendre au sérieux. Le spectateur est entraîné dans un balade contemplative où il respire les paysages marins brouillés et prend attache avec ces trois jeunes gens qui se mentent à eux-mêmes. Le mise en scène refuse l’exagération romanesque avec juste pour point d’accroche un amour éphémère qui surgit dans un creux de mer et redonne au jeune cinéaste le goût de créer.
- Copyright Arizona Distribution
Ce qui frappe dans In Water, c’est le dénuement total auquel se résout le réalisateur, fort d’une carrière longue et importante. On pense ainsi à l’aboutissement de grands artistes comme en littérature Marguerite Duras ou en peinture Pablo Picasso, qui, en fin de carrière, allaient à l’essentiel de leur art et refusaient toute forme de surenchère esthétique. Le film témoigne ainsi d’une maturité profonde de l’œuvre de Hong Sang-soo qui va droit au cœur de ses spectateurs. On pressent un travail de mise en scène, de photographie très importants, mais que le réalisateur a gommé de toute perception d’effort. C’est là qu’on devine le génie des grands artistes.
In Water est une œuvre atemporelle, forte, d’une grande profondeur émotionnelle, qui mérite un large écho en salles. On ne saurait donc qu’encourager les spectateurs à s’abandonner à cette promenade autant poétique, cinématographique que picturale où l’on entend, comme un raclement de vagues, la petite voix de Rohmer.
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